Récit du Lieutenant Vernat
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Récit du Lieutenant Vernat
Dans son blog « Secret défense » de ce matin, Jean-Dominique Merchet présente une remarquable synthèse de cette dramatique manœuvre d’entraînement à Djibouti qui a vu mourir un légionnaire par la faute d’un jeune lieutenant aujourd’hui en prison et sans doute pour un certain temps.
Ce qui suit ne vous sera compréhensible que si vous allez d’abord lire cette histoire Je profite de cette occasion pour démystifier un certain nombre de bêtises que l’on raconte sur la Légion, car je suis fier d’en avoir fait partie et souhaite que cette troupe d’élite reste ce qu’elle a toujours été : la meilleure ! Un dernier rappel avant de commencer. La Légion est composée de professionnels qui, après une très sévère sélection (1 sur 9) et un entraînement initial qui ferait passer la formation des marines US pour un séjour de bodybuilding, vont rejoindre des unités dans lesquelles il feront un premier séjour de 5 ans, bien souvent renouvelé, éventuellement dans d’autres unités. Comme les légionnaires ne sont que 7000, tout le monde finit par se connaître et cette vie en commun a besoin de règles pour ne pas dégénérer. Elle est strictement régie par un mélange de discipline et de tradition qui font de la Légion un ensemble d’unités où la vie est dure mais régie par la loyauté et la confiance réciproque, y compris entre grades différents.
J’ai été, dans les années 60, un jeune lieutenant St-Cyrien affecté dans une compagnie de Légion du 5ème RMP, dont la mission était de réaliser des choses extrêmement difficiles en Polynésie. Le jour de mes 25 ans, à six heures du matin, toute ma section était réunie en tenue devant ma tente avec un splendide cadeau et des caisses de bière empilées (que j’ai payées ensuite.. J). C’était sur l’atoll de Puka-Rua et je découvrais ainsi que j’étais enfin intégré et accepté par mes hommes. Je pense alors avoir vécu avec eux des situations me permettant de porter un jugement sur ce que j’ai appris de cette affaire à travers le blog.
La vie quotidienne de la légion est placée essentiellement sous la responsabilité des sous-officiers en général et de deux d’entre eux en particulier : le président des sous-officiers et l’adjudant de compagnie qui sont là pour faire tourner la boutique et assurer la formation des jeunes officiers. Le président des sous-officiers est très puissant car on essaie que ce soit un guerrier confirmé et donc un modèle permanent. Il a accès à tout le monde et même un chef de corps (Colonel) pourrait difficilement refuser de le recevoir à sa demande. Le mien, A/C Schaft, avait 9 titres de guerre (citations au combat), la médaille militaire et la légion d’honneur. Quand il me parlait j’écoutais attentivement mais il me faisait l’honneur de me rendre la pareille en cas de problème éventuel avec un sous-officier (je n’ heureusement eu que des demandes d’explications à lui faire) L’adjudant de compagnie, lui, m’apprenait comment fonctionne une compagnie au jour le jour, agissant ainsi comme bras droit du capitaine, et m’apprenant surtout ce que l’on peut ou pas demander aux hommes. Il y avait dans cette vie de chaque jour un peu de brutalité, (en particulier dans son bureau le lundi matin quand certains dimanches avaient été un peu agités) et surtout beaucoup d’efforts extrêmes (auxquels je participais parfois pour savoir et surtout maintenir ma forme physique) mais mon rôle, dans ce domaine, n’aurait commencé que si j’avais ressenti en mon âme et conscience que les choses allaient trop loin. Inversement, si j’en avais trop fait, j’aurais immédiatement changé de méthode si mon SOA (sous-officier adjoint) m’en avait fait la remarque.
Il n’y a aucune raison que les choses aient beaucoup changées dans ce corps d’élite et vous comprendrez donc que, contrairement à ce que disent ou pensent actuellement certains jeunes Cyrards, je me range complètement, dans l’intérêt même de la Légion, à l’avis du général Elrick Irastorza, chef d’état-major à propos de ce lieutenant : Il n’a pas sa place parmi nous.
En suivant récemment une émission de la télévision française consacrée à la Légion étrangère d’aujourd’hui et intitulée « immersion totale », j’ai réalisé à quel point les choses avaient changé. L’émission était mortellement ennuyeuse et sérieuse, sans aucun souffle, sans rien pour faire rêver, sinon la perspective d’un parcours hyper-professionnel, commençant par un recrutement sévère (1 candidat sur 7 seulement est admis) de personnes ayant souvent un niveau d’éducation supérieur, qui vont suivre tout une parcours – extrêmement pénible et viril – les conduisant vers les grades supérieurs par des spécialisations successives extrêmement poussées. La Légion d’antan est bien morte et cède la place à une efficace machine de guerre bien huilée.
Raison de plus pour me remémorer quelques incidents mémorables, aujourd’hui inimaginables, avec pour acteurs des hommes qu’on ne prendrait probablement plus aujourd’hui mais dont les actes participaient du renouvellement permanent d’un mythe légionnaire que l’on me semble aujourd’hui vouloir maintenir un peu sous perfusion, de façon incantatoire : La Légion, la Légion !
Les deux personnages qui m’apprirent la Légion furent mes « chpountz[1] » : Roger Schultz et Michael Depperich. Le premier était un petit voleur suisse, le deuxième un gros boxeur est-allemand, tous deux des ratés dans le civil et de bons légionnaires. À mon arrivée à Mururoa, le fait de me retrouver avec un domestique à ma botte m’impressionna beaucoup et je ne savais pas trop quoi faire avec eux, ni quelle attitude adopter avec quelqu’un couvert de décoration et qui vous fait votre lessive intime ! Finalement dans les deux cas, surtout avec Depperich, nous parvînmes à une bonne entente, peut-être un début d’amitié, et je voulais simplement les citer en souvenir et en remerciement.
Nous étions à Puka Rua. Cantero était un légionnaire officiellement argentin, d’environ 35 ans, en grande condition physique et sans histoire. Avec tellement peu d’histoires qu’il en devint suspect car dans ce genre de vie, en opération, sous la tente, isolée, tout le monde un jour ou l’autre dit ou fait une bêtise et doit être remis au pas. Pas lui ! Le sergent Dvorak eut peu à peu la puce à l’oreille, avec ce sixième sens aiguisé de ceux qui grâce à lui ont survécu. Dvorak était tchèque, ayant survécu enfants aux camps de la mort allemands de la fin de la guerre, et racontant à l’occasion comment, avec d’autres enfants abandonnés, ils se réchauffaient la nuit au contact des rats qui venaient dormir avec eux. Ils étaient tellement repus par les cadavres disponibles en abondance qu’ils n’étaient pas du tout agressifs, au contraire, mais très gras avec de longs poils soyeux !…
Dvorak qui, donc, en avait vu d’autres avec son ami le sergent Popke, autre tchèque de la compagnie, se mirent à observer Cantero. Plutôt renfermé, il passait beaucoup de temps assis sur son lit, sous la tente, à lire et écrire. À la fin des années 60, les intellectuels étaient plutôt rares parmi la troupe. Un jour, Dvorak décida donc d’une petite indiscrétion et alla fouiller dans les affaires de Cantero qui était sur le chantier. Il trouva de nombreux cahiers couverts d’une petite écriture fine, apparemment dans un très bon français et, commençant à lire, il vit qu’il s’agissait d’un journal de marche mettant l’accent sur tous les petits débordements quotidiens, les petites violences, le petit racisme avec les Tahitiens et tout ce qui faisait l’ordinaire d’une troupe virile et pas très politiquement correcte.
Incroyable manque de chance : Cantero revint à l’improviste au même moment pour prendre quelque chose qu’il avait oublié et le drame éclata ! Passant moi aussi par là par hasard, je croisai un Dvorak qui n’avait certainement pas couru aussi vite depuis bien longtemps, poursuivi par un Cantero manifestement fou furieux et brandissant une machette, que je sentis siffler près de moi, suivi par d’autres légionnaires tentant de l’attraper pour le maîtriser, ce qui fut finalement fait après que la machette eut raté de vraiment très peu la tête de Dvorak.
La suite fut extrêmement désagréable pour Cantero qui gouta aux joies du « trou[2] » sur la plage, histoire de se calmer. Il s’avéra après enquête que Cantero n’était pas argentin mais maghrébin, ayant réussi à tromper tout le monde sur ses origines pendant des années. Se croyant victime de je ne sais quelle machination, il était tombé dans un délire personnel et écrivait sans cesse tout ce qu’il voyait pour faire un jour éclater un scandale qui éclabousserait toute la Légion. Le fait d’être découvert avait fait exploser toute la violence qu’il contenant tant bien que mal et Dvorak avait bien failli le payer de sa vie. Il fut rapatrié à la première occasion et j’ignore ce qu’il est devenu ensuite.
L’autre histoire qui me vient à l’esprit est plutôt une histoire corse, mais elle commence à Légion. Nous étions de retour à Papeete pour y faire quelques travaux avant de partir pour les Tuamotu. La vie suivait son cours. Un jour, le capitaine m’appelle et me dit : « Nous avons une affaire intéressante sur les bras ! » Et il m’explique qu’un des droits du commandant de compagnie est de vérifier le courrier des légionnaires, pour les protéger contre eux-mêmes.[3] Et en faisant rapidement son contrôle du matin, il était tombé sur une lettre ayant attiré son attention. Il s’agissait en effet – quel manque de discrétion – d’une lettre à en-tête de « La Marseillaise », quotidien communiste de Marseille notoirement antimilitariste et dont les prises de position avaient été extrêmes durant la guerre d’Algérie.
Elle était adressée à un « gaulois »[4], probablement corse d’après le pseudonyme qu’il avait choisi. La lettre répondait à un courrier adressé par ce légionnaire au journal et le remerciait pour son offre de collaboration visant à dénoncer les « horreurs coloniales » accomplies par la Légion en Polynésie.
Ce n’est pas le genre d’attitude que l’on aimait alors beaucoup (aujourd’hui non plus probablement) et le capitaine me dit qu’il allait sévir, mais je n’en sus pas plus, alors même que j’était officier de semaine et, comme tel, responsable de tout ce qui se passait à la compagnie. Effectivement, notre « corbeau » fut confié à un jeune caporal-chef allemand qui était sur le point d’être nommé sergent et brulait de faire ses preuves. Son zèle fut manifestement excessif car le corbeau y laissa bien des plumes.
En fin de journée, il fut conduit à la prison du quartier pour y passer la nuit avant de reprendre sa rééducation le lendemain. Mais, dans le camp d’Arué, il n’y avait pas que des légionnaires et ce soir là c’étaient des « Marsouins »[5] qui assuraient le service de garde. Et, par coïncidence, le caporal-chef responsable était corse. La négociation ne dura probablement pas très longtemps car notre corbeau « s’évada » dans l’heure qui suivit ! Il n’aurait pas dû aller très loin mais la chance lui sourit de nouveau car, sans doute sur les indications du caporal-chef marsouin, il se dirigea immédiatement chez le médecin de garde qui était un jeune aspirant corse, fraichement débarqué, plus soucieux sans doute de certaines obligations de solidarité ethnique que de strict respect des règles militaires formelles. Voyant l’état de notre corbeau – certes un peu abimé – il le mit immédiatement à l’abri dans l’infirmerie et prévint la gendarmerie qui n’eut pas d’autre choix que de faire enquête et d’en référer au haut-commandement. Je passerai sur l’invraisemblable enchainement administratif qui s’en suivit et toutes les mauvaises notes que les responsables proches ou lointains de cette affaire recueillirent. En fait nul ne broncha ! Chacun avait fait ce qu’il devait faire en la circonstance et en accepta les conséquences, y compris moi qui n’appris l’affaire que lorsqu’elle fut terminée et que je fus sanctionné ! Ainsi marchait la Légion… et ainsi marchaient les Corses !
--------------------------------------------------------------------------------
[1] Terme désignant alors les ordonnances d’officier dans une légion majoritairement germanophone
[2] Complètement enterré, avec juste la tête qui dépasse du sable et l’eau de la marée qui monte… Impressionant !
[3] Il y avait encore à l’époque de nombreux légionnaires engagés sous une identité d’emprunt et avec des procédures en cours contre eux dans d’autres pays. Ces contrôles visaient à éviter qu’ils ne donnent imprudemment des preuves qui auraient obligé les autorités à les extrader en cas de demande. L’intention était donc très louable.
[4] Légionnaire d’origine française
[5] Soldats de l’infanterie de Marine, dans laquelle la présence corse était extrêmement forte
Ce qui suit ne vous sera compréhensible que si vous allez d’abord lire cette histoire Je profite de cette occasion pour démystifier un certain nombre de bêtises que l’on raconte sur la Légion, car je suis fier d’en avoir fait partie et souhaite que cette troupe d’élite reste ce qu’elle a toujours été : la meilleure ! Un dernier rappel avant de commencer. La Légion est composée de professionnels qui, après une très sévère sélection (1 sur 9) et un entraînement initial qui ferait passer la formation des marines US pour un séjour de bodybuilding, vont rejoindre des unités dans lesquelles il feront un premier séjour de 5 ans, bien souvent renouvelé, éventuellement dans d’autres unités. Comme les légionnaires ne sont que 7000, tout le monde finit par se connaître et cette vie en commun a besoin de règles pour ne pas dégénérer. Elle est strictement régie par un mélange de discipline et de tradition qui font de la Légion un ensemble d’unités où la vie est dure mais régie par la loyauté et la confiance réciproque, y compris entre grades différents.
J’ai été, dans les années 60, un jeune lieutenant St-Cyrien affecté dans une compagnie de Légion du 5ème RMP, dont la mission était de réaliser des choses extrêmement difficiles en Polynésie. Le jour de mes 25 ans, à six heures du matin, toute ma section était réunie en tenue devant ma tente avec un splendide cadeau et des caisses de bière empilées (que j’ai payées ensuite.. J). C’était sur l’atoll de Puka-Rua et je découvrais ainsi que j’étais enfin intégré et accepté par mes hommes. Je pense alors avoir vécu avec eux des situations me permettant de porter un jugement sur ce que j’ai appris de cette affaire à travers le blog.
La vie quotidienne de la légion est placée essentiellement sous la responsabilité des sous-officiers en général et de deux d’entre eux en particulier : le président des sous-officiers et l’adjudant de compagnie qui sont là pour faire tourner la boutique et assurer la formation des jeunes officiers. Le président des sous-officiers est très puissant car on essaie que ce soit un guerrier confirmé et donc un modèle permanent. Il a accès à tout le monde et même un chef de corps (Colonel) pourrait difficilement refuser de le recevoir à sa demande. Le mien, A/C Schaft, avait 9 titres de guerre (citations au combat), la médaille militaire et la légion d’honneur. Quand il me parlait j’écoutais attentivement mais il me faisait l’honneur de me rendre la pareille en cas de problème éventuel avec un sous-officier (je n’ heureusement eu que des demandes d’explications à lui faire) L’adjudant de compagnie, lui, m’apprenait comment fonctionne une compagnie au jour le jour, agissant ainsi comme bras droit du capitaine, et m’apprenant surtout ce que l’on peut ou pas demander aux hommes. Il y avait dans cette vie de chaque jour un peu de brutalité, (en particulier dans son bureau le lundi matin quand certains dimanches avaient été un peu agités) et surtout beaucoup d’efforts extrêmes (auxquels je participais parfois pour savoir et surtout maintenir ma forme physique) mais mon rôle, dans ce domaine, n’aurait commencé que si j’avais ressenti en mon âme et conscience que les choses allaient trop loin. Inversement, si j’en avais trop fait, j’aurais immédiatement changé de méthode si mon SOA (sous-officier adjoint) m’en avait fait la remarque.
Il n’y a aucune raison que les choses aient beaucoup changées dans ce corps d’élite et vous comprendrez donc que, contrairement à ce que disent ou pensent actuellement certains jeunes Cyrards, je me range complètement, dans l’intérêt même de la Légion, à l’avis du général Elrick Irastorza, chef d’état-major à propos de ce lieutenant : Il n’a pas sa place parmi nous.
En suivant récemment une émission de la télévision française consacrée à la Légion étrangère d’aujourd’hui et intitulée « immersion totale », j’ai réalisé à quel point les choses avaient changé. L’émission était mortellement ennuyeuse et sérieuse, sans aucun souffle, sans rien pour faire rêver, sinon la perspective d’un parcours hyper-professionnel, commençant par un recrutement sévère (1 candidat sur 7 seulement est admis) de personnes ayant souvent un niveau d’éducation supérieur, qui vont suivre tout une parcours – extrêmement pénible et viril – les conduisant vers les grades supérieurs par des spécialisations successives extrêmement poussées. La Légion d’antan est bien morte et cède la place à une efficace machine de guerre bien huilée.
Raison de plus pour me remémorer quelques incidents mémorables, aujourd’hui inimaginables, avec pour acteurs des hommes qu’on ne prendrait probablement plus aujourd’hui mais dont les actes participaient du renouvellement permanent d’un mythe légionnaire que l’on me semble aujourd’hui vouloir maintenir un peu sous perfusion, de façon incantatoire : La Légion, la Légion !
Les deux personnages qui m’apprirent la Légion furent mes « chpountz[1] » : Roger Schultz et Michael Depperich. Le premier était un petit voleur suisse, le deuxième un gros boxeur est-allemand, tous deux des ratés dans le civil et de bons légionnaires. À mon arrivée à Mururoa, le fait de me retrouver avec un domestique à ma botte m’impressionna beaucoup et je ne savais pas trop quoi faire avec eux, ni quelle attitude adopter avec quelqu’un couvert de décoration et qui vous fait votre lessive intime ! Finalement dans les deux cas, surtout avec Depperich, nous parvînmes à une bonne entente, peut-être un début d’amitié, et je voulais simplement les citer en souvenir et en remerciement.
Nous étions à Puka Rua. Cantero était un légionnaire officiellement argentin, d’environ 35 ans, en grande condition physique et sans histoire. Avec tellement peu d’histoires qu’il en devint suspect car dans ce genre de vie, en opération, sous la tente, isolée, tout le monde un jour ou l’autre dit ou fait une bêtise et doit être remis au pas. Pas lui ! Le sergent Dvorak eut peu à peu la puce à l’oreille, avec ce sixième sens aiguisé de ceux qui grâce à lui ont survécu. Dvorak était tchèque, ayant survécu enfants aux camps de la mort allemands de la fin de la guerre, et racontant à l’occasion comment, avec d’autres enfants abandonnés, ils se réchauffaient la nuit au contact des rats qui venaient dormir avec eux. Ils étaient tellement repus par les cadavres disponibles en abondance qu’ils n’étaient pas du tout agressifs, au contraire, mais très gras avec de longs poils soyeux !…
Dvorak qui, donc, en avait vu d’autres avec son ami le sergent Popke, autre tchèque de la compagnie, se mirent à observer Cantero. Plutôt renfermé, il passait beaucoup de temps assis sur son lit, sous la tente, à lire et écrire. À la fin des années 60, les intellectuels étaient plutôt rares parmi la troupe. Un jour, Dvorak décida donc d’une petite indiscrétion et alla fouiller dans les affaires de Cantero qui était sur le chantier. Il trouva de nombreux cahiers couverts d’une petite écriture fine, apparemment dans un très bon français et, commençant à lire, il vit qu’il s’agissait d’un journal de marche mettant l’accent sur tous les petits débordements quotidiens, les petites violences, le petit racisme avec les Tahitiens et tout ce qui faisait l’ordinaire d’une troupe virile et pas très politiquement correcte.
Incroyable manque de chance : Cantero revint à l’improviste au même moment pour prendre quelque chose qu’il avait oublié et le drame éclata ! Passant moi aussi par là par hasard, je croisai un Dvorak qui n’avait certainement pas couru aussi vite depuis bien longtemps, poursuivi par un Cantero manifestement fou furieux et brandissant une machette, que je sentis siffler près de moi, suivi par d’autres légionnaires tentant de l’attraper pour le maîtriser, ce qui fut finalement fait après que la machette eut raté de vraiment très peu la tête de Dvorak.
La suite fut extrêmement désagréable pour Cantero qui gouta aux joies du « trou[2] » sur la plage, histoire de se calmer. Il s’avéra après enquête que Cantero n’était pas argentin mais maghrébin, ayant réussi à tromper tout le monde sur ses origines pendant des années. Se croyant victime de je ne sais quelle machination, il était tombé dans un délire personnel et écrivait sans cesse tout ce qu’il voyait pour faire un jour éclater un scandale qui éclabousserait toute la Légion. Le fait d’être découvert avait fait exploser toute la violence qu’il contenant tant bien que mal et Dvorak avait bien failli le payer de sa vie. Il fut rapatrié à la première occasion et j’ignore ce qu’il est devenu ensuite.
L’autre histoire qui me vient à l’esprit est plutôt une histoire corse, mais elle commence à Légion. Nous étions de retour à Papeete pour y faire quelques travaux avant de partir pour les Tuamotu. La vie suivait son cours. Un jour, le capitaine m’appelle et me dit : « Nous avons une affaire intéressante sur les bras ! » Et il m’explique qu’un des droits du commandant de compagnie est de vérifier le courrier des légionnaires, pour les protéger contre eux-mêmes.[3] Et en faisant rapidement son contrôle du matin, il était tombé sur une lettre ayant attiré son attention. Il s’agissait en effet – quel manque de discrétion – d’une lettre à en-tête de « La Marseillaise », quotidien communiste de Marseille notoirement antimilitariste et dont les prises de position avaient été extrêmes durant la guerre d’Algérie.
Elle était adressée à un « gaulois »[4], probablement corse d’après le pseudonyme qu’il avait choisi. La lettre répondait à un courrier adressé par ce légionnaire au journal et le remerciait pour son offre de collaboration visant à dénoncer les « horreurs coloniales » accomplies par la Légion en Polynésie.
Ce n’est pas le genre d’attitude que l’on aimait alors beaucoup (aujourd’hui non plus probablement) et le capitaine me dit qu’il allait sévir, mais je n’en sus pas plus, alors même que j’était officier de semaine et, comme tel, responsable de tout ce qui se passait à la compagnie. Effectivement, notre « corbeau » fut confié à un jeune caporal-chef allemand qui était sur le point d’être nommé sergent et brulait de faire ses preuves. Son zèle fut manifestement excessif car le corbeau y laissa bien des plumes.
En fin de journée, il fut conduit à la prison du quartier pour y passer la nuit avant de reprendre sa rééducation le lendemain. Mais, dans le camp d’Arué, il n’y avait pas que des légionnaires et ce soir là c’étaient des « Marsouins »[5] qui assuraient le service de garde. Et, par coïncidence, le caporal-chef responsable était corse. La négociation ne dura probablement pas très longtemps car notre corbeau « s’évada » dans l’heure qui suivit ! Il n’aurait pas dû aller très loin mais la chance lui sourit de nouveau car, sans doute sur les indications du caporal-chef marsouin, il se dirigea immédiatement chez le médecin de garde qui était un jeune aspirant corse, fraichement débarqué, plus soucieux sans doute de certaines obligations de solidarité ethnique que de strict respect des règles militaires formelles. Voyant l’état de notre corbeau – certes un peu abimé – il le mit immédiatement à l’abri dans l’infirmerie et prévint la gendarmerie qui n’eut pas d’autre choix que de faire enquête et d’en référer au haut-commandement. Je passerai sur l’invraisemblable enchainement administratif qui s’en suivit et toutes les mauvaises notes que les responsables proches ou lointains de cette affaire recueillirent. En fait nul ne broncha ! Chacun avait fait ce qu’il devait faire en la circonstance et en accepta les conséquences, y compris moi qui n’appris l’affaire que lorsqu’elle fut terminée et que je fus sanctionné ! Ainsi marchait la Légion… et ainsi marchaient les Corses !
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[1] Terme désignant alors les ordonnances d’officier dans une légion majoritairement germanophone
[2] Complètement enterré, avec juste la tête qui dépasse du sable et l’eau de la marée qui monte… Impressionant !
[3] Il y avait encore à l’époque de nombreux légionnaires engagés sous une identité d’emprunt et avec des procédures en cours contre eux dans d’autres pays. Ces contrôles visaient à éviter qu’ils ne donnent imprudemment des preuves qui auraient obligé les autorités à les extrader en cas de demande. L’intention était donc très louable.
[4] Légionnaire d’origine française
[5] Soldats de l’infanterie de Marine, dans laquelle la présence corse était extrêmement forte
Re: Récit du Lieutenant Vernat
je suis allez voir le blog qui parle de la mort de se légionnaire et de la mise en cause du lieutenant
a qui la faute je ne saurai le dire
il est dommage qu'un homme y est laissé la vie
laissons la justice faire sont travail
a qui la faute je ne saurai le dire
il est dommage qu'un homme y est laissé la vie
laissons la justice faire sont travail
olivier- Admin
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