la Légion Etrangère vu par l'écrivain Jean des Vallières
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la Légion Etrangère vu par l'écrivain Jean des Vallières
voici la Légion Etrangère vu par l'écrivain Jean des Vallières
Le vrai visage de la Légion
Vous légionnaires, vous êtes soldats pour mourir,
je vous envoie où l'on meurt.
Général de Négrier, Tonkin, 1885.
Coeurs au rebut et aventuriers militaires
" Légion des damnés ", " Légion des maudits et des réprouvés ", ces mots reviennent sans cesse sous la plume des journalistes et le public en conclut que des gens de sac et de corde - fleur de la racaille internationale - s'y camouflent pour échapper aux conséquences de leurs méfaits. On la confond d'autant plus volontiers avec les bataillons disciplinaires que la littérature contemporaine, la presse et le cinéma n'initient guère leur clientèle qu'aux formes crapuleuses de l'aventure.
Une mise au point donc s'impose. A l'occasion, la Légion donne leur chance à des hommes qui ont accidentellement failli et qui veulent se racheter. Elle ne repousse pas, lorsque la sincérité de ces délinquants mineurs est certaine, leur désir de réparer, en s'exposant au danger, un instant d'égarement. Mais ils ne s ont qu'une infime exception.
Précisons, pour ceux qui l'ignorent, qu'elle refuse actuellement les trois quarts des offres de service qui lui sont faites. Un filtrage très sévère s'effectue dans ses centres régulateurs de France et l'incorporation du candidat légionnaire ne devient définitive qu'après une période d'épreuve à Sidi-Bel-Abbès (2), où des organismes spécialisés s'assurent qu'il est sain moralement et physiquement. Vite repérés parmi les Belges et les Suisses dont ils empruntent d'ordinaire la nationalité, les Français sont examinés avec une attention particulière, car leur avantage, à première vue, s'ils n'avaient rien à cacher, serait de s'engager sous leurs vrais noms dans l'armée régulière.
Caporal de grenadiers et fusilier. Mexique. 1863.
Mais cette suspicion n'est pas toujours justifiée. Beaucoup d'émeutiers traqués après la révolution de 1848 et la Commune firent une fin très honorable à la Légion. Pendant la dernière guerre, les légionnaires d'Orliac et Blanchard, inscrits sur les contrôles du 1er Etranger, n'étaient autres que le comte de Paris et le prince Napoléon, à qui une loi interdisait de se battre ouvertement pour leur pays.
A la Légion, on n'a que l'âge de ses muscles. C'est la dernière armée de métier, uniquement composée de volontaires qui y contractent un engagement de cinq ans, à leur gré renouvelable ou non, et qu'un statut spécial dispense de fournir aucune pièce d'identité. On les prend parce qu'ils sont aptes à servir, avec le nom et la nationalité qu'il leur convient de donner, et c'est prétexte à écrire bien des sottises à leur sujet ! Les films et les romans-feuilletons, quand ils n'en font pas de mauvais garçons, découvrent à la pelle parmi eux les princes déchus, les banquiers ruinés, les proscrits dont la tête est mise à prix, les officiers cassés, les prêtres défroqués et les héros de tragédies passionnelles.
Et, certes, tous les spécimens d'hommes que la vie a brisés existent ou ont existé à la Légion.
Les causes qui ont décidé ces étrangers à s'expatrier sont multiples. La faim, bien sûr, intervient; mais généralement, c'est sous le coup d'une " crise " qu'ils se cabrent, et il y en a de toutes sortes : crises personnelles, familiales ou sociales, crises politiques aussi, qui périodiquement ébranlent les États et dont les vaincus savent qu'il n'y aura ni grâce ni pitié pour eux.
La soif de l'évasion fait aussi beaucoup de légionnaires. Plus notre époque enferme l'individu dans des réglements administratifs, et plus la Légion fascine les révoltés par le triple charme de l'inconnu, des horizons plus vastes, des risques et des chances à courir sur des terres nouvelles. C'est la liberté qu'ils choisissent, eux aussi, en secouant les contraintes qui les astreindraient comme civils à des besognes dégradantes de robots. Le monde, lorsqu'on y aura tout uniformisé, n'aura plus d'âme.
Légionnaire au Tonkin. (1883-1886.) Madagascar. 1896. " Une pacification qui n'a pas de meilleurs artisans que les Légionnaires, pétrissant de leurs mains créatrices des terres en friche pour les transformer en rizières, des vallées endormies pour en faire des artères de vie. "
Même de nos jours, enfin, les vraies vocations de soldats, qu'attire un destin dangereux, ne sont pas rares. L'espèce survit, malgré bien des secousses, de ceux qui ont le goût du métier des armes et ne peuvent plus l'exercer, dans leur pays, d'une façon intéressante. Ces aventuriers militaires constituent le fonds de la Légion, sa meilleure et sa plus nombreuse substance.
Ces mercenaires-nés, c'est de grandes actions qu'ils rêvent et d'une vie qui vaille vraiment la peine d'être vécue. Certes, les têtes brûlées ne manquent pas dans le lot, ni les gaillards qui ont déjà vu du pays et encaissé quelques coups durs. Rien de mieux, si le coeur et les muscles sont intacts. On s'en arrange toujours. La Légion ne recherche pas les enfants de choeur.
Issus de tous les pays, de tous les milieux, de tous les revers, les légionnaires ont pourtant un trait commun : ce ne sont jamais des médiocres. Le coup de tête qui a rompu leurs amarres est la réaction de l'énergie, celle du vaincu qui ne se résigne pas à la défaite, du captif qui brise ses liens, de l'égaré qui ne veut pas se dégrader davantage, du déveinard qui prend le mauvais sort à la gorge, de tous ceux qui, malgré les déceptions et les échecs, croient encore à la beauté et à la vertu de l'effort.
Le plus souvent, ceux qui sont venus chercher l'oubli à la Légion gardent jusqu'au bout le silence, et la mort seule livre parfois une partie de leur secret. Ainsi allait-on enterrer, à Magenta, un simple légionnaire dans la fosse commune, quand un des camarades protesta, réclamant pour lui les honneurs dus au dernier descendant du roi Sobieski qui avait jadis sauvé Vienne, assiégée par les Turcs. Ces dires furent reconnus exacts et une cour étrangère fit des funérailles quasi royales à cet obscur soldat.
Un autre cas, malgré les consignes données pour l'étouffer, fit quelque bruit en 1897, année où une épidémie de typhus en Algérie fit de nombreuses victimes et, parmi elles, un légionnaire fort réservé et d'une parfaite distinction. Son commandant de compagnie, le capitaine Mérolli, qui recueillit son dernier soupir, apprit de sa propre bouche alors qu'il était prince de Hohenzollern, cousin de Guillaume II et général de division allemand. Prévenu, le Kaiser envoya dans le port d'Oran un croiseur pour récupérer la dépouille de ce prince du sang de la Maison de Prusse.
On relève à la Légion, sous le nom de Rose, un colonel anglais de l'armée des Indes, sous celui de Philippe un fils du maréchal Marmont et la médaille militaire y fut attribuée, après quinze ans de service, à un noir, fils du roi Béhanzin. Plus près de nous, c'est un fils naturel de Maxime Gorki qui manifeste sa réprobation des idées de son père en se faisant légionnaire.
La Légion a produit des hommes d'affaires, de grands chefs d'entreprises, comme l'industriel suisse Kohler, qu'une grave blessure, cependant, avait privé de la vue. Elle a nourri de sa sève et de sa flamme le peintre polonais Kissling, les écrivains Blaise Cendrars et Georges R. Manue, le valeureux poète américain Alan Seeger, le barde jurassien Arthur Nicolet. Notons aussi que deux prélats en exercice, Mgr Maziers, évêque de Saint-Flour, et Mgr Stourm, évêque d'Amiens, sont d'anciens légionnaires, ce qui prouve que la Légion, si on y trouve de tout, mène aussi à tout.
Un métier de seigneurs
Le trait commun le plus significatif des officiers français choisissant la Légion au sortir de Saint-Cyr est leur goût de l'indépendance, assorti à une recherche - assez peu répandue, même dans l'armée - des responsabilités. Ils ne peuvent mieux le satisfaire qu'à la Légion, car ses bataillons ont en général de larges fronts à explorer ou à surveiller. Leurs éléments sont répartis sur des positions souvent très éloignées les unes des autres. Nombreux sont les postes, tenus par une simple section, qui contrôlent de vastes secteurs et qu'aucun secours immédiat ne peut atteindre en cas d'attaque. Des reconnaissances montées ou portées opèrent isolément, de leur côté, sur des parcours de plusieurs milliers de kilomètres que ni base ni refuge ne jalonnent. Les jeunes capitaines, les lieutenants de vingt-trois ou vingt-quatre ans, investis de ces commandements, sont entièrement livrés à eux-mêmes avec quelques poignées de légionnaires. Le succès, quand l'imprévu, toujours redoutable, se présente, ne dépend que de leurs initiatives.
Souvent même on a, parmi eux, l'impression qu'il faut être en état de grâce pour bien exercer de pareils commandements, et c'est ce que voulait dire sans doute le général Gardy, inspecteur de la Légion Etrangère, dans son message d'adieu à ses officiers :
- Soyez toujours des seigneurs ! Soyez purs et forts, aventureux et résolus.
Des seigneurs, et qui ne craignaient pas grand-chose, tels ont été, d'âge en âge, les chefs que s'est donnés la Légion, avec cette marque distinctive d'un souverain détachement des biens de ce monde, d'un total mépris des calculs personnels.
Quelques-uns seulement doivent être dès à présent cités pour la grande renommée qu'ils ont acquise : les maréchaux de Saint-Arnaud, Mac-Mahon et Canrobert, les généraux Bedeau, de Négrier, Drude, Brûlard, François, Mordacq, tous à jamais marqués par leurs années de Légion. Mais la première place, sur ce palmarès, revient de droit au vieux héros qui a traîné avec elle sur tous les champs de bataille son invariable tenue de toile kaki, ses espadrilles et une vieille ombrelle rouge trouée par les balles, à l'inoubliable général Rollet, surnommé le " père de la Légion " où le poste d'inspecteur fut spécialement créé pour lui permettre d'y achever sa carrière.
Un même vent d'épopée a fait retentir de nos jours les noms de Gardy, de Koenig, de Brunet de Sairigné, de Gaultier, de Jeanpierre, de Monclar, qui rendit ses étoiles de général pour prendre le commandement du bataillon des volontaires de Corée. Plus lourdes que celles des autres troupes, les pertes en officiers de la Légion divulguent leur intrépidité.
Compagnie montée. Le génie de savoir s'adapter à toutes les situations.
Officiers à titre étranger et sous-officiers de carrière
Une de ses touches les plus vives manquerait à la fresque des gloires légionnaires si l'on n'y situait, auprès de leurs camarades français, les officiers étrangers qui, aujourd'hui comme hier, y prennent la relève des condottieri. Ils n'ont rien innové. De tout temps, de grands soldats qui n'étaient pas fils de France ont mis leur épée à son service et on en compte un bon nombre qui ont reçu de nos rois le bâton fleurdelisé : les Broglie, les d'Ornano, le comte allemand Schomberg, le Danois Lowendal, l'Anglais Berwick, fils de roi, dont Villars enviait le trépas héroïque au siège de Philippsburg ; de sang royal aussi, Maurice de Saxe, le vainqueur de Fontenoy ; sous l'Empire, le héros polonais Poniatowski.
Le premier chef de la Légion Etrangère fut un Suisse, le colonel Stoffel, dont un mot a fait fortune :
- Que voulez-vous que ça me foute à moi que la paix soit signée ! Je ferai toujours la guerre.
Le 1er Étranger fut de main de maître commandé par l'ancien guérillero Martinez, un homme superbe qui avait été l'amant de la reine d'Espagne et l'aide de camp du chef carliste Cabrera, avant de gagner à la Légion ses galons de colonel. En 1855, Napoléon III place à sa tête le général zurichois Ochsenbeim. L'Autriche lui donne un Montecucculi, qui s'est battu aux zouaves pontificaux, et le commandant de Freudenreich, issu d'une branche protestante des Joyeuse qui, en émigrant, a germanisé son nom.
Elle a eu des officiers allemands : le lieutenant Milson von Bolt, né du mariage morganatique d'un prince de Prusse et qui, par la suite promu chef d'escadrons de Uhlans, appartint à l'état-major de son cousin, le prince Frédéric-Charles ; le capitaine bavarois Lissignolo, qui, après huit ans de Légion, fut aussi réintégré dans l'armée allemande et sauva d'une mort certaine, à Bazeilles, les défenseurs de la maison des " dernières cartouches " ; l'ordre vint de lui, qui laissait leurs sabres aux officiers, parmi lesquels se trouvait le futur maréchal Gallieni. Pendant cette même campagne de 187o-71, un jeune Saint-Cyrien qui deviendra le roi Pierre ter de Serbie fait ses premières armes à la Légion sous le nom du sous-lieutenant Kara.
Le général Zédé y débute dans un bataillon où servent - avec le capitaine Bonaparte, petit-fils de Lucien - le capitaine italien Giovanelli, déserteur des Bersaglieri, et un fils du démagogue Pierre Leroux, également déserteur.
En 1903, la Légion perd un de ses paladins en la personne du lieutenant danois Selchauhansen, mortellement frappé au combat d'Él-Moungar. Mais, à quelques lustres de là, son compatriote, le commandant Aage de Danemark, petit-fils de Louis-Philippe par la princesse Marie d'Orléans, sa mère, s'immortalise sur ses brisées.
La Légion s'est fait un devoir aussi d'embaucher les meilleurs des officiers tzaristes qui avaient tout perdu dans les débâcles successives de la contre-révolution. Ils lui ont apporté, en y échangeant leurs anciens grades contre des grades toujours très inférieurs, d'éminents états de service. On les traitait avec de justes égards. Nul, par exemple, au 1er Étranger de cavalerie, n'oubliait, quand paraissait le sous-lieutenant Hreschatisky, qu'il avait été général de division en Russie.
L'exode pour certains fut fertile en péripéties et ils ont eu, parfois, dans les bouleversements de l'après-guerre, d'extraordinaires destinés d'officiers de fortune. A sa retraite, le commandant Alexandre de Knorré pouvait ainsi libeller sa carte de visite :
Ancien capitaine de la Garde impériale Izmailarsky, Ancien capitaine général à la Division des Cosaques de S.M. le Shah de Perse,
Ancien chef de bataillon à la Légion Etrangère, Commandant honoraire des Carabiniers de la Garde de S.A.S. le prince de Monaco.
S'adressant au capitaine prince David Chalikachvili, les légionnaires russes du 4ème Étranger ne l'appelaient que " Votre Excellence ", car ce satrape eurasien au profil de gerfaut avait commandé l'école de cavalerie de Tiflis.
Avec lui commence à la Légion une dynastie de princes géorgiens dont le dernier en date, le lieutenant-colonel Amilakvari, commandait à Bir-Hakeim la 13ème Demi-Brigade et fut tué à l'attaque d'Él-Himeimat - en deux lignes dépeint par cette citation fulgurante : " A réussi à étonner sa troupe par un courage qui était sans mesure. "
Sur ce plan encore, la France affiche un bilan qui n'a nulle part son pareil. On ne peut sans fierté parcourir l'état des officiers étrangers fameux qui lui ont fait hommage de leurs gloires passées et de leurs talents, considérant comme un suprême honneur d'exercer sous ses drapeaux un commandement, même modeste.
Des raisons analogues assurent à la Légion un remarquable encadrement de sous-officiers. Dans cette multitude où toutes les professions sont représentées, les hommes instruits ou qui ont déjà appris à commander abondent et le choix des gradés est d'autant plus facile qu'on y trouve beaucoup d'anciens sous-officiers et même d'anciens officiers des armées étrangères.
La discipline des traditions
Tous les légionnaires jusqu'en juillet 1962 passent par Sidi-Bel-Abbès, siège du 1er Étranger. C'est là, dans le creuset de la " maison-mère ", qu'une transformation à double effet les change en professionnels qualifiés de la guerre et les régénère moralement.
Si sévère qu'y soit leur dressage dans des compagnies spéciales d'instruction, les méthodes employées n'ont rien de commun avec la "schlague ". Elles s'adressent à leur intelligence et la plupart, dont cet entraînement intensif accroit l'endurance, découvrent en eux des possibilités physiques qu'ils ignoraient.
Le portail du Quartier Vienot, à Sidi-bel-Abbès, où tous les légionnaires commençaient leur carrière et, quand la mort n'avait pas voulu d'eux, la finissaient.
Un premier reclassement s'effectue parmi ces hommes qui ne sont pas, comme d'aucuns le disent, des hors-la-loi, mais des isolés et des déracinés, à qui il faut d'abord rendre le sentiment de leur dignité. La Légion, en les perfectionnant dans des emplois qui correspondent à leurs aptitudes et dont ils pourront vivre plus tard, les réintègre d'ores et déjà dans la société.
Mais le plus puissant soutien de son action psychologique est le climat de Sidi-Bel-Abbès, son décor impressionnant, ses spectacles militaires grandioses, qui ne tardent pas à disperser leurs fantômes. La Légion y apparaît dans ses fastes. A ces gens qui n'avaient plus rien et souvent se croyaient finis, elle offre un héritage de gloire fabuleux. Elle leur inculque ses traditions et cette discipline morale ne leur est pas enseignée dans la morne indifférence d'un dépôt, mais dans les rangs du plus vieux régiment étranger, qui les exploite avec un dynamisme fracassant.
Le culte des morts en est la base. Toutes les cérémonies légionnaires - et on les multiplie à Bel-Abbès - célèbrent leur sacrifice ; l'engagement à suivre leur exemple y est implicitement renouvelé, face au monument qui, dans la cour d'honneur de la caserne Vienot, attire tous les regards par ses dimensions et son expressive allégorie.
A quelques pas, d'autres lieux saints édifient les légionnaires. Ils ont accès à un vertigineux Musée du Souvenir, où les drapeaux, les fanions, les trophées qui chantent la longue histoire de la Légion flamboient à travers une suite de salles aux noms ailés : le Temple des Héros, la salle du Commandement, la salle des Batailles, d'autres consacrées aux campagnes anciennes ou récentes. Qui a médité dans ce sanctuaire, son âme en reste à jamais envoûtée et fascinée.
Et les vieux légionnaires sont là, magnifiques sous les armes, pour stimuler les nouveaux au cours des parades qui les rassemblent avec un apparat propre à frapper l'imagination. Aucune troupe au monde n'a des têtes de colonne comparables à celles de la Légion, et particulièrement les sapeurs, obligatoirement barbus, portant des tabliers de cuir et sur l'épaule des haches, emblèmes du travail constructif.
Quant à la musique, celle du 1er Étranger, entre toutes réputée et à volonté transformable en orchestre symphonique, interprète avec la même maîtrise une sonate classique, une ouverture de Wagner et les hymnes de la guerre.
Actuellement significatif de la Légion, son képi blanc est d'origine récente. Il dérive du couvre-képi de toile kaki, prolongé par un couvre-nuque, que les légionnaires, unanimes à abhorrer même sous les climats tropicaux le casque colonial, portaient sur le vieux képi de la Ligne. D'autres coiffures, d'ailleurs, le remplacent parfois - bérets verts des parachutistes, gourkas des cavaliers, chapeaux de brousse - sans modifier la silhouette classique du légionnaire, avec la large ceinture bleue qui lui sangle sous le ceinturon la taille, la cravate verte, en grande tenue les guêtres blanches et les épaulettes rouges à tournante verte que seuls les régiments étrangers ont conservées. Le numéro des unités s'inscrit dans la bombe creuse de la grenade à sept flammes, dont deux en retour, qui est sa signature, comme le vert et le rouge sont ses couleurs, seules à se marier sur ses fanions.
Sûre de leur efficacité, la Légion ne défend pas moins jalousement les traditions de ses fêtes de corps. La plus sacrée et la plus importante est la célébration, le 30 avril, de l'anniversaire du combat de Camerone. Aucune unité, même en opérations ou dans les postes isolés, n'y manque et, dans le monde entier pareillement, un banquet ou un vin d'honneur réunit ce jour-là les anciens légionnaires qui y sont disséminés.
Pourquoi ce choix de Camerone, fait d'armes lointain et apparemment bien secondaire, alors que la Légion, comme le clamait le général Deligny, a tant de titres de gloire à son actif que les plis de ses drapeaux ne peuvent les contenir ? Pourquoi aux noms de feu que la victoire y a brodés avoir préféré, pour le solenniser, celui d'une obscure hacienda mexicaine, où soixante légionnaires et leurs trois officiers, cernés par une multitude d'ennemis, firent le serment de mourir les armes à la main et le tinrent ? Un revers incontestablement, puisqu'ils ont été écrasés, une défaite. Mais, en cette défaite, les initiés admirent l'exemple de l'héroïsme le plus pur, du sacrifice total à la parole donnée, du geste gratuit dédié aux seules exigences de l'honneur - et le maréchal d'Esperey souhaitait que la conscience nationale plaçât le massacre de Camerone sur les mêmes cimes que Roncevaux, qu'Alésia, que le bûcher de Rouen et la tranchée des Baïonnettes.
De cet engagement sanglant, les légionnaires ont tiré une de leurs expressions courantes : pour eux, " faire Camerone " signifie prendre la décision, quand tout espoir de vaincre a disparu, de ne pas survivre à la perte des positions confiées à leur honneur - et les récentes campagnes ne leur ont pas ménagé les occasions de tenir ainsi leur serment jusqu'à ce que la mort les en déliât.
Cette tradition légionnaire forge des hommes nouveaux : libres de leur vie intérieure, de leurs rêves, de tous soucis, ils cultivent en eux l'imagination et l'invention qui les amuse. Sous un masque de dureté, ce sont d'abord des sentimentaux, qui ne méprisent pas d'écrire des poèmes. Des chants de tous les pays bercent dans leur coeur la nostalgie de l'amour, et parfois ce goût du cafard qui les frappe lors de leurs rares périodes d'inaction. Rien pour eux n'est à l'échelle normale - ni les austérités, ni les sacrifices. Aussi ne doit-on pas s'étonner de les voir rechercher quelques dérivatifs dans une cuite ou auprès des filles que leur imagination couvre de tendresse.
Leur amour pour les enfants et les bêtes exprime le même besoin d'une vie sentimentale. La Légion trimbale à titre de mascottes tous les animaux de la création.
Enfin un mot livre la clef de l'énigme que pose encore, pour beaucoup, son comportement. Ce mot, c'est l'orgueil. Orgueil d'appartenir à un corps coutumier de performances extraordinaires et qui fait chaque jour des miracles. Non pas que les légionnaires revendiquent le monopole des actions d'éclat. Mais ils savent qu'ils sont toujours les mieux placés là où un coup dur se prépare, et ils en tirent même vanité.
Ainsi sont-ils pris dans un engrenage de traditions qui leur insufflent l'esprit de la Légion. Pierre à pierre un rempart s'élève, derrière lequel leur passé s'obscurcit. Les premiers combats font le reste, cuirassant leur âme et leur révélant les fortes ivresses d'une solidarité où les vivants exécutent les ordres des morts.
Le vrai visage de la Légion
Vous légionnaires, vous êtes soldats pour mourir,
je vous envoie où l'on meurt.
Général de Négrier, Tonkin, 1885.
Coeurs au rebut et aventuriers militaires
" Légion des damnés ", " Légion des maudits et des réprouvés ", ces mots reviennent sans cesse sous la plume des journalistes et le public en conclut que des gens de sac et de corde - fleur de la racaille internationale - s'y camouflent pour échapper aux conséquences de leurs méfaits. On la confond d'autant plus volontiers avec les bataillons disciplinaires que la littérature contemporaine, la presse et le cinéma n'initient guère leur clientèle qu'aux formes crapuleuses de l'aventure.
Une mise au point donc s'impose. A l'occasion, la Légion donne leur chance à des hommes qui ont accidentellement failli et qui veulent se racheter. Elle ne repousse pas, lorsque la sincérité de ces délinquants mineurs est certaine, leur désir de réparer, en s'exposant au danger, un instant d'égarement. Mais ils ne s ont qu'une infime exception.
Précisons, pour ceux qui l'ignorent, qu'elle refuse actuellement les trois quarts des offres de service qui lui sont faites. Un filtrage très sévère s'effectue dans ses centres régulateurs de France et l'incorporation du candidat légionnaire ne devient définitive qu'après une période d'épreuve à Sidi-Bel-Abbès (2), où des organismes spécialisés s'assurent qu'il est sain moralement et physiquement. Vite repérés parmi les Belges et les Suisses dont ils empruntent d'ordinaire la nationalité, les Français sont examinés avec une attention particulière, car leur avantage, à première vue, s'ils n'avaient rien à cacher, serait de s'engager sous leurs vrais noms dans l'armée régulière.
Caporal de grenadiers et fusilier. Mexique. 1863.
Mais cette suspicion n'est pas toujours justifiée. Beaucoup d'émeutiers traqués après la révolution de 1848 et la Commune firent une fin très honorable à la Légion. Pendant la dernière guerre, les légionnaires d'Orliac et Blanchard, inscrits sur les contrôles du 1er Etranger, n'étaient autres que le comte de Paris et le prince Napoléon, à qui une loi interdisait de se battre ouvertement pour leur pays.
A la Légion, on n'a que l'âge de ses muscles. C'est la dernière armée de métier, uniquement composée de volontaires qui y contractent un engagement de cinq ans, à leur gré renouvelable ou non, et qu'un statut spécial dispense de fournir aucune pièce d'identité. On les prend parce qu'ils sont aptes à servir, avec le nom et la nationalité qu'il leur convient de donner, et c'est prétexte à écrire bien des sottises à leur sujet ! Les films et les romans-feuilletons, quand ils n'en font pas de mauvais garçons, découvrent à la pelle parmi eux les princes déchus, les banquiers ruinés, les proscrits dont la tête est mise à prix, les officiers cassés, les prêtres défroqués et les héros de tragédies passionnelles.
Et, certes, tous les spécimens d'hommes que la vie a brisés existent ou ont existé à la Légion.
Les causes qui ont décidé ces étrangers à s'expatrier sont multiples. La faim, bien sûr, intervient; mais généralement, c'est sous le coup d'une " crise " qu'ils se cabrent, et il y en a de toutes sortes : crises personnelles, familiales ou sociales, crises politiques aussi, qui périodiquement ébranlent les États et dont les vaincus savent qu'il n'y aura ni grâce ni pitié pour eux.
La soif de l'évasion fait aussi beaucoup de légionnaires. Plus notre époque enferme l'individu dans des réglements administratifs, et plus la Légion fascine les révoltés par le triple charme de l'inconnu, des horizons plus vastes, des risques et des chances à courir sur des terres nouvelles. C'est la liberté qu'ils choisissent, eux aussi, en secouant les contraintes qui les astreindraient comme civils à des besognes dégradantes de robots. Le monde, lorsqu'on y aura tout uniformisé, n'aura plus d'âme.
Légionnaire au Tonkin. (1883-1886.) Madagascar. 1896. " Une pacification qui n'a pas de meilleurs artisans que les Légionnaires, pétrissant de leurs mains créatrices des terres en friche pour les transformer en rizières, des vallées endormies pour en faire des artères de vie. "
Même de nos jours, enfin, les vraies vocations de soldats, qu'attire un destin dangereux, ne sont pas rares. L'espèce survit, malgré bien des secousses, de ceux qui ont le goût du métier des armes et ne peuvent plus l'exercer, dans leur pays, d'une façon intéressante. Ces aventuriers militaires constituent le fonds de la Légion, sa meilleure et sa plus nombreuse substance.
Ces mercenaires-nés, c'est de grandes actions qu'ils rêvent et d'une vie qui vaille vraiment la peine d'être vécue. Certes, les têtes brûlées ne manquent pas dans le lot, ni les gaillards qui ont déjà vu du pays et encaissé quelques coups durs. Rien de mieux, si le coeur et les muscles sont intacts. On s'en arrange toujours. La Légion ne recherche pas les enfants de choeur.
Issus de tous les pays, de tous les milieux, de tous les revers, les légionnaires ont pourtant un trait commun : ce ne sont jamais des médiocres. Le coup de tête qui a rompu leurs amarres est la réaction de l'énergie, celle du vaincu qui ne se résigne pas à la défaite, du captif qui brise ses liens, de l'égaré qui ne veut pas se dégrader davantage, du déveinard qui prend le mauvais sort à la gorge, de tous ceux qui, malgré les déceptions et les échecs, croient encore à la beauté et à la vertu de l'effort.
Le plus souvent, ceux qui sont venus chercher l'oubli à la Légion gardent jusqu'au bout le silence, et la mort seule livre parfois une partie de leur secret. Ainsi allait-on enterrer, à Magenta, un simple légionnaire dans la fosse commune, quand un des camarades protesta, réclamant pour lui les honneurs dus au dernier descendant du roi Sobieski qui avait jadis sauvé Vienne, assiégée par les Turcs. Ces dires furent reconnus exacts et une cour étrangère fit des funérailles quasi royales à cet obscur soldat.
Un autre cas, malgré les consignes données pour l'étouffer, fit quelque bruit en 1897, année où une épidémie de typhus en Algérie fit de nombreuses victimes et, parmi elles, un légionnaire fort réservé et d'une parfaite distinction. Son commandant de compagnie, le capitaine Mérolli, qui recueillit son dernier soupir, apprit de sa propre bouche alors qu'il était prince de Hohenzollern, cousin de Guillaume II et général de division allemand. Prévenu, le Kaiser envoya dans le port d'Oran un croiseur pour récupérer la dépouille de ce prince du sang de la Maison de Prusse.
On relève à la Légion, sous le nom de Rose, un colonel anglais de l'armée des Indes, sous celui de Philippe un fils du maréchal Marmont et la médaille militaire y fut attribuée, après quinze ans de service, à un noir, fils du roi Béhanzin. Plus près de nous, c'est un fils naturel de Maxime Gorki qui manifeste sa réprobation des idées de son père en se faisant légionnaire.
La Légion a produit des hommes d'affaires, de grands chefs d'entreprises, comme l'industriel suisse Kohler, qu'une grave blessure, cependant, avait privé de la vue. Elle a nourri de sa sève et de sa flamme le peintre polonais Kissling, les écrivains Blaise Cendrars et Georges R. Manue, le valeureux poète américain Alan Seeger, le barde jurassien Arthur Nicolet. Notons aussi que deux prélats en exercice, Mgr Maziers, évêque de Saint-Flour, et Mgr Stourm, évêque d'Amiens, sont d'anciens légionnaires, ce qui prouve que la Légion, si on y trouve de tout, mène aussi à tout.
Un métier de seigneurs
Le trait commun le plus significatif des officiers français choisissant la Légion au sortir de Saint-Cyr est leur goût de l'indépendance, assorti à une recherche - assez peu répandue, même dans l'armée - des responsabilités. Ils ne peuvent mieux le satisfaire qu'à la Légion, car ses bataillons ont en général de larges fronts à explorer ou à surveiller. Leurs éléments sont répartis sur des positions souvent très éloignées les unes des autres. Nombreux sont les postes, tenus par une simple section, qui contrôlent de vastes secteurs et qu'aucun secours immédiat ne peut atteindre en cas d'attaque. Des reconnaissances montées ou portées opèrent isolément, de leur côté, sur des parcours de plusieurs milliers de kilomètres que ni base ni refuge ne jalonnent. Les jeunes capitaines, les lieutenants de vingt-trois ou vingt-quatre ans, investis de ces commandements, sont entièrement livrés à eux-mêmes avec quelques poignées de légionnaires. Le succès, quand l'imprévu, toujours redoutable, se présente, ne dépend que de leurs initiatives.
Souvent même on a, parmi eux, l'impression qu'il faut être en état de grâce pour bien exercer de pareils commandements, et c'est ce que voulait dire sans doute le général Gardy, inspecteur de la Légion Etrangère, dans son message d'adieu à ses officiers :
- Soyez toujours des seigneurs ! Soyez purs et forts, aventureux et résolus.
Des seigneurs, et qui ne craignaient pas grand-chose, tels ont été, d'âge en âge, les chefs que s'est donnés la Légion, avec cette marque distinctive d'un souverain détachement des biens de ce monde, d'un total mépris des calculs personnels.
Quelques-uns seulement doivent être dès à présent cités pour la grande renommée qu'ils ont acquise : les maréchaux de Saint-Arnaud, Mac-Mahon et Canrobert, les généraux Bedeau, de Négrier, Drude, Brûlard, François, Mordacq, tous à jamais marqués par leurs années de Légion. Mais la première place, sur ce palmarès, revient de droit au vieux héros qui a traîné avec elle sur tous les champs de bataille son invariable tenue de toile kaki, ses espadrilles et une vieille ombrelle rouge trouée par les balles, à l'inoubliable général Rollet, surnommé le " père de la Légion " où le poste d'inspecteur fut spécialement créé pour lui permettre d'y achever sa carrière.
Un même vent d'épopée a fait retentir de nos jours les noms de Gardy, de Koenig, de Brunet de Sairigné, de Gaultier, de Jeanpierre, de Monclar, qui rendit ses étoiles de général pour prendre le commandement du bataillon des volontaires de Corée. Plus lourdes que celles des autres troupes, les pertes en officiers de la Légion divulguent leur intrépidité.
Compagnie montée. Le génie de savoir s'adapter à toutes les situations.
Officiers à titre étranger et sous-officiers de carrière
Une de ses touches les plus vives manquerait à la fresque des gloires légionnaires si l'on n'y situait, auprès de leurs camarades français, les officiers étrangers qui, aujourd'hui comme hier, y prennent la relève des condottieri. Ils n'ont rien innové. De tout temps, de grands soldats qui n'étaient pas fils de France ont mis leur épée à son service et on en compte un bon nombre qui ont reçu de nos rois le bâton fleurdelisé : les Broglie, les d'Ornano, le comte allemand Schomberg, le Danois Lowendal, l'Anglais Berwick, fils de roi, dont Villars enviait le trépas héroïque au siège de Philippsburg ; de sang royal aussi, Maurice de Saxe, le vainqueur de Fontenoy ; sous l'Empire, le héros polonais Poniatowski.
Le premier chef de la Légion Etrangère fut un Suisse, le colonel Stoffel, dont un mot a fait fortune :
- Que voulez-vous que ça me foute à moi que la paix soit signée ! Je ferai toujours la guerre.
Le 1er Étranger fut de main de maître commandé par l'ancien guérillero Martinez, un homme superbe qui avait été l'amant de la reine d'Espagne et l'aide de camp du chef carliste Cabrera, avant de gagner à la Légion ses galons de colonel. En 1855, Napoléon III place à sa tête le général zurichois Ochsenbeim. L'Autriche lui donne un Montecucculi, qui s'est battu aux zouaves pontificaux, et le commandant de Freudenreich, issu d'une branche protestante des Joyeuse qui, en émigrant, a germanisé son nom.
Elle a eu des officiers allemands : le lieutenant Milson von Bolt, né du mariage morganatique d'un prince de Prusse et qui, par la suite promu chef d'escadrons de Uhlans, appartint à l'état-major de son cousin, le prince Frédéric-Charles ; le capitaine bavarois Lissignolo, qui, après huit ans de Légion, fut aussi réintégré dans l'armée allemande et sauva d'une mort certaine, à Bazeilles, les défenseurs de la maison des " dernières cartouches " ; l'ordre vint de lui, qui laissait leurs sabres aux officiers, parmi lesquels se trouvait le futur maréchal Gallieni. Pendant cette même campagne de 187o-71, un jeune Saint-Cyrien qui deviendra le roi Pierre ter de Serbie fait ses premières armes à la Légion sous le nom du sous-lieutenant Kara.
Le général Zédé y débute dans un bataillon où servent - avec le capitaine Bonaparte, petit-fils de Lucien - le capitaine italien Giovanelli, déserteur des Bersaglieri, et un fils du démagogue Pierre Leroux, également déserteur.
En 1903, la Légion perd un de ses paladins en la personne du lieutenant danois Selchauhansen, mortellement frappé au combat d'Él-Moungar. Mais, à quelques lustres de là, son compatriote, le commandant Aage de Danemark, petit-fils de Louis-Philippe par la princesse Marie d'Orléans, sa mère, s'immortalise sur ses brisées.
La Légion s'est fait un devoir aussi d'embaucher les meilleurs des officiers tzaristes qui avaient tout perdu dans les débâcles successives de la contre-révolution. Ils lui ont apporté, en y échangeant leurs anciens grades contre des grades toujours très inférieurs, d'éminents états de service. On les traitait avec de justes égards. Nul, par exemple, au 1er Étranger de cavalerie, n'oubliait, quand paraissait le sous-lieutenant Hreschatisky, qu'il avait été général de division en Russie.
L'exode pour certains fut fertile en péripéties et ils ont eu, parfois, dans les bouleversements de l'après-guerre, d'extraordinaires destinés d'officiers de fortune. A sa retraite, le commandant Alexandre de Knorré pouvait ainsi libeller sa carte de visite :
Ancien capitaine de la Garde impériale Izmailarsky, Ancien capitaine général à la Division des Cosaques de S.M. le Shah de Perse,
Ancien chef de bataillon à la Légion Etrangère, Commandant honoraire des Carabiniers de la Garde de S.A.S. le prince de Monaco.
S'adressant au capitaine prince David Chalikachvili, les légionnaires russes du 4ème Étranger ne l'appelaient que " Votre Excellence ", car ce satrape eurasien au profil de gerfaut avait commandé l'école de cavalerie de Tiflis.
Avec lui commence à la Légion une dynastie de princes géorgiens dont le dernier en date, le lieutenant-colonel Amilakvari, commandait à Bir-Hakeim la 13ème Demi-Brigade et fut tué à l'attaque d'Él-Himeimat - en deux lignes dépeint par cette citation fulgurante : " A réussi à étonner sa troupe par un courage qui était sans mesure. "
Sur ce plan encore, la France affiche un bilan qui n'a nulle part son pareil. On ne peut sans fierté parcourir l'état des officiers étrangers fameux qui lui ont fait hommage de leurs gloires passées et de leurs talents, considérant comme un suprême honneur d'exercer sous ses drapeaux un commandement, même modeste.
Des raisons analogues assurent à la Légion un remarquable encadrement de sous-officiers. Dans cette multitude où toutes les professions sont représentées, les hommes instruits ou qui ont déjà appris à commander abondent et le choix des gradés est d'autant plus facile qu'on y trouve beaucoup d'anciens sous-officiers et même d'anciens officiers des armées étrangères.
La discipline des traditions
Tous les légionnaires jusqu'en juillet 1962 passent par Sidi-Bel-Abbès, siège du 1er Étranger. C'est là, dans le creuset de la " maison-mère ", qu'une transformation à double effet les change en professionnels qualifiés de la guerre et les régénère moralement.
Si sévère qu'y soit leur dressage dans des compagnies spéciales d'instruction, les méthodes employées n'ont rien de commun avec la "schlague ". Elles s'adressent à leur intelligence et la plupart, dont cet entraînement intensif accroit l'endurance, découvrent en eux des possibilités physiques qu'ils ignoraient.
Le portail du Quartier Vienot, à Sidi-bel-Abbès, où tous les légionnaires commençaient leur carrière et, quand la mort n'avait pas voulu d'eux, la finissaient.
Un premier reclassement s'effectue parmi ces hommes qui ne sont pas, comme d'aucuns le disent, des hors-la-loi, mais des isolés et des déracinés, à qui il faut d'abord rendre le sentiment de leur dignité. La Légion, en les perfectionnant dans des emplois qui correspondent à leurs aptitudes et dont ils pourront vivre plus tard, les réintègre d'ores et déjà dans la société.
Mais le plus puissant soutien de son action psychologique est le climat de Sidi-Bel-Abbès, son décor impressionnant, ses spectacles militaires grandioses, qui ne tardent pas à disperser leurs fantômes. La Légion y apparaît dans ses fastes. A ces gens qui n'avaient plus rien et souvent se croyaient finis, elle offre un héritage de gloire fabuleux. Elle leur inculque ses traditions et cette discipline morale ne leur est pas enseignée dans la morne indifférence d'un dépôt, mais dans les rangs du plus vieux régiment étranger, qui les exploite avec un dynamisme fracassant.
Le culte des morts en est la base. Toutes les cérémonies légionnaires - et on les multiplie à Bel-Abbès - célèbrent leur sacrifice ; l'engagement à suivre leur exemple y est implicitement renouvelé, face au monument qui, dans la cour d'honneur de la caserne Vienot, attire tous les regards par ses dimensions et son expressive allégorie.
A quelques pas, d'autres lieux saints édifient les légionnaires. Ils ont accès à un vertigineux Musée du Souvenir, où les drapeaux, les fanions, les trophées qui chantent la longue histoire de la Légion flamboient à travers une suite de salles aux noms ailés : le Temple des Héros, la salle du Commandement, la salle des Batailles, d'autres consacrées aux campagnes anciennes ou récentes. Qui a médité dans ce sanctuaire, son âme en reste à jamais envoûtée et fascinée.
Et les vieux légionnaires sont là, magnifiques sous les armes, pour stimuler les nouveaux au cours des parades qui les rassemblent avec un apparat propre à frapper l'imagination. Aucune troupe au monde n'a des têtes de colonne comparables à celles de la Légion, et particulièrement les sapeurs, obligatoirement barbus, portant des tabliers de cuir et sur l'épaule des haches, emblèmes du travail constructif.
Quant à la musique, celle du 1er Étranger, entre toutes réputée et à volonté transformable en orchestre symphonique, interprète avec la même maîtrise une sonate classique, une ouverture de Wagner et les hymnes de la guerre.
Actuellement significatif de la Légion, son képi blanc est d'origine récente. Il dérive du couvre-képi de toile kaki, prolongé par un couvre-nuque, que les légionnaires, unanimes à abhorrer même sous les climats tropicaux le casque colonial, portaient sur le vieux képi de la Ligne. D'autres coiffures, d'ailleurs, le remplacent parfois - bérets verts des parachutistes, gourkas des cavaliers, chapeaux de brousse - sans modifier la silhouette classique du légionnaire, avec la large ceinture bleue qui lui sangle sous le ceinturon la taille, la cravate verte, en grande tenue les guêtres blanches et les épaulettes rouges à tournante verte que seuls les régiments étrangers ont conservées. Le numéro des unités s'inscrit dans la bombe creuse de la grenade à sept flammes, dont deux en retour, qui est sa signature, comme le vert et le rouge sont ses couleurs, seules à se marier sur ses fanions.
Sûre de leur efficacité, la Légion ne défend pas moins jalousement les traditions de ses fêtes de corps. La plus sacrée et la plus importante est la célébration, le 30 avril, de l'anniversaire du combat de Camerone. Aucune unité, même en opérations ou dans les postes isolés, n'y manque et, dans le monde entier pareillement, un banquet ou un vin d'honneur réunit ce jour-là les anciens légionnaires qui y sont disséminés.
Pourquoi ce choix de Camerone, fait d'armes lointain et apparemment bien secondaire, alors que la Légion, comme le clamait le général Deligny, a tant de titres de gloire à son actif que les plis de ses drapeaux ne peuvent les contenir ? Pourquoi aux noms de feu que la victoire y a brodés avoir préféré, pour le solenniser, celui d'une obscure hacienda mexicaine, où soixante légionnaires et leurs trois officiers, cernés par une multitude d'ennemis, firent le serment de mourir les armes à la main et le tinrent ? Un revers incontestablement, puisqu'ils ont été écrasés, une défaite. Mais, en cette défaite, les initiés admirent l'exemple de l'héroïsme le plus pur, du sacrifice total à la parole donnée, du geste gratuit dédié aux seules exigences de l'honneur - et le maréchal d'Esperey souhaitait que la conscience nationale plaçât le massacre de Camerone sur les mêmes cimes que Roncevaux, qu'Alésia, que le bûcher de Rouen et la tranchée des Baïonnettes.
De cet engagement sanglant, les légionnaires ont tiré une de leurs expressions courantes : pour eux, " faire Camerone " signifie prendre la décision, quand tout espoir de vaincre a disparu, de ne pas survivre à la perte des positions confiées à leur honneur - et les récentes campagnes ne leur ont pas ménagé les occasions de tenir ainsi leur serment jusqu'à ce que la mort les en déliât.
Cette tradition légionnaire forge des hommes nouveaux : libres de leur vie intérieure, de leurs rêves, de tous soucis, ils cultivent en eux l'imagination et l'invention qui les amuse. Sous un masque de dureté, ce sont d'abord des sentimentaux, qui ne méprisent pas d'écrire des poèmes. Des chants de tous les pays bercent dans leur coeur la nostalgie de l'amour, et parfois ce goût du cafard qui les frappe lors de leurs rares périodes d'inaction. Rien pour eux n'est à l'échelle normale - ni les austérités, ni les sacrifices. Aussi ne doit-on pas s'étonner de les voir rechercher quelques dérivatifs dans une cuite ou auprès des filles que leur imagination couvre de tendresse.
Leur amour pour les enfants et les bêtes exprime le même besoin d'une vie sentimentale. La Légion trimbale à titre de mascottes tous les animaux de la création.
Enfin un mot livre la clef de l'énigme que pose encore, pour beaucoup, son comportement. Ce mot, c'est l'orgueil. Orgueil d'appartenir à un corps coutumier de performances extraordinaires et qui fait chaque jour des miracles. Non pas que les légionnaires revendiquent le monopole des actions d'éclat. Mais ils savent qu'ils sont toujours les mieux placés là où un coup dur se prépare, et ils en tirent même vanité.
Ainsi sont-ils pris dans un engrenage de traditions qui leur insufflent l'esprit de la Légion. Pierre à pierre un rempart s'élève, derrière lequel leur passé s'obscurcit. Les premiers combats font le reste, cuirassant leur âme et leur révélant les fortes ivresses d'une solidarité où les vivants exécutent les ordres des morts.
Re: la Légion Etrangère vu par l'écrivain Jean des Vallières
Les Légionnaires ont un trait commun :
Ce ne sont jamais des médiocres
L'ancienne Légion
La révolution de 1830 a déclenché des mouvements insurrectionnels dans plusieurs pays d'Europe qui sont encore sous le joug. Mais sauf à Bruxelles, que les Hollandais doivent évacuer, ces soulèvements échouent. Les canons du Tsar hachent Varsovie. Non moins brutalement, Metternich rétablit l'ordre à Parme, en Romagne et en Ombrie. En masse, les réfugiés politiques italiens et polonais, auxquels s'ajoutent des proscrits d'Espagne, s'abattent sur la France, où le gouvernement en est d'autant plus embarrassé qu'une grave crise de chômage y sévit.
Le licenciement de la garde suisse et des régiments étrangers, d'autre part, a augmenté le nombre des militaires en demi-solde qui grèvent sans profit le budget de l'Etat. Le seul moyen de résorber ces divers surplus est de les embrigader pour l'Afrique du Nord, où nos troupes trop peu nombreuses piétinent, d'Alger à Oran, dans la zone côtière. Entreprise par Charles X, cette expédition est de ce seul fait impopulaire et les Français, tout à assouvir leurs passions révolutionnaires, ont laissé sans réponse les appels du général Berthezène qui réclame à cor et à cri des renforts.
Telles, sont les nécessités, sur le moment très urgentes, qui ont conduit le roi Louis-Philippe à créer la Légion Etrangère. L'ordonnance royale du 9 mars 1831 qui l'institue porte la signature du maréchal Soult, ministre de la Guerre, et pose, dans ses neuf articles, les principes qui la régissent encore. N'y sont admis que les étrangers qui contractent un engagement volontaire et présentent un certificat de l'autorité militaire, constatant qu'ils ont les qualités requises pour faire un bon service. " En l'absence de pièces, l'étranger sera renvoyé devant l'officier général qui décidera si l'engagement peut être reçu. " C'est cette dernière disposition qui permet aux légionnaires de ne pas déclarer leur véritable identité.
Destinée à la guerre d'Afrique, la Légion comprend initialement sept bataillons formés comme ceux de l'infanterie de ligne : un bataillon de vétérans des régiments de Hohenlohe, deux bataillons d'Allemands et de Suisses, un bataillon espagnol, un bataillon italo-sarde, un bataillon de Belges et de Hollandais, le dernier exclusivement composé d'officiers et de soldats polonais rescapés des massacres de Varsovie. Ce groupement des légionnaires par nationalités accentue dans une pareille troupe, qui n'a pas encore de traditions, l'inconvénient de son hétérogénéité. Elle se révèle, au début, d'un maniement difficile.
Mais le colonel suisse Stoffel, qui a pris le commandement de la Légion, est un vieux soldat de l'Empire dont la poigne de fer brise toutes les résistances.
Il dispose au bout de quelques mois d'une troupe aguerrie et obéissante, dont les diversités s'estompent. Elle ne s'est encore mesurée avec l'ennemi qu'au cours de quelques escarmouches, car la politique d' " occupation restreinte " prescrite par le gouvernement ralentit les opérations. Mais, à sa faveur, la vocation de la Légion se dessine, qui est de légitimer la présence française en améliorant les conditions de vie des indigènes. Sans attendre même que la sécurité y règne, elle entreprend la mise en valeur du pays, cultivant, plantant, forant des puits, assainissant les marais, élevant des digues ou creusant des canaux d'irrigation. Un remarquable ouvrage déjà démontre ses capacités : entre Douera et Boufarik, la route encore dite " Chaussée de la Légion ", qui, surélevée de deux mètres, traverse d'impraticables marécages, avec une bordure, tout du long, de peupliers et de fontaines.
C'est aux avant-postes de Maison-Carrée, le 27 avril 1832, qu'elle reçoit le baptême du feu. Ses bataillons allemands et suisses y mettent en déroute la tribu des El-Ouffia. La lutte n'engage ensuite à Sidi-Chabal contre le jeune émir de Mascara, Abd-el-Kader, et la Légion, l'année suivante, lui enlève les places d'Arzew et de Mostaganem. Pour la récompenser, le colonel Combes, qui a succédé au colonel Stoffel, lui remet au nom du roi son premier drapeau ; des compagnies d'élite y sont créées, qui portent l'épaulette à franges rouges des grenadiers.
Une décision presque incroyable frappe en 1835 la Légion, bien que sa légende déjà la fasse comparer à la garde impériale. En exécution d'une convention passée avec l'Angleterre, Louis-Philippe la cède - colonel, officiers et armement compris - à la reine Isabelle II d'Espagne, pour défendre son trône contre don Carlos. Son serment d'obéissance l'oblige à s'incliner.
Les transports qui en ont pris livraison la déposent d'abord aux Baléares et le colonel Bernelle profite de cette escale pour refondre ses bataillons en y mêlant les légionnaires sans distinction d'origine. Sage mesure qui prévaudra par la suite et consacrera leur unité.
Le débarquement du 19 août 1835 à Tarragone précède de peu leur incorporation à l'armée royale - et un des plus douloureux chapitres de l'histoire de la Légion commence sur ce sol ingrat où une longue et impitoyable guerre va la dévorer tout entière. Les troupes régulières se montrent partout inférieures aux bandes de guérilleros qui utilisent le terrain avec une agilité remarquable et ont toute la population pour eux. Les chefs carlistes, en outre, rivalisent de férocité. Ils ne font pas de quartier, massacrent tous les prisonniers et, comprenant que seule la Légion leur donnera du fil à retordre, dressent leurs tireurs à ajuster d'abord ses épaulettes.
Malgré deux victoires éclatantes, la Légion, que ni Madrid, ni Paris ne soutiennent n'est bientôt plus, à Pampelune, qu'un tout petit bataillon que son dénuement réduit à l'impuissance. L'Espagne s'en débarrasse en la licenciant. Cent vingt-trois officiers manquent à l'appel et, sur les quatre mille cent hommes débarqués à Tarragone, cent cinquante-neuf seulement repassent par petits groupes misérables la frontière des Pyrénées - cent cinquante-neuf enragés qui, conduits à Pau, y rengagent sur-le-champ dans la nouvelle Légion que le gouvernement français vient de lever.
La conquête de l'Algérie
Les bataillons cédés à l'Espagne ont gravement fait défaut en Algérie, où nous ne sommes pas en brillante posture.
Une nouvelle ordonnance royale rétablit donc la Légion, à l'effectif d'abord d'un régiment, le 1er Etranger, sous les ordres du commandant Bedeau. Mais le nombre des volontaires permettra vite d'en créer un second et il n'y aura plus, désormais, dans notre histoire militaire, un rebondissement où la Légion ne se taille la part du lion. Sur tous les continents, elle incarnera la volonté secourable de la France. C'est elle qui, la première, interviendra partout où sa souveraineté sera menacée.
Rodé par plusieurs mois d'échauffourées autour d'Alger, le 1er Etranger envoie, en octobre 1837, un de ses bataillons au général Damrémont qui a monté une nouvelle opération outre Constantine. Des pluies diluviennes en compromettent d'entrée la réussite. L'artillerie s'embourbe. Les troupes sont submergées dans leurs bivouacs, que d'insaisissables partisans harcèlent nuit et jour. L'ancienne Cirta des Numides, par surcroît, semble défier toute attaque sur le rocher où les gorges vertigineuses du Rummel la ceignent presque complètement. Elle n'est accessible que sur l'étroit plateau de Koudiat-Ali, défendu par trois étages de feux et soixante-trois canons. Fort d'un précédent succès, le calife Ben-Aïssa, dont les magasins regorgent de vivres et de munitions, y a massé ses infanteries turque et kabyle que leurs muphtis ont fanatisées. Un bombardement ininterrompu contient l'assiégeant dans ses retranchements inondés. Le général Damrémont est tué, tué le Colonel Combes qui a commandé l'ancienne Légion. Une sortie en force des Turcs, le 7 octobre, tente d'enfoncer les positions tenues par les légionnaires, qui les reconduisent vigoureusement ; le sergent-chef Doze leur prend un drapeau, encore exposé aux Invalides.
Le 13, nos canons n'ont plus que quelques obus à tirer. Il faut en finir. Une brèche faite, on y précipite le bataillon de la Légion qui la franchit sous des rafales meurtrières, malgré l'écroulement d'un mur qui l'obstrue en partie. Il s'engouffre dans un dédale de ruelles coupées de barricades et où, de toutes les fenêtres, l'ennemi le fusille à bout portant.
La moitié des officiers et des sous-officiers périssent ; mais la défense, débordée, cède et la ville se rend. " La Légion s'est immortalisée ; nous avons pris rang à la tête de l'armée ", écrit le futur maréchal de Saint-Arnaud, qui a conduit une de ses compagnies à l'assaut.
De ce jour on la renforce, la portant bientôt à cinq bataillons, et le commandement, qui la tient pour son meilleur outil, l'engage de tous les côtés à la fois. Elle chasse de la Mitidja les hordes d'Abd-el-Kader qui, une trêve à peine signée, l'a rompue.
Dès sa prise de commandement, le général Bugeaud, dont le premier objectif est d'éliminer Abd-el-Kader, institue de nouvelles méthodes de guerre : centres de résistance moins nombreux, mais plus forts ; ratissage permanent de leurs intervalles par les troupes ainsi récupérées et qu'on rend très mobiles en allégeant leur équipement.
Abd-el-Kader, d'après le dessin d'un officier de l'Armée d'Afrique. Guerrier émérite, doublé d'un prêtre pieux, lettré qui laissera des poèmes étranges et des ouvrages de philosophie. Un curieux mélange d'homme d'action impitoyable et de philosophe-poète.
Cette guerre de chasse et de longues courses s'accorde à merveille avec le caractère aventureux des légionnaires et avec leur endurance. Bugeaud l'expérimente dans le cercle de ses postes de l'Ouarsenis et le plus beau succès qu'il en obtient est l'enlèvement par le duc d'Aumale, dans le djebel Amour, d'une ville mouvante de trente mille âmes : la smalah d'Abd-el-Kader.
Le colonel Morris chargeant. Prise de la smalah d'Abd-el-Kader. Tableau d'Horace Vernet 16 mai 1843. Abd-el-Kader n'avait plus rien, ni famille, ni argent, ni soldats. Le sud-Oranais tombait aux mains des Français
Bugeaud, Avant Lyautey, le plus grand nom de la grande épopée africaine. La guerre, indispensable aujourd'hui, n'est pas un but. La conquête serait absurde sans la colonisation
Son plan comporte l'implantation, sur l'itinéraire de ses colonnes, de points d'appui où elles pourront se ravitailler et - événement qui fera date dans l'histoire de la Légion - le 7ème bataillon du 1er Etranger reçoit, en novembre 1843, l'ordre d'installer un de ces relais sur une petite colline dont le nom, Sidi-Bel-Abbès, ne désigne à cette époque qu'un Marabout décrépit. On n'y prévoit initialement qu'une enceinte autour d'un magasin de vivres. Mais, en raison de la position sur une ligne de communications importante, le poste reçoit bientôt une garnison permanente, qui y élève une redoute d'un hectare environ, abritant ses tentes, des baraques pour les approvisionnements et une ambulance.
Couverts de lentisques et de palmiers nains, les environs sont désertiques et marécageux. Mais les légionnaires, comme dans tous leurs gîtes d'étapes, se mettent au travail. Ils tracent des chemins, drainent les eaux stagnantes, plantent des arbres, flanquent leur poste d'une ferme, avec une surface de plus en plus étendue de terres cultivées. Quelques trafiquants, qui vivent aux dépens de la troupe, s'agglomèrent à proximité dans des habitations de fortune.
Six ans plus tard, le général Pélissier, visitant Sidi-Bel-Abbès, n'en croit pas ses yeux : " D'un camp vous avez fait une ville florissante, d'une solitude un canton fertile, image de la France.
Dans des remparts de pierre rouge, en effet, solidement maçonnés sur cinq mètres de hauteur, avec des bastions d'angle et quatre portes monumentales, une cité nouvelle a surgi de terre, entièrement bâtie par la Légion, qui a dessiné ses rues et les jardins qui en sont aujourd'hui le principal agrément. Tout autour, elle a planté un verger de quarante mille arbres où de nombreuses fermes se sont établies.
Et d'un bout à l'autre de l'Algérie, pareillement, la main-d'oeuvre légionnaire aide la colonisation à démarrer. Le réseau des routes qu'elle a tracées, s'étend sur des centaines de kilomètres au départ de Bône, d'Oran, de Philippeville, de Tlemcen et de Mascara - et sur tout leur parcours, des points d'eau et des abreuvoirs les jalonnent. Oran lui doit ses égouts et ses fontaines, Orléansville ses fortifications. Elle a construit les barrages de l'Isser, du Zig et du Mimoum, érigé des postes à Batna, Lalla-Marnia, Saint-Denis-du-Sig, Mascara et Rio Salado.
Ce faisant, cependant, les légionnaires n'ont pas cessé de se battre, car la défaite de ses alliés marocains à l'Isly n'a pas anéanti la puissance d'Abd-el-Kader. Une révolte générale éclate en 1845, marquée par une rencontre sanglante du 1er Etranger avec les Flittas dans le défilé de Mehab-Gharboussa. Il dégage Aïn-Temouchent, ensevelit les héros du 8ème Chasseurs à pied massacrés à Sidi-Brahim, réduit dans I'Oranais les Beni-Snassen descendus de leurs montagnes pour razzier, autour de Marnia, les tribus soumises.
De son côté, le 2ème Etranger participe aux opérations entreprises par le duc d'Aumale pour purger l'Aurès des rebelles que l'ancien bey de Constantine y a regroupés. Puis c'est ensuite au tour des massifs de la Kabylie.
A aucun moment les prélèvements faits sur la Légion pour alimenter d'autres théâtres d'opérations ne diminuent son activité algérienne. En 1867, elle pourchasse les Ouled-Sidi-Cheik, excités à la guerre sainte par l'agitateur Si-Slimane ; elle mate l'insurrection de 1871 et celle de Bou-Amama en 1882.
Pratiquement l'Algérie est alors pacifiée. Les grands travaux d'aménagement qui s'y poursuivent ne sont plus menacés que par les tribus turbulentes qui se démènent sur les confins sahariens, et plus particulièrement au voisinage du Maroc. C'est dans l'extrême sud que de nouvelles aventures attendent la Légion et d'ores et déjà elle y a dardé deux grandes voies de pénétration : la " route des Chotts " de Saïda à Géryville et celle de Saïda à Aïn-Sefra.
Les distances dans les régions semi-désertiques où elle va maintenant opérer sont énormes et il y faudra lutter de vitesse avec des adversaires très fluides. Pour augmenter son rayon d'action, le colonel de Négrier, qui la commande dans le sud-oranais, adopte la formule des compagnies montées : un mulet pour deux légionnaires, qui les porte alternativement, avec leurs munitions, leurs vivres et leurs bagages ; plus de sacs, ni de convois et, sans fatigue ainsi, des étapes doubles.
Il ne faut pas oublier de mentionner aussi, au titre de la conquête, les fouilles d'archéologie auxquelles la Légion s'est livrée sur ces marges du désert où, deux mille ans auparavant, les légions impériales l'ont précédée et où le même choix des positions favorables l'amène souvent à découvrir, en construisant ses postes, les vestiges d'un oppidum. Dès 1851, l'Académie des inscriptions et des belles-lettres signale, dans sa séance plénière, qu'elle a relevé les traces de plus de quarante présides et villes de l'Antiquité. Ces recherches d'histoire passionnent les légionnaires qui se tiennent, et fort justement, pour les continuateurs de la Rome ancienne. De nos jours encore, aucune unité de Légion en opération dans le sud-constantinois ne traversait Timgad ou Lambèse sans rendre les honneurs, devant leurs arcs de triomphe, aux légionnaires de la 6ème Ferrata et de la 3ème Augusta.
Les campagnes de Crimée et d'Italie
En juin 1854, une brigade fournie par le 1er et le 2ème Etranger prend la mer avec les forces que la France et l'Angleterre ont de bric et de broc rassemblées pour défendre la Turquie contre une imminente agression des Russes. Pour la première fois, la Légion, qui n'a guerroyé qu'en Afrique, va se mesurer avec une vieille armée européenne et elle en reviendra avec une nouvelle auréole d'invincibilité.
Objectif en Crimée : Sébastopol, place forte et principal port de guerre sur la mer Noire, où les troupes d'élite et la puissante flotte que le Tzar s'apprêtait à lancer sur Constantinople disposent d'importants arsenaux et d'énormes réserves de vivres.
Le prince Mentchikov, général en chef russe, bousculé par nos légionnaires se replie à marches forcées sur Sébastopol, dont il grossit encore la garnison, en s'y enfermant avec son armée.
D'excellentes fortifications bardent la citadelle. Bloquée par terre et par mer, elle est aussi riche en troupes qu'en munitions et ses défenseurs, bien abrités derrière leurs murs, bien chauffés, bien nourris, sont beaucoup mieux partagés que leurs adversaires dans des ouvrages de campagne où les intempéries de l'hiver russe leur causent autant de mal que l'artillerie ennemie. Enlisés sous des trombes d'eau dans la boue du plateau de Chersonèse, ils y font, avec un ravitaillement précaire, le dur apprentissage de la guerre de tranchées et les mois vont succéder aux mois sans adoucir pour eux les souffrances de cet interminable siège.
Batterie de mortiers et batterie de fusées, devant Sébastopol. 9 avril 1855.
Assaut de Sébastopol. Attaque du bastion central. 3 septembre 1875. " J'y suis, j'y reste. "
Les meilleurs épaulements sont ceux des légionnaires qui, rompus à retourner la terre, ont construit un solide réseau de barbettes et de casemates maçonnées, avec des boyaux profonds pour y acheminer les munitions. Par deux fois, à Inkerman et dans le ravin de la Quarantaine, ces vieux soldats, qu'on a surnommés les " ventres de cuir " à cause de leurs larges cartouchières africaines, brisent les sorties d'un ennemi aussi nombreux que mordant. En avril, enfin, le général Pélissier reprend l'initiative des opérations. Par une nuit de lune, il découple la Légion à l'assaut d'un ouvrage de contre approche, la redoute Schwarz, qu'elle conserve malgré les furieuses contre-attaques des Russes. Les officiers eux-mêmes s'entredéchirent à l'arme blanche.
Beau fait d'armes, mais qui nous revient cher : 480 blessés et 118 tués, parmi lesquels le colonel Viénot, mort l'épée au poing en entraînant ses hommes et dont on a magnifié la seigneuriale crânerie en donnant son nom à la caserne principale de Sidi-Bel-Abbès. ( Et depuis 1963, au camp du 1er Étranger, à Aubagne.)
Mort du colonel de Chabrière, à Magenta, le 4 juin 1859.
Le 7 juin, c'est la prise des ouvrages blancs, le 8 septembre celle de Malakoff' : cent volontaires de la Légion précèdent la colonne d'assaut pour planter contre le redan central les échelles et les madriers qui permettront de l'escalader.
- Dites à votre général que j'y suis et que j'y reste, répond Mac-Mahon à un officier anglais qui lui demande s'il compte se maintenir sur cette position apparemment indéfendable.
Les Russes, après avoir brûlé Sébastopol, s'en échappent la nuit. Ses ruines fouillées, la Légion les poursuit dans la vallée du Baïdar, avec la colonne dite " des choux ", en souvenir des jardins potagers où les combattants se remettent, en faisant bombance, des terribles restrictions du siège. Mais la campagne se solde par un déficit de 78 officiers et de 1625 légionnaires, tués ou blessés.
Une nouvelle brigade, cependant, de deux régiments étrangers débarque en mai 1859 à Gênes avec la division du général Espinasse - vieux légionnaire, lui aussi. Napoléon III, qui s'est fait le champion de l'indépendance italienne, a déclaré la guerre à l'Autriche. Il prend en personne le commandement de l'armée, avec l'espoir de cueillir, sur les mêmes champs de bataille, autant de lauriers que son oncle pendant la glorieuse campagne de 1796-1797. Mais ni lui, ni ses généraux, n'ont le génie militaire du jeune général Bonaparte. Leur principale chance est que les Autrichiens ne leur opposent également que de très médiocres stratèges. Seule, la furia francese l'emportera dans des rencontres violentes, dues au hasard plus qu'à un plan d'opérations valable.
Après la victoire de Magenta, qui lui est entièrement due, la légion fait une entrée triomphale dans Milan libérée. De toutes les fenêtres, les fleurs pleuvent sur sa tête et les belles Milanaises, élevées dans l'amour des capitaines de fortune, ne marchandent pas, dit-on, à ces vaillants les tendres élans de leur gratitude.
Après la signature de l'armistice, Paris à son tour accueille triomphalement l'armée d'Italie. Pour la première fois, la légion y défile, fleurie par une foule en délire. Les noms de Sébastopol et de Magenta flambent sur ses drapeaux.
Ce ne sont jamais des médiocres
L'ancienne Légion
La révolution de 1830 a déclenché des mouvements insurrectionnels dans plusieurs pays d'Europe qui sont encore sous le joug. Mais sauf à Bruxelles, que les Hollandais doivent évacuer, ces soulèvements échouent. Les canons du Tsar hachent Varsovie. Non moins brutalement, Metternich rétablit l'ordre à Parme, en Romagne et en Ombrie. En masse, les réfugiés politiques italiens et polonais, auxquels s'ajoutent des proscrits d'Espagne, s'abattent sur la France, où le gouvernement en est d'autant plus embarrassé qu'une grave crise de chômage y sévit.
Le licenciement de la garde suisse et des régiments étrangers, d'autre part, a augmenté le nombre des militaires en demi-solde qui grèvent sans profit le budget de l'Etat. Le seul moyen de résorber ces divers surplus est de les embrigader pour l'Afrique du Nord, où nos troupes trop peu nombreuses piétinent, d'Alger à Oran, dans la zone côtière. Entreprise par Charles X, cette expédition est de ce seul fait impopulaire et les Français, tout à assouvir leurs passions révolutionnaires, ont laissé sans réponse les appels du général Berthezène qui réclame à cor et à cri des renforts.
Telles, sont les nécessités, sur le moment très urgentes, qui ont conduit le roi Louis-Philippe à créer la Légion Etrangère. L'ordonnance royale du 9 mars 1831 qui l'institue porte la signature du maréchal Soult, ministre de la Guerre, et pose, dans ses neuf articles, les principes qui la régissent encore. N'y sont admis que les étrangers qui contractent un engagement volontaire et présentent un certificat de l'autorité militaire, constatant qu'ils ont les qualités requises pour faire un bon service. " En l'absence de pièces, l'étranger sera renvoyé devant l'officier général qui décidera si l'engagement peut être reçu. " C'est cette dernière disposition qui permet aux légionnaires de ne pas déclarer leur véritable identité.
Destinée à la guerre d'Afrique, la Légion comprend initialement sept bataillons formés comme ceux de l'infanterie de ligne : un bataillon de vétérans des régiments de Hohenlohe, deux bataillons d'Allemands et de Suisses, un bataillon espagnol, un bataillon italo-sarde, un bataillon de Belges et de Hollandais, le dernier exclusivement composé d'officiers et de soldats polonais rescapés des massacres de Varsovie. Ce groupement des légionnaires par nationalités accentue dans une pareille troupe, qui n'a pas encore de traditions, l'inconvénient de son hétérogénéité. Elle se révèle, au début, d'un maniement difficile.
Mais le colonel suisse Stoffel, qui a pris le commandement de la Légion, est un vieux soldat de l'Empire dont la poigne de fer brise toutes les résistances.
Il dispose au bout de quelques mois d'une troupe aguerrie et obéissante, dont les diversités s'estompent. Elle ne s'est encore mesurée avec l'ennemi qu'au cours de quelques escarmouches, car la politique d' " occupation restreinte " prescrite par le gouvernement ralentit les opérations. Mais, à sa faveur, la vocation de la Légion se dessine, qui est de légitimer la présence française en améliorant les conditions de vie des indigènes. Sans attendre même que la sécurité y règne, elle entreprend la mise en valeur du pays, cultivant, plantant, forant des puits, assainissant les marais, élevant des digues ou creusant des canaux d'irrigation. Un remarquable ouvrage déjà démontre ses capacités : entre Douera et Boufarik, la route encore dite " Chaussée de la Légion ", qui, surélevée de deux mètres, traverse d'impraticables marécages, avec une bordure, tout du long, de peupliers et de fontaines.
C'est aux avant-postes de Maison-Carrée, le 27 avril 1832, qu'elle reçoit le baptême du feu. Ses bataillons allemands et suisses y mettent en déroute la tribu des El-Ouffia. La lutte n'engage ensuite à Sidi-Chabal contre le jeune émir de Mascara, Abd-el-Kader, et la Légion, l'année suivante, lui enlève les places d'Arzew et de Mostaganem. Pour la récompenser, le colonel Combes, qui a succédé au colonel Stoffel, lui remet au nom du roi son premier drapeau ; des compagnies d'élite y sont créées, qui portent l'épaulette à franges rouges des grenadiers.
Une décision presque incroyable frappe en 1835 la Légion, bien que sa légende déjà la fasse comparer à la garde impériale. En exécution d'une convention passée avec l'Angleterre, Louis-Philippe la cède - colonel, officiers et armement compris - à la reine Isabelle II d'Espagne, pour défendre son trône contre don Carlos. Son serment d'obéissance l'oblige à s'incliner.
Les transports qui en ont pris livraison la déposent d'abord aux Baléares et le colonel Bernelle profite de cette escale pour refondre ses bataillons en y mêlant les légionnaires sans distinction d'origine. Sage mesure qui prévaudra par la suite et consacrera leur unité.
Le débarquement du 19 août 1835 à Tarragone précède de peu leur incorporation à l'armée royale - et un des plus douloureux chapitres de l'histoire de la Légion commence sur ce sol ingrat où une longue et impitoyable guerre va la dévorer tout entière. Les troupes régulières se montrent partout inférieures aux bandes de guérilleros qui utilisent le terrain avec une agilité remarquable et ont toute la population pour eux. Les chefs carlistes, en outre, rivalisent de férocité. Ils ne font pas de quartier, massacrent tous les prisonniers et, comprenant que seule la Légion leur donnera du fil à retordre, dressent leurs tireurs à ajuster d'abord ses épaulettes.
Malgré deux victoires éclatantes, la Légion, que ni Madrid, ni Paris ne soutiennent n'est bientôt plus, à Pampelune, qu'un tout petit bataillon que son dénuement réduit à l'impuissance. L'Espagne s'en débarrasse en la licenciant. Cent vingt-trois officiers manquent à l'appel et, sur les quatre mille cent hommes débarqués à Tarragone, cent cinquante-neuf seulement repassent par petits groupes misérables la frontière des Pyrénées - cent cinquante-neuf enragés qui, conduits à Pau, y rengagent sur-le-champ dans la nouvelle Légion que le gouvernement français vient de lever.
La conquête de l'Algérie
Les bataillons cédés à l'Espagne ont gravement fait défaut en Algérie, où nous ne sommes pas en brillante posture.
Une nouvelle ordonnance royale rétablit donc la Légion, à l'effectif d'abord d'un régiment, le 1er Etranger, sous les ordres du commandant Bedeau. Mais le nombre des volontaires permettra vite d'en créer un second et il n'y aura plus, désormais, dans notre histoire militaire, un rebondissement où la Légion ne se taille la part du lion. Sur tous les continents, elle incarnera la volonté secourable de la France. C'est elle qui, la première, interviendra partout où sa souveraineté sera menacée.
Rodé par plusieurs mois d'échauffourées autour d'Alger, le 1er Etranger envoie, en octobre 1837, un de ses bataillons au général Damrémont qui a monté une nouvelle opération outre Constantine. Des pluies diluviennes en compromettent d'entrée la réussite. L'artillerie s'embourbe. Les troupes sont submergées dans leurs bivouacs, que d'insaisissables partisans harcèlent nuit et jour. L'ancienne Cirta des Numides, par surcroît, semble défier toute attaque sur le rocher où les gorges vertigineuses du Rummel la ceignent presque complètement. Elle n'est accessible que sur l'étroit plateau de Koudiat-Ali, défendu par trois étages de feux et soixante-trois canons. Fort d'un précédent succès, le calife Ben-Aïssa, dont les magasins regorgent de vivres et de munitions, y a massé ses infanteries turque et kabyle que leurs muphtis ont fanatisées. Un bombardement ininterrompu contient l'assiégeant dans ses retranchements inondés. Le général Damrémont est tué, tué le Colonel Combes qui a commandé l'ancienne Légion. Une sortie en force des Turcs, le 7 octobre, tente d'enfoncer les positions tenues par les légionnaires, qui les reconduisent vigoureusement ; le sergent-chef Doze leur prend un drapeau, encore exposé aux Invalides.
Le 13, nos canons n'ont plus que quelques obus à tirer. Il faut en finir. Une brèche faite, on y précipite le bataillon de la Légion qui la franchit sous des rafales meurtrières, malgré l'écroulement d'un mur qui l'obstrue en partie. Il s'engouffre dans un dédale de ruelles coupées de barricades et où, de toutes les fenêtres, l'ennemi le fusille à bout portant.
La moitié des officiers et des sous-officiers périssent ; mais la défense, débordée, cède et la ville se rend. " La Légion s'est immortalisée ; nous avons pris rang à la tête de l'armée ", écrit le futur maréchal de Saint-Arnaud, qui a conduit une de ses compagnies à l'assaut.
De ce jour on la renforce, la portant bientôt à cinq bataillons, et le commandement, qui la tient pour son meilleur outil, l'engage de tous les côtés à la fois. Elle chasse de la Mitidja les hordes d'Abd-el-Kader qui, une trêve à peine signée, l'a rompue.
Dès sa prise de commandement, le général Bugeaud, dont le premier objectif est d'éliminer Abd-el-Kader, institue de nouvelles méthodes de guerre : centres de résistance moins nombreux, mais plus forts ; ratissage permanent de leurs intervalles par les troupes ainsi récupérées et qu'on rend très mobiles en allégeant leur équipement.
Abd-el-Kader, d'après le dessin d'un officier de l'Armée d'Afrique. Guerrier émérite, doublé d'un prêtre pieux, lettré qui laissera des poèmes étranges et des ouvrages de philosophie. Un curieux mélange d'homme d'action impitoyable et de philosophe-poète.
Cette guerre de chasse et de longues courses s'accorde à merveille avec le caractère aventureux des légionnaires et avec leur endurance. Bugeaud l'expérimente dans le cercle de ses postes de l'Ouarsenis et le plus beau succès qu'il en obtient est l'enlèvement par le duc d'Aumale, dans le djebel Amour, d'une ville mouvante de trente mille âmes : la smalah d'Abd-el-Kader.
Le colonel Morris chargeant. Prise de la smalah d'Abd-el-Kader. Tableau d'Horace Vernet 16 mai 1843. Abd-el-Kader n'avait plus rien, ni famille, ni argent, ni soldats. Le sud-Oranais tombait aux mains des Français
Bugeaud, Avant Lyautey, le plus grand nom de la grande épopée africaine. La guerre, indispensable aujourd'hui, n'est pas un but. La conquête serait absurde sans la colonisation
Son plan comporte l'implantation, sur l'itinéraire de ses colonnes, de points d'appui où elles pourront se ravitailler et - événement qui fera date dans l'histoire de la Légion - le 7ème bataillon du 1er Etranger reçoit, en novembre 1843, l'ordre d'installer un de ces relais sur une petite colline dont le nom, Sidi-Bel-Abbès, ne désigne à cette époque qu'un Marabout décrépit. On n'y prévoit initialement qu'une enceinte autour d'un magasin de vivres. Mais, en raison de la position sur une ligne de communications importante, le poste reçoit bientôt une garnison permanente, qui y élève une redoute d'un hectare environ, abritant ses tentes, des baraques pour les approvisionnements et une ambulance.
Couverts de lentisques et de palmiers nains, les environs sont désertiques et marécageux. Mais les légionnaires, comme dans tous leurs gîtes d'étapes, se mettent au travail. Ils tracent des chemins, drainent les eaux stagnantes, plantent des arbres, flanquent leur poste d'une ferme, avec une surface de plus en plus étendue de terres cultivées. Quelques trafiquants, qui vivent aux dépens de la troupe, s'agglomèrent à proximité dans des habitations de fortune.
Six ans plus tard, le général Pélissier, visitant Sidi-Bel-Abbès, n'en croit pas ses yeux : " D'un camp vous avez fait une ville florissante, d'une solitude un canton fertile, image de la France.
Dans des remparts de pierre rouge, en effet, solidement maçonnés sur cinq mètres de hauteur, avec des bastions d'angle et quatre portes monumentales, une cité nouvelle a surgi de terre, entièrement bâtie par la Légion, qui a dessiné ses rues et les jardins qui en sont aujourd'hui le principal agrément. Tout autour, elle a planté un verger de quarante mille arbres où de nombreuses fermes se sont établies.
Et d'un bout à l'autre de l'Algérie, pareillement, la main-d'oeuvre légionnaire aide la colonisation à démarrer. Le réseau des routes qu'elle a tracées, s'étend sur des centaines de kilomètres au départ de Bône, d'Oran, de Philippeville, de Tlemcen et de Mascara - et sur tout leur parcours, des points d'eau et des abreuvoirs les jalonnent. Oran lui doit ses égouts et ses fontaines, Orléansville ses fortifications. Elle a construit les barrages de l'Isser, du Zig et du Mimoum, érigé des postes à Batna, Lalla-Marnia, Saint-Denis-du-Sig, Mascara et Rio Salado.
Ce faisant, cependant, les légionnaires n'ont pas cessé de se battre, car la défaite de ses alliés marocains à l'Isly n'a pas anéanti la puissance d'Abd-el-Kader. Une révolte générale éclate en 1845, marquée par une rencontre sanglante du 1er Etranger avec les Flittas dans le défilé de Mehab-Gharboussa. Il dégage Aïn-Temouchent, ensevelit les héros du 8ème Chasseurs à pied massacrés à Sidi-Brahim, réduit dans I'Oranais les Beni-Snassen descendus de leurs montagnes pour razzier, autour de Marnia, les tribus soumises.
De son côté, le 2ème Etranger participe aux opérations entreprises par le duc d'Aumale pour purger l'Aurès des rebelles que l'ancien bey de Constantine y a regroupés. Puis c'est ensuite au tour des massifs de la Kabylie.
A aucun moment les prélèvements faits sur la Légion pour alimenter d'autres théâtres d'opérations ne diminuent son activité algérienne. En 1867, elle pourchasse les Ouled-Sidi-Cheik, excités à la guerre sainte par l'agitateur Si-Slimane ; elle mate l'insurrection de 1871 et celle de Bou-Amama en 1882.
Pratiquement l'Algérie est alors pacifiée. Les grands travaux d'aménagement qui s'y poursuivent ne sont plus menacés que par les tribus turbulentes qui se démènent sur les confins sahariens, et plus particulièrement au voisinage du Maroc. C'est dans l'extrême sud que de nouvelles aventures attendent la Légion et d'ores et déjà elle y a dardé deux grandes voies de pénétration : la " route des Chotts " de Saïda à Géryville et celle de Saïda à Aïn-Sefra.
Les distances dans les régions semi-désertiques où elle va maintenant opérer sont énormes et il y faudra lutter de vitesse avec des adversaires très fluides. Pour augmenter son rayon d'action, le colonel de Négrier, qui la commande dans le sud-oranais, adopte la formule des compagnies montées : un mulet pour deux légionnaires, qui les porte alternativement, avec leurs munitions, leurs vivres et leurs bagages ; plus de sacs, ni de convois et, sans fatigue ainsi, des étapes doubles.
Il ne faut pas oublier de mentionner aussi, au titre de la conquête, les fouilles d'archéologie auxquelles la Légion s'est livrée sur ces marges du désert où, deux mille ans auparavant, les légions impériales l'ont précédée et où le même choix des positions favorables l'amène souvent à découvrir, en construisant ses postes, les vestiges d'un oppidum. Dès 1851, l'Académie des inscriptions et des belles-lettres signale, dans sa séance plénière, qu'elle a relevé les traces de plus de quarante présides et villes de l'Antiquité. Ces recherches d'histoire passionnent les légionnaires qui se tiennent, et fort justement, pour les continuateurs de la Rome ancienne. De nos jours encore, aucune unité de Légion en opération dans le sud-constantinois ne traversait Timgad ou Lambèse sans rendre les honneurs, devant leurs arcs de triomphe, aux légionnaires de la 6ème Ferrata et de la 3ème Augusta.
Les campagnes de Crimée et d'Italie
En juin 1854, une brigade fournie par le 1er et le 2ème Etranger prend la mer avec les forces que la France et l'Angleterre ont de bric et de broc rassemblées pour défendre la Turquie contre une imminente agression des Russes. Pour la première fois, la Légion, qui n'a guerroyé qu'en Afrique, va se mesurer avec une vieille armée européenne et elle en reviendra avec une nouvelle auréole d'invincibilité.
Objectif en Crimée : Sébastopol, place forte et principal port de guerre sur la mer Noire, où les troupes d'élite et la puissante flotte que le Tzar s'apprêtait à lancer sur Constantinople disposent d'importants arsenaux et d'énormes réserves de vivres.
Le prince Mentchikov, général en chef russe, bousculé par nos légionnaires se replie à marches forcées sur Sébastopol, dont il grossit encore la garnison, en s'y enfermant avec son armée.
D'excellentes fortifications bardent la citadelle. Bloquée par terre et par mer, elle est aussi riche en troupes qu'en munitions et ses défenseurs, bien abrités derrière leurs murs, bien chauffés, bien nourris, sont beaucoup mieux partagés que leurs adversaires dans des ouvrages de campagne où les intempéries de l'hiver russe leur causent autant de mal que l'artillerie ennemie. Enlisés sous des trombes d'eau dans la boue du plateau de Chersonèse, ils y font, avec un ravitaillement précaire, le dur apprentissage de la guerre de tranchées et les mois vont succéder aux mois sans adoucir pour eux les souffrances de cet interminable siège.
Batterie de mortiers et batterie de fusées, devant Sébastopol. 9 avril 1855.
Assaut de Sébastopol. Attaque du bastion central. 3 septembre 1875. " J'y suis, j'y reste. "
Les meilleurs épaulements sont ceux des légionnaires qui, rompus à retourner la terre, ont construit un solide réseau de barbettes et de casemates maçonnées, avec des boyaux profonds pour y acheminer les munitions. Par deux fois, à Inkerman et dans le ravin de la Quarantaine, ces vieux soldats, qu'on a surnommés les " ventres de cuir " à cause de leurs larges cartouchières africaines, brisent les sorties d'un ennemi aussi nombreux que mordant. En avril, enfin, le général Pélissier reprend l'initiative des opérations. Par une nuit de lune, il découple la Légion à l'assaut d'un ouvrage de contre approche, la redoute Schwarz, qu'elle conserve malgré les furieuses contre-attaques des Russes. Les officiers eux-mêmes s'entredéchirent à l'arme blanche.
Beau fait d'armes, mais qui nous revient cher : 480 blessés et 118 tués, parmi lesquels le colonel Viénot, mort l'épée au poing en entraînant ses hommes et dont on a magnifié la seigneuriale crânerie en donnant son nom à la caserne principale de Sidi-Bel-Abbès. ( Et depuis 1963, au camp du 1er Étranger, à Aubagne.)
Mort du colonel de Chabrière, à Magenta, le 4 juin 1859.
Le 7 juin, c'est la prise des ouvrages blancs, le 8 septembre celle de Malakoff' : cent volontaires de la Légion précèdent la colonne d'assaut pour planter contre le redan central les échelles et les madriers qui permettront de l'escalader.
- Dites à votre général que j'y suis et que j'y reste, répond Mac-Mahon à un officier anglais qui lui demande s'il compte se maintenir sur cette position apparemment indéfendable.
Les Russes, après avoir brûlé Sébastopol, s'en échappent la nuit. Ses ruines fouillées, la Légion les poursuit dans la vallée du Baïdar, avec la colonne dite " des choux ", en souvenir des jardins potagers où les combattants se remettent, en faisant bombance, des terribles restrictions du siège. Mais la campagne se solde par un déficit de 78 officiers et de 1625 légionnaires, tués ou blessés.
Une nouvelle brigade, cependant, de deux régiments étrangers débarque en mai 1859 à Gênes avec la division du général Espinasse - vieux légionnaire, lui aussi. Napoléon III, qui s'est fait le champion de l'indépendance italienne, a déclaré la guerre à l'Autriche. Il prend en personne le commandement de l'armée, avec l'espoir de cueillir, sur les mêmes champs de bataille, autant de lauriers que son oncle pendant la glorieuse campagne de 1796-1797. Mais ni lui, ni ses généraux, n'ont le génie militaire du jeune général Bonaparte. Leur principale chance est que les Autrichiens ne leur opposent également que de très médiocres stratèges. Seule, la furia francese l'emportera dans des rencontres violentes, dues au hasard plus qu'à un plan d'opérations valable.
Après la victoire de Magenta, qui lui est entièrement due, la légion fait une entrée triomphale dans Milan libérée. De toutes les fenêtres, les fleurs pleuvent sur sa tête et les belles Milanaises, élevées dans l'amour des capitaines de fortune, ne marchandent pas, dit-on, à ces vaillants les tendres élans de leur gratitude.
Après la signature de l'armistice, Paris à son tour accueille triomphalement l'armée d'Italie. Pour la première fois, la légion y défile, fleurie par une foule en délire. Les noms de Sébastopol et de Magenta flambent sur ses drapeaux.
Re: la Légion Etrangère vu par l'écrivain Jean des Vallières
De Camerone à l'armée de la Loire
L'ordre arrive à la Légion, le 19 janvier 1863, d'embarquer pour le Mexique deux bataillons à sept compagnies - soit environ deux mille hommes - sous le commandement d'un nouveau chef, le colonel Jeanningros, qui a le double prestige d'une stature de tambour-major et d'états de services dont ses origines très modestes rehaussent le mérite. Car Napoléon III se trouve engagé dans une entreprise beaucoup plus importante qu'il n'avait prévu ; tous les Mexicains se sont solidarisés avec le chef des insurgés, Juarez, contre l'empereur autrichien que nous prétendons leur imposer.
La Légion, sitôt débarquée, écope une obscure et accablante mission : la police des lignes de communications du corps expéditionnaire à travers la région des Terres Chaudes, infestée de guérilleros véloces et d'une insalubrité plus redoutable encore. Le paludisme, le typhus, le " vomito negro ", dévastent sous un soleil torride ces marécages incandescents ; les légionnaires, qui n'ont plus que la carcasse, s'écroulent par dizaines sur la route à chaque sortie et expirent en quelques heures dans d'atroces douleurs.
Le colonel Jeanningros s'est établi avec un bataillon à Chiquihuite, un des rares villages indiens perdus dans cette immense désolation. On l'y prévient, le 29 avril au soir, qu'un gros convoi, transportant des munitions, du matériel de siège et cinq millions d'or, vient de quitter la Soledad à destination de Puebla, place forte des rebelles que nos troupes ont investie. - parcours dangereux sur lequel la Légion doit le protéger. D'accord avec son adjudant-major, le capitaine Danjon, un grand blessé de Crimée qui porte une main articulée, il décide d'envoyer un détachement à sa rencontre, pour occuper le point de passage forcé de Palo-Verde, éminemment propice aux embuscades, en raison des arroyos qu'il faut y franchir à gué.
C'est à la 3ème compagnie de marcher. Mais tous ses officiers, terrassés par les fièvres, sont à l'ambulance. Légionnaire depuis 1852, " belle figure intelligente, dont la douceur tempère l'énergie ", le capitaine Danjou propose alors d'en prendre le commandement et, leur absence ne devant durer qu'une journée, le sous-lieutenant Vilain, officier-payeur, et le sous-lieutenant Maudet, porte-drapeau, qui ont l'un et l'autre gagné leurs galons à Magenta, demandent de l'accompagner. Tous trois sont donc volontaires. Eux compris, l'effectif, car il y a plusieurs malades graves, est d'à peine soixante hommes - mélangés comme dans toutes les compagnies de la Légion : des Allemands, des Belges, des Espagnols, des Italiens, des Polonais et quelques Français.
La petite colonne s'ébranle le 30 avril à une heure du matin. Au petit jour, la 3ème compagnie traverse le hameau de Camerone : quelques masures croulantes autour d'une ferme à l'abandon. Puis, après une reconnaissance vers l'est, elle s'installe en halte gardée à Palo-Verde, pour y faire le café. Mais l'eau ne bout pas encore que ses sentinelles signalent des cavaliers qui manoeuvrent pour lui couper la retraite vers Chiquihuite. Danjou donne sur-le-champ l'ordre de renverser les marmites et de recharger les mulets. Il se rabat sur Camerone d'où partent des coups de feu - et soudain la cavalerie ennemie se démasque, lançant avec des hurlements trois charges successives contre les légionnaires qui ont formé le carré et dont les salves les arrêtent net. Un seul incident fâcheux les affaiblit gravement : leurs mulets, affolés par les détonations, ont échappé aux conducteurs et se sont enfuis avec leur précieux chargement (vivres et munitions).
L'hacienda de Camerone dans laquelle se livra la fameuse bataille. Maquette exécutée d'après un document d'époque.
Facilement alors Danjou pourrait profiter du flottement de ses adversaires pour s'échapper derrière les haies qui hérissent le terrain et ramener sa troupe à Paso-del-Macho. Mais toutes les forces mexicaines se retourneraient contre le convoi qui doit coûte que coûte arriver à Puebla. Le seul moyen de les retenir est d'accepter la bataille, si inégale soit-elle, et de lutter pour gagner du temps jusqu'à extinction totale. Les légionnaires sur un simple geste de leur chef l'ont compris ; baïonnette au canon, ils se ruent aux cris de " vive l'Empereur ! " vers la ferme où l'ennemi a pris position.
Camerone. 30 avril 1863. Le serment : " Mes enfants, défendez-vous jusqu'à la mort! - Mon capitaine, jusqu'à la mort, nous en faisons le serment, "
En dépit d'un feu violent, ils s'engouffrent dans les deux portes cochères de l'enceinte, nettoient le corral intérieur et se barricadent avec des madriers dans la seule chambre libre, à l'angle nord-ouest. Position précaire, d'où l'on ne peut s'opposer au franchissement du mur qu'en y perçant quelques meurtrières à coups de crosse. Mais les légionnaires, qui ont fait à leur chef le serment de ne pas céder, y tiendront dix heures, en brisant les assauts répétés de près de trois mille hommes. Les quelques rescapés, quand on leur demandera comment ils ont pu faire, auront tous la même réponse : " Nous avions juré ! "
Le coffre sur lequel repose la main artificielle en bois du capitaine Danjou, héros de la bataille de Camerone, qui fut ramassée sur le champ de bataille et pieusement conservée.
Camerone. La tombe des Français où reposent les légionnaires de la compagnie du capitaine Danjou qui se fit exterminer le 30 avril 1863.
Lecture - souvent en plusieurs langues - du récit du combat de Camerone à Sidi-Bel-Abbès. Il est des défaites aussi glorieuses que des victoires.
Dès neuf heures, les huit cents cavaliers mexicains cernent étroitement la ferme et un aide de camp du général Millan adresse une première sommation au sergent Morzicki, qui fait le guet sur le toit, en promettant à ses défenseurs la vie sauve, s'ils déposent les armes. A l'unanimité, ils refusent et renouvellent devant le cadavre du capitaine Danjou, qu'une balle vient de frapper mortellement, leur serment de mourir en combattant.
Le sous-lieutenant Vilain prend le commandement et un instant on s'imagine, en entendant une lointaine sonnerie, que la compagnie Saussier accourt à la rescousse. Faux espoir : ce sont, au contraire, des renforts appelés par le général Millan pour en finir avec cette poignée de forcenés dont sa cavalerie ne peut avoir raison. Un nouveau parlementaire se présente ; mais, cette fois, le sergent Morzicki n'en réfère même pas à ses chefs et sa brève riposte claque, aussi cinglante qu'à Waterloo.
L'encerclement se rétrécit encore. Les assaillants défoncent à coups de pioche les murs et le plafond du réduit où combattent les légionnaires et les massacrent à bout portant.
La résistance continuant, ils entassent des bottes de paille et des fagots dans les couloirs ; puis ils y mettent le feu, ainsi qu'aux deux hangars voisins. La chaleur devient intolérable dans une épaisse fumée qui, mêlée à celle de la poudre, asphyxie les légionnaires. Ils n'ont rien à manger, rien à boire. L'écume aux lèvres, la langue tuméfiée, ils halètent parmi les blessés qui râlent en lapant, avant de mourir, leur sang ou leur urine.
A deux heures, le sous-lieutenant Vilain est tué. Son camarade Maudet le remplace avec la même énergie du désespoir, bien qu'il n'ait plus que douze hommes. Une accalmie survenant, ceux-ci croient déjà que l'ennemi se décourage. Il n'en est rien. Le général Millan n'a momentanément retiré ses troupes que pour leur faire honte de leur échec. On entend sa harangue, que le légionnaire espagnol Bertolotto traduit à ses camarades, et, tambours battants, les trois bataillons mexicains repartent à l'assaut.
Une décharge encore les ralentit - la dernière, car les quatre légionnaires encore valides qui restent au sous-lieutenant Maudat, ont vainement retourné les poches des blessés et des morts : ils n'ont plus de cartouches. Mais leur résolution ne fléchit pas. Ils remettent baïonnette au canon et bondissent hors de leur abri pour défoncer l'ennemi. Devant le sous-lieutenant Maudet, le légionnaire Catteau, qui lui fait un rempart de son corps, tombe frappé de dix-neuf balles et l'officier en reçoit deux dans le ventre. Seul, le prussien Wenzel, qui a l'épaule fracturée, se débat encore comme un dément dans un cercle de baïonnettes ; le colonel mexicain Combas s'interpose pour lui sauver la vie.
Plus de cinq cents cadavres mexicains jonchent les abords de la ferme - et, si la 3ème compagnie n'existe plus, du moins a-t-elle rempli sa mission : le convoi, pendant cette héroïque hécatombe, a passé sans essuyer un coup de feu.
Les grenadiers du capitaine Saussier qui arrivent le lendemain matin à Camerone n'y trouvent qu'un seul survivant : le tambour Laï, percé de sept coups de lance et laissé pour mort dans le charnier.
- Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ! s'est écrié le général mexicain Millan, devant les vingt-deux blessés qui gisaient sous ses yeux.
Cet exploit, toutefois, ne libère pas la Légion de son ingrate mission de surveillance dans la géhenne des Terres Chaudes. Les renforts qu'elle ne cesse de recevoir d'Algérie y fondent à un rythme alarmant. Le colonel Jeanningros, qui réclame désespérément sa relève et son envoi, pour se refaire, sur les hauts plateaux, n'obtient satisfaction qu'en février 1864. Ses bataillons en haute montagne continuent à y faire du bon travail, mais à un prix très élevé.
La Légion, mal ravitaillée, mal habillée, souffre terriblement dans cet énorme pays où alternativement des froids rigoureux et des températures tropicales l'accablent. A coup sûr eût-il été comme l'Espagne son tombeau, si Napoléon III avait donné suite à son projet de la laisser pour dix ans à l'empereur Maximilien. Cette funeste campagne, quand nous nous retirons du Mexique, l'a appauvrie déjà de 31 officiers et de 1 917 légionnaires.
Elle en est à peine remise, quand éclate la guerre de 1870. Obligée de remplacer en Algérie les unités dirigées vers la France, elle forme cependant deux bataillons de marche qui arrivent à Bourges le 13 octobre. De son côté, l'impératrice Eugénie, répondant au désir de nombreux étrangers volontaires pour s'engager dans l'armée française, lève un 5ème bataillon de Légion, à six compagnies, sous les ordres du commandant Arago - magnifique officier qui, après l'avoir instruit et équipé, tombe en défendant les faubourgs d'Orléans. Coincé entre les Bavarois et les Prussiens, le bataillon refuse de se rendre. Le sous-lieutenant Karageorgewitch, futur roi de Serbie, ne parvient à franchir les lignes ennemies que sous un déguisement de meunier.
Le 7 janvier 1871, le régiment, transporté par voie ferrée à l'armée de l'Est, débarque à Montbéliard par un froid noir. Les vivres manquent, de nombreuses recrues ont les pieds gelés. Jeunes et vieux légionnaires, cependant, s'élancent, clairons en tête, sous une grêle de balles, le 14 janvier, à l'assaut des hauteurs de Sainte-Suzanne et y taillent l'ennemi en pièces : " La Légion, dit le général Peytavin, vient de faire le travail d'une division entière. " Elle a mis Besançon en état de défense, quand cessent les hostilités.
La Légion en Extrême-Orient
Provisoirement perdante en Europe, la France a détourné ses yeux de la crête bleue des Vosges pour chercher sur d'autres continents l'emploi de son énergie et de son esprit d'entreprise. Telles sont ses ressources profondes qu'en moins de cinquante ans elle va s'adjuger le second empire colonial du monde : rétablissement d'autant plus remarquable que les grands soldats qui font ainsi éclater ses frontières ne sont que faiblement soutenus souvent par la nation.
Les régiments métropolitains, d'ailleurs, - l'expérience ayant prouvé qu'ils supportent mal les climats d'outre-mer - ne participent qu'exceptionnellement à ces expéditions lointaines. Elles exigent des troupes entraînées aux températures violentes des pays exotiques et c'est l'armée d'Afrique qui les fournira ; c'est d'Algérie que l'infanterie de marine, les zouaves, les tirailleurs et, à la pointe du combat toujours, la Légion Etrangère sont partis à la conquête de nouvelles terres françaises.
Quatre bataillons vont successivement embarquer pour le "Tonkin, dont leur entregent et leur persévérance feront un des fiefs de la Légion ; elle y demeurera jusqu'à la récente débâcle l'expression la plus vivante de la mère-patrie et sa force le plus solidement enracinée.
Depuis 1858, la France est présente en Cochinchine et le Cambodge a reconnu sa suzeraineté. Deux marins aventureux, le lieutenant de vaisseau Francis Garnier et le commandant Rivière, l'un et l'autre victimes de leur témérité, ont planté le drapeau tricolore au Tonkin. Mais notre protectorat n'y est que virtuel, le pays restant pratiquement occupé par la Chine, dont les guerriers, les Pavillons noirs, le rançonnent et le pillent au mépris de tout droit.
Leur chef, Lung-Vinh-Phuoc, refusant de l'évacuer, une expédition punitive débarque en novembre 1883 à Itaïphong et l'amiral Courbet, qui la commande, décide de refouler les envahisseurs hors du delta, en leur enlevant les deux places fortes de Sontay sur le Fleuve Rouge et de Bac-Minh sur le Song-Cau. Sept canonnières françaises et de nombreuses jonques, transportant une partie des troupes, remontent le fleuve, tandis que le gros suit la route Mandarine. La chaleur est torride. A l'aile marchante, les légionnaires suffoquent sous leurs épais vêtements de drap ; ils adopteront bientôt la tenue plus légère des indigènes. Les ouvrages avancés tombent, cependant, et une digue qu'ils ont emportée les conduit jusqu'aux abords de la forteresse de Sontay
Grands remueurs de terre, les Chinois l'ont embastionnée dans deux enceintes de cinq mètres de haut, qui trempent dans des fossés pleins d'eau. A ces défenses s'ajoutent d'épaisses haies de bambou que l'artillerie ne peut détruire. Indubitablement ne peut-on pénétrer dans la place qu'en défonçant ses issues. L'amiral Courbet se résigne à cette solution coûteuse. Le 16 décembre, à cinq heures du soir, les clairons des fusiliers-marins et de la Légion sonnent la charge. Mais les légionnaires, dont les patrouilles ont rampé jusqu'à quelques mètres de la porte nord-ouest, la trouvent encore murée par d'énormes palissades. Au prix d'efforts inouïs, sous un tir roulant qui leur fauche quatre officiers, ils y pratiquent une brèche et l'un d'eux, bondissant sur la plate-forme, y hisse les trois couleurs à la place du pavillon chinois. Par ce premier fait d'armes, le légionnaire Minnaert, sur le champ décoré de la Médaille militaire, entre dans la légende.
Pendant toute une nuit, des combats de rues draguent la ville où les Chinois ont abandonné plus de mille cadavres et un matériel de guerre considérable. La population annamite y acclame l'amiral Courbet, qui, sa mission étant désormais de traquer le Céleste Empire sur les mers, passe au général Millot le commandement des opérations terrestres contre les Pavillons noirs. Comme il était prévu, la citadelle de Bac-Ninh sera son premier objectif. Deux colonnes doivent l'attaquer simultanément : au sud, la brigade Brière de l'Isle venant de Hanoï ; par le nord-ouest, la brigade de Négrier, qui a reçu un second bataillon de Légion et progresse rapidement le long du Song-Cau.
Ici se place le mot fameux du général de Négrier : " Vous, Légionnaires, vous êtes soldats pour mourir ; je vous envoie où l'on meurt. " Et, toujours à l'avant-garde, les légionnaires, après avoir détruit le barrage établi par les Chinois pour inonder les voies d'accès, s'emparent de la ceinture nord des forts, dont les garnisons refluent vers la ville. " Il faut la prendre ce soir ! A la Légion, l'honneur d'entrer la première à Bac-Ninh ! " répète le général de Négrier. Ordre sur l'heure exécuté. Poursuivant les fuyards, la Légion se jette avec eux dans la place, au mépris des seize bataillons et des nombreuses bouches à feu qui la défendent. Le lieutenant Maquard, le sergent Christophel et Minnaert, de nouveau, plantent nos fanions sur le rempart. Dix drapeaux et cent canons restent entre nos mains - défaite si cuisante pour l'ennemi que l'empereur de Chine fera décapiter les généraux responsables sur le front des troupes : tous, au moment de l'attaque, étaient abrutis par l'opium dans les harems où ils séquestraient les neuf dixième des femmes annamites.
Le général de Négrier s'élance avec ses bataillons de Légion aux trousses des débris de leur armée sur la route ouverte de Langson. Mais le général Millot, dont le plan est d'exploiter d'abord le succès de Sontay, les rappelle sur le Fleuve Rouge et ils entrent presque sans coup férir à Hung-Hoa. Le 2ème Bataillon Etranger s'y organise, tandis que le 1er remonte avec d'autres forces la Rivière Claire sous des pluies torrentielles, traînant à bras souvent les canons qu'une boue gluante enlise, ouvrant au coupe-coupe la piste dans une brousse ruisselante, passant à gué, faute de ponts, tous les arroyos en crue. Avec l'appui d'une flottille fluviale, le camp retranché de Tuyen-Quang, but de l'expédition, est finalement atteint. La colonne s'y installe sous les ordres du commandant Dominé.
Sa position, au fond d'une cuvette, est aussi défavorable à la défense que le sera celle de Dien-Bien-Phu. Accolé à la rivière, c'est un très ancien ouvrage, dont les murailles de briques rouges, doublées par un talus de terre, forment un carré de trois cents mètres de côté. De toutes parts, des collines boisées le dominent ; elles développent même jusqu'à l'escarpe un éperon surmonté d'une pagode. Aux insolations enfin, très redoutables dans ce bas-fond, s'ajoutent la dysenterie et le paludisme qui dissolvent rapidement la garnison.
Pendant quelques jours, elle se fortifie, fouissant près de deux kilomètres de tranchées et de cheminements, avec pare-balles et banquettes de tir. Mais, dès le 23 janvier, toutes les hauteurs environnantes grouillent d'ennemis, qui y creusent aussi des retranchements. Ce sont les avant-gardes d'une nouvelle armée que Lung-Vinh-Phuoc a levée dans le Yunnan : excellentes troupes, bien encadrées et maniant avec adresse un armement très moderne de fusils anglais et de canons Krupp. Les Chinois, d'autre part, ont obstrué la rivière en y coulant des sampangs et le ravitaillement n'arrive plus à Tuyen-Quang ; sur 396 légionnaires, 191 déjà, blessés ou malades, sont hors de combat.
Le 29 janvier, la place est complètement investie. On n'y peut plus circuler que dans les boyaux, à cause des tirs plongeants qui la criblent nuit et jour. Plus de vingt mille Pavillons noirs progressent autour d'elle, en l'enserrant dans une nasse de tranchées de plus en plus rapprochées et les flammes multicolores qui les piquettent viennent presque lécher ses murs. Les sapeurs du sergent Bobillot doivent évacuer le blockhaus qu'ils avaient construit sur l'éperon de la pagode et quiconque passe la tête au-dessus du parapet court un danger mortel. Les marins de la Mitrailleuse épuisent leurs munitions contre les éléments qui se coulent le long de la rivière.
Tous les assauts, cependant, sont repoussés. Lung-Vinh-Phuoc, qui a fait instruire des sections spéciales d'artificiers, entreprend alors des travaux de sape pour faire sauter les murailles, et une guerre souterraine, où les Chinois sont passés maîtres, s'engage, le sergent Bobillot y répliquant en forant des contre-mines ou en inondant les galeries de l'ennemi.
Deux explosions, dans la nuit du 12 au 13 février, ouvrent une large échancrure que les légionnaires colmatent après avoir refoulé à la baïonnette une avalanche d'assaillants. A la stupeur de ceux-ci, le caporal Beulin bondit dans leur fossé pour leur reprendre le corps d'un de ses hommes que la déflagration y a projeté. Il n'y aura plus de nuits, dès lors, sans que des chapelets de mines n'explosent, déclenchant chaque fois la même ruée hurlante des Pavillons noirs. Le 21 février, soixante mètres de remparts sautent ; le capitaine Moulinay et douze légionnaires se font tuer en brisant l'attaque. Le 23, les Chinois échouent de nouveau ; le capitaine Cattelin, adjudant-major, leur prend deux drapeaux.
Mais une inépuisable réserve d'hommes alimente leurs assauts, tandis que les morts, chez nous, s'accumulent dans l'abri qui sert à la fois d'infirmerie et de morgue, car les bombardements continuels ne laissent même pas le temps de les enterrer. Le capitaine Dia a été tué, tué le sergent Bobinot, intrépide figure de gamin de Paris. Il ne reste que cent quatre-vingts fusils pour défendre douze cents mètres de murailles en partie démantelées. Le 25 au soir, l'aumônier de la garnison note qu'elle compte cinquante-neuf combattants de moins que le matin.
Cette situation dramatique, cependant, n'ébranle ni le commandant Dominé, ni la troupe qui se modèle sur ce chef impavide. Des volées de mitraille répondent aux gradés ennemis qui, de leurs trous, interpellent les Français en leur annonçant qu'ils n'échapperont pas à l'écrasement. Chacun sait, d'ailleurs, que les Chinois font périr leurs prisonniers dans d'atroces supplices et un réduit bourré d'explosifs a été aménagé, où les derniers défenseurs ont résolu de se faire sauter, quand ils auront brûlé toutes leurs cartouches.
Ce moment semble proche le 28 février. Lung-Vinh-Phuoc a ordonné un assaut général. Les Pavillons noirs, escaladant un saillant écroulé, y piquent trois drapeaux. Mais la Légion les arrache. Pendant neuf heures, elle combat au corps à corps et fait un tel massacre de Chinois que, dans un seul boyau, soixante cadavres s'entassent, tous marqués au front par la croix rouge des volontaires de Yunnan.
Une récidive serait à coup sûr fatale et l'ouragan d'obus de tous calibres qui s'abat sur les ruines du poste, le 2 mars, laisse prévoir le pire. Mais un autre grondement retentit tout à coup dans le lointain. Une fusée signale la colonne libératrice et la panique s'empare des Chinois qui lèvent précipitamment le siège. A la tête d'un petit détachement, le capitaine de Borelli va reconnaître leurs positions et un traînard embusqué au créneau d'une casemate l'abattrait, si le légionnaire Thiebald Streibler ne se jetait, en le bousculant, devant son chef. La balle à ce dernier destinée le tue raide. Mais son geste ne sera pas oublié : c'est à Thiebald Streibler que le capitaine de Borelli a dédié l'ode pathétique où il s'entretient avec ses morts de Tuyven-Quang, cri déchirant de l'amour d'un officier pour ses soldats.
C'est alors que l'amiral Courbet, pour intimider la Chine, bloque Formose et envoie la Légion à Kélung. Pékin s'engage, par le traité de Tien-Thsing, à évacuer le Tonkin et à nous y laisser les mains libres.
Mais la lutte n'est pas terminée. Les Pavillons noirs licenciés se regroupent en bandes de pirates qui mettent le pays à feu et à sang. Pendant des années, il faudra leur donner la chasse à travers la jungle, les rizières et les calcaires des montagnes, où elles disparaissent et reparaissent sans cesse. En butte à un ennemi cruel, fanatique et très fluide, qui se bat avec des armes européennes, semant partout la mort, les légionnaires mènent de pair, et avec leur flegme habituel, le nettoyage du pays et son organisation. Empruntant une physionomie particulière aux mœurs et aux vêtements du pays, leurs silhouettes font désormais partie du paysage tonkinois. Autorisés à se marier, beaucoup de ces vieux soldats y fondent des foyers et la congaï fine et diligente, qui leur prépare le poulet au riz, les enfants qu'elle leur donne, contribuent à les attacher à ce peuple annamite qui, peu à peu, se christianise et, depuis la défaite du chef pirate le Dé-Tham en 1908, semble assuré, sous leur garde, d'une paix définitive
Aux avant-postes de l'Empire
Il n'est pas une région, en Afrique, où le commandement ne fasse automatiquement appel à la Légion dès qu'un péril grave y menace nos garnisons, en général insuffisantes.
En 1892, les abords de nos comptoirs du Bénin et de Porto-Novo sont à maintes reprises ravagés et incendiés par Béhanzin, maître de l'immense royaume noir du Dahomey, à qui des forbans européens ont livré quelque quinze mille fusils à tir rapide. Ce potentat, hors d'atteinte au fond de la brousse tropicale dans sa capitale d'Abomey, s'y exhibe sur un trône fait de crânes humains. Il y est défendu par une garde tristement fameuse de deux mille guerrières qui ne se nourrissent que de viande crue - et de préférence de chair humaine - avec la douce habitude, par surcroît, d'émasculer elles-mêmes les prisonniers pour se barbouiller le visage de sang avant de partir au combat.
Débordé par des coups de force de plus en plus audacieux, le colonel Dodds, qui commande à Cotonou, avertit son ministre qu'il va être contraint d'évacuer, si on ne lui donne pas les moyens d'anéantir dans son repaire le tyran d'Abomey. Le gouvernement, qui craint une réaction de l'opinion publique, ne lui accorde peureusement que quatre mille hommes, dont un bataillon de huit cents légionnaires. La colonne s'enfonce dans la savane, aux prises avec une nature impitoyable et des tireurs enfouis dans les taillis et qui s'escamotent aussitôt.
Son effectif n'est plus que de dix-sept cents hommes, lorsqu'elle s'enfonce, la quatrième semaine, dans une zone plus néfaste encore, où l'eau manque. On ne peut plus faire le café, ni désaltérer les blessés, et le canon doit se mettre de la partie pour réduire les défenses avancées de Kana, la ville sainte du Dahomey. Béhanzin y a ouvert les portes des prisons pour grossir ses troupes qui, enivrées de genièvre, se battent farouchement. Les légionnaires perdent cinq officiers ; mais leur percée atteint les faubourgs, où les sanguinaires amazones, à bout de carnage, se débandent.
Au loin, un énorme incendie enfume la brousse. Avant de s'enfuir, Béhanzin a brûlé Abomey, qui, à notre arrivée, n'est plus que cendres fumantes. Il ne se rendra que cinq mois plus tard, en haute montagne, à une patrouille de légionnaires, commandée par le lieutenant Martin.
Pour pacifier le Soudan, les légionnaires parcourent 950 kilomètres dans un pays où aucun blanc encore n'avait pénétré. Nourris d'un biscuit seulement par jour et de quelques patates, ils ont franchi quatorze grandes rivières, plus de trois cents marigots et livré seize combats.
En 1894, une expédition punitive les lance contre les touaregs de Tombouctou qui ont massacré la colonne Bonnier. En Guinée, une compagnie du 1er Etranger refoule les Foulakonies qui ont franchi en grand nombre la frontière du Founta. En 1895, les légionnaires se retrouvent à Madagascar, où la reine Ranavalomanjaka III a remis notre protectorat en cause. Ils construisent une route stratégique, bousculent les Hovas tantôt dans d'épaisses forêts, tantôt à travers des marais, grouillants de caïmans. Ils pénètrent enfin dans Tananarive où, pour les récompenser de leurs exploits, on les installe dans le palais de la reine.
Mais la Légion n'en a pas fini avec Madagascar, car le général Gallieni, qui a fait ses preuves en Indochine, doit y mâter bientôt une nouvelle révolte.
La partie sud de l'île est placée sous le commandement du colonel Lyautey, qui applique avec patience des méthodes qu'il a expérimentées déjà au Tonkin : implantation progressive de postes pour protéger les tribus qui se sont ralliées et si possible les enrôler ; rayonnement aux alentours de reconnaissances et de patrouilles ; pistes fichées en pays hostile par des détachements autonomes et constamment en mouvement ; amélioration immédiate du sol, pour en augmenter le rendement. Et Lyautey de noter dans son journal :
" Cette pacification n'a pas de meilleurs artisans que les légionnaires, pétrissant de leurs mains créatrices des terres en friche pour les transformer en rizières, des vallées endormies pour en faire des artères de vie... Ils apportent à l'exécution de ces travaux l'intelligence des choses coloniales et l'ardeur qui les caractérisent. "
Des ports fluviaux, des comptoirs agricoles, changent l'aspect du pays. Quinze forts le dominent, qui portent tous les noms d'officiers tués - fort Flayelle, fort Delavau, fort Montagnole, fort Pierrebourg - et innombrables sont les petits postes perdus dans le maquis, ravitaillés une fois par mois seulement, où un caporal de la Légion, voire un simple légionnaire, commande quelques tirailleurs malgaches.
En 1901, le bataillon de Diégo-Suarez mène à bien un travail formidable : la route de la forêt d'Ambre, où les indigènes eux-mêmes n'avaient jamais pu s'insinuer.
Comme partout les légionnaires, sociables et généreux, sympathisent avec la population. " Là où ils ont passé, dit Gallieni, il ne reste rien à retoucher. "
Les confins sahariens et la campagne du Maroc
En Algérie, la nécessité de désarmer les tribus de l'extrême sud devient de plus en plus pressante. Les oasis voisines du Tafilalet regorgent de pillards et la question marocaine s'y pose d'une façon très aiguë - comme tout le long, d'ailleurs, de la frontière assez imprécise qui sépare la province d'Oran de l'empire chérifien. Bien qu'il soit aux portes de l'Europe, cet empire présente, au début du XXème siècle, la singularité de n'avoir jamais été reconnu. L'autorité du sultan y est purement nominale. Plus puissants que lui, ses grands vassaux s'y ébrouent dans une totale anarchie et les agitateurs ont la partie belle, dont les harkas nous débordent par le sud, à l'abri des dunes et des brisants du désert.
Trop lourdes et trop rigides, les méthodes classiques de la guerre sont inefficaces dans ces vastes étendues encore en blanc sur les cartes et ponctuées seulement par de très vagues repères. " Ici, disait le colonel Négrier, nous nous battons à coups de kilomètres. Il s'agit de marcher. " On a multiplié, en conséquence, les compagnies montées de la Légion qui, avec une autonomie de dix à quinze jours de vivres et de munitions, peuvent abattre cent cinquante kilomètres entre le lever et le coucher du soleil. Pendant un demi-siècle, ces unités très mobiles, conduites par des chefs jeunes et hardis, vont poursuivre à travers le chaos, plein d'embûches, des confins une ronde infernale pour dépister et gagner de vitesse les bandes qui s'y évanouissaient auparavant, comme des ombres, à notre approche.
De 1900 à 1903, de nombreux accrochages opposent nos avant-postes aux tribus marocaines. Le gouvernement désigne alors le colonel Lyautey, qui était en demi-disgrâce à Alençon, pour prendre le commandement du territoire d'Aïn-Sefra et y mettre fin aux agressions. Mais des difficultés internationales surgissent aussitôt du fait de l'Allemagne et de l'Angleterre qui s'opposent à toute violation des incertaines frontières chérifiennes. Presque avons-nous dû cacher, déjà, que notre drapeau flotte à In-Salah, et Lyautey, promu général dès son arrivée, en est réduit à ruser pour exercer d'énergiques représailles malgré la timidité des ordres reçus. L'occupation des ksars marocains de Béchar et de Ras-el-Ain lui étant interdite, il se porte plus avant, sur les lieux dits Colomb et Berguent qu'on ne peut - et pour cause - situer sur la carte, car ils n'existent qu'à partir du jour où les bataillons étrangers donnent ces noms à deux postes en toute hâte bâtis et non moins vite reliés par des pistes à l'arrière. A l'imitation des Pharaons, les légionnaires, qui ont élevé en pierres de taille la porte monumentale du Bordj de Colomb-Béchar, scellent dans la muraille un cahier d'écolier revêtu de leurs signatures.
Dès 1904, trois solides points d'appui - Berguent, Forthassa et Colomb-Béchar - servent de base aux opérations qui, dans l'esprit du général Lyautey, ne sont qu'un prélude à l'inévitable conquête du Maroc, foyer d'insurrection dont nous ne pouvons tolérer qu'il foisonne, comme un brûlot, dans le flanc de l'Algérie.
En 1907, la situation se dégrade si gravement au Maroc que le gouvernement français se voit dans l'obligation d'intervenir, pour suppléer à l'impuissance du pouvoir central contre un désordre dont les tribus frontalières profitent pour nous envahir à tout bout de champ. D'un bond, le général Lyautey, qui n'attendait que ça, occupe Oujda et tend, devant les Beni-Snassen, le barrage de ses compagnies montées. Il ne peut pousser plus avant, dans une région difficile à pénétrer, car on lui a enlevé beaucoup de troupes pour constituer le corps de débarquement de Casablanca et parce qu'une réaction très violente, dans le sud, y met nos postes en péril.
Le Tafilalet est en ébullition. Le derkaoui Moulay-Lhassen y a dévalé des contreforts de l'Atlas avec trente mille guerriers, qu'il lance sur nos troupes, avant de battre en retraite.
Rattrapant les Marocains sur le Haut-Guir, la colonne du colonel Pierron les anéantit à Bou-Denib. De tels monceaux de cadavres pourrissent dans la ville que force est de bâtir le camp à une certaine distance. On l'entoure de solides défenses, complétées par un blockhaus au sommet du gara qui domine la palmeraie, car la vallée qu'il doit verrouiller est cernée de montagnes hostiles, et d'invétérés pillards écument encore la hamada environnante.
Bientôt des milliers de Marocains assiègent le camp de Bou-Denib. Les légionnaires les repoussent à la grenade. Le fortin résiste ainsi deux mois jusqu'à l'arrivée de la colonne de secours.
Tout le 1re Etranger se bat dans le Maroc oriental, tandis qu'un régiment de marche du 2ème Etranger, débarqué à Casablanca, occupe Ber-Rechid, Settat et Médiouna, et livre, pour élargir ce second front, les combats de l'Oued-Fekkat et de Sidi-Yebli.
En 1911, le sultan Moulay-Hafid, prisonnier dans Fez de ses tribus révoltées, appelle les Français à son secours. La colonne Moinier débloque la ville où un bataillon de légionnaires entre le premier, après avoir durement combattu pendant les étapes d'approche.
En 1912, le traité de Protectorat est signé. Mais la révolte des Tabors à Fez et le massacre des Européens déclenchent un soulèvement de toutes les tribus berbères. Rappelé de Rennes et nommé résident-général, le général Lyautey prend le commandement en pleine insurrection. Il dégage la capitale assiégée et rétablit la situation dans tout le pays.
1914. Les légionnaires originaires des empires centraux demeurent, pendant la guerre, à la garde de nos territoires d'outre-mer où ils répriment les révoltes et poursuivent d'énormes travaux d'aménagement. La conscience déchirée souvent, ils choisissent unanimement de respecter le contrat passé avec la France, et le maréchal Lyautey, évoquant ces heures décisives, a pu dire : " La légion fut, dans tout mon commandement, ma troupe, ma plus chère troupe ; de 1914 à 1918, elle a constitué ma première force, ma suprême réserve. "
La grande guerre
Dès les premiers jours d'août 1914, des centaines d'étrangers résidant en France ou qui y accourent des pays amis demandent à combattre dans son armée. Au Palais-Royal, l'ancien drapeau du royaume de Bohême flotte au balcon d'un bureau de recrutement improvisé par les Tchèques. Les paquebots débarquent, avec Georges Casmèze, de nombreux Américains qui ont répondu à son appel dans le New York Herald. Tous rejoignent quatre régiments de volontaires étrangers. La vie au front, par la suite, et les premiers combats de l'hiver fondront ces éléments disparates en une nouvelle Légion, digne du grand passé dont elle est héritière. On l'incorpore à la Division Marocaine.
Le 2ème de marche du 1erEtranger commence sa mémorable carrière en Artois pendant les opérations de mai et juin 1915. La Division Marocaine y a été donnée au général Pétain, commandant le 33ème corps, pour conquérir la crête de Vimy. Départ très dur, car ni les fils de fer, ni les blockhaus ennemis, ne sont détruits, lorsque le régiment franchit les parapets. C'est sous les feux croisés des mitrailleuses de Neuville-Saint-Waast, de la Folie et de Souchez qu'il atteint, en enfonçant la seconde ligne allemande, ses objectifs de la cote 140 et les Ouvrages blancs. Le colonel Pein et ses trois chefs de bataillon ont été tués. A la fin de l'attaque, un simple caporal commande une compagnie et l'abbé Gas, aumônier de la Légion, qui absout de tous côtés les mourants, feint de ne pas voir derrière lui l'affreux carnage qui se poursuit au couteau et à la grenade dans les abris allemands. Mais les réserves ne suivent pas. Désespérément, les légionnaires se cramponnent pendant vingt-quatre heures, dans l'attente d'un renfort, à leurs positions en flèche sur lesquelles toute l'artillerie lourde concentre ses tirs.
Le 16 juin, les deux petits bataillons que le commandant Collet en a ramenés réattaquent à Givenchy et au Cabaret Rouge, décrochant du même coup leur première citation à l'ordre de l'armée. 71 officiers et 2.513 légionnaires l'ont payée de leur vie. Retiré du front, le régiment se refait à Montbéliard en absorbant les débris du 3ème de marche.
Il remonte en ligne en septembre, pour l'offensive de Champagne, avec son frère d'armes, le 2ème du 2ème Etranger. De nouveau l'artillerie a mal préparé l'attaque : ils se heurtent devant la ferme Navarin et la butte de Souain à des défenses intactes, dont les casemates cassent dix assauts successifs. Baïonnette au canon, les légionnaires obligent les unités qui refluent à repartir avec eux à la charge. Le caporal Bouilloux, dressé au milieu des balles, sonne le Boudin. Un éclat d'obus arrache le bras du légionnaire suisse Sauter - en littérature Blaise Cendrars. Onze officiers, dont les commandants Declève et Bure], sont tués. Les escouades ne progressent, à travers les barbelés, que par bonds de quelques mètres - jusqu'à ce que la butte de Souain, tournée, tombe avec une partie des secondes lignes allemandes.
Les deux régiments sont cités, mais au prix d'une telle boucherie de légionnaires qu'on ne peut, avec les survivants, en reconstituer qu'un seul. II prend le nom de Régiment de Marche de la Légion Etrangère (lieutenant-colonel Cot) et déjà la place de gagnant lui revient, avec trois citations à la cravate de son drapeau, dans une course à la gloire qu'il va sans relâche disputer.
De retour sur le front pour la bataille de la Somme, il est chargé le 4 juillet de s'emparer de Belloy-en-Santerre. Un glacis de huit cents mètres l'en sépare, sans un arbre, sans un couvert, et dans un terrain qu'une pluie battante, a détrempé. Les mitrailleuses y fauchent un premier bataillon avec tous ses officiers. Mais, entraînés par leurs clairons rageurs, de nouvelles vagues rampent dans la boue, à travers les trous d'obus pleins de blessés. Qui lève la tête, une balle aussitôt le frappe.
Les veux brillants, poignard au poing, des groupes qui n'ont plus ni officiers, ni sous-officiers s'infiltrent dans les jardins et les ruelles du village - et une immense clameur :
Vive la Légion! domine soudain le vacarme du bombardement. Ce sont les blessés qui, d'un bout à l'autre du champ de bataille, acclament leurs camarades victorieux.
La lutte continue dans le village où les légionnaires ont déjà raflé 750 prisonniers. Le père Gas multiplie les signes de croix sur les abris où les équipes de nettoyeurs s'engouffrent avec leurs musettes pleines de grenades. Les dernières maisons sont enlevées par l'élégant lieutenant Nazare-Aga, le plus Parisien des Persans, fils de l'ambassadeur du Shah auprès de la République française.
Au colonel Duriez, mortellement blessé en 1917 en Champagne pendant l'offensive Nivelle, succède alors un jeune colonel de quarante-deux ans, le colonel Rollet, titulaire de tant de hauts faits, déjà, que ses hommes l'ont surnommé le premier légionnaire de France Il débute par un coup d'éclat, le 20 août 1917, à Verdun. La Division Marocaine y a pour mission de dégager la rive gauche de la Meuse. A elle seule, la Légion doit reprendre les Ouvrages blancs, les bois de Lumières et le boyau de Forges - opération si lourde que deux temps sont prévus, d'autres troupes devant, après le premier, relever les légionnaires.
A Verdun, en 1917, le drapeau du Régiment de marche de la Légion Etrangère est déjà le plus décoré de l'Armée Française. Autour du Colonel Rollet, qui le présente, I'adjudant-chef Mader, les caporaux Aroras, Dièta et Léva, tous quatre chevaliers de la Légion d'Honneur.
Mais ils foncent dans notre propre barrage avant même que l'artillerie ne l'allonge. A dix heures du matin, les positions qu'ils ne devaient atteindre que le soir sont enlevées et le colonel Rollet ne laisse pas à l'ennemi le temps de se ressaisir. Sans attendre les ordres, il découple ses compagnies à l'assaut du col de l'Oie et de la cote 365, où les caporaux Gélas et Thirion coiffent deux pièces de 77, après en avoir égorgé tous les servants. Maîtresse de Forges et de Régnéville le lendemain matin, la Légion y a entassé des prises de guerre considérables : 680 prisonniers dont 20 officiers, 15 canons de 105 et de 380 et une telle quantité de mitrailleuses qu'il serait trop long de les compter. Blessé au bras et à la jambe, le colonel Rollet n'a pas quitté son commandement. " On avait fixé à la Légion des objectifs trop rapprochés, déclare-t-il ; elle s'en est assigné d'autres. "
Quelques jours plus tard, encadré par l'adjudant-chef Mader, les caporaux Arocas, Diéta et Léva, tous quatre faits chevaliers de la Légion d'honneur, il présente le drapeau au général Pétain - qui accroche à sa hampe la fourragère rouge, spécialement créée à son intention. Le régiment continue ainsi à accumuler les citations jusqu'à ce que le clairon du 11 novembre sonne le " Cessez-le-feu! "
Des sanglots de joie l'accueillent dans Château-Salins pavoisée. Sur la grand-place, le colonel Rollet donne à baiser à la foule l'étamine sainte du drapeau auquel un décret, faisant suite à sa neuvième citation, a conféré en ces termes la Médaille militaire : " Héroïque régiment que son amour pour la France et sa bravoure légendaire ont placé au premier rang...
Et le vieux rêve des légionnaires alsaciens-lorrains de 1871 se réalise : leurs cadets prennent la garde du Rhin en territoire allemand, à Hornbach et à Frankenthal... Mais ils ne sont plus qu'un régiment fantôme, que quelques centaines d'hommes sur les 42 883 volontaires étrangers qui, pendant cinquante-deux mois, se sont succédé dans ses rangs.
Présente aussi dans les Balkans et aux Dardanelles, la Légion y a retrouvé les traces de ses aînés de 1854
Sur les traces des Croisés
Après-guerre le 1er Etranger de cavalerie est créé à Saïda avec des éléments triés sur le volet, provenant des cavaleries étrangères et, en grande majorité, des divisions cosaques de Wrangel et de Denikine. Rien que des combattants rompus par de longues années de campagne à leur métier de cavaliers et encadrés par une élite d'officiers français et russes - ces derniers souvent ayant porté de très hauts grades.
Comme les régiments à pied, le 1er Etranger de cavalerie se réclame d'une longue filiation qui, en remontant les siècles, va des escadrons du Mexique et d'Espagne aux lanciers polonais du premier Empire et aux volontaires saxons qui servirent Louis XVI - des hussards de Bercheny au Royal-Allemand de Louis XIV et aux carabiniers de Saint-Simon, levés par Louis XIII. Sa fougue, son panache et son indomptabilité vont vite justifier le qualificatif de " Royal Etranger " qu'il s'est orgueilleusement attribué.
Il fait ses premières armes au Maroc. En Syrie, l'escadron du capitaine Landriau ne réprime longtemps que le brigandage. Mais, en 1925, le soulèvement du Riff a d'énormes répercussions dans tout l'Islam et spécialement au Levant. Le chef druse Soltan-el-Attrache soulève les tribus de la montagne et, infligeant un cuisant échec à la compagnie du capitaine Normand, qui perd huit officiers et cent sept légionnaires, réussit à bloquer Soueida, capitale du Djebel Druse. Une première tentative pour nous y rétablir ne réussit pas. La révolte gagne Damas et le sud de la Syrie.
Mais la cavalerie de la Légion écrase les Druses à Mousseifré, un mauvais bourg hauranais. Pas un des rebelles qui se battaient dans le village n'en sort vivant.
Cette victoire permet de délivrer Soueida, dont la Légion reconstruit la citadelle. De nouveaux renforts qu'elle reçoit d'Algérie s'agrègent aux 4ème et 5ème bataillons pour constituer le 6ème Etranger, le régiment du Levant, qui stationnera à Baalbeck et à Homs, en détachant la 29ème compagnie montée à Palmyre.
L'escadron Landriau participe à la colonne du Liban du sud qui nettoie la région de l'Hermon. Puis il s'établit en grand-garde dans la vieille forteresse franque de Rachaya, avec un escadron de spahis tunisiens (capitaine Granger). Les ordres sont d'y résister à outrance et l'affaire s'annonce chaude, le 19 novembre 1925, quand une force de trois mille fusils investit la position, aussi mauvaise qu'à Mousseifré et pour les mêmes raisons : pas de vues, pas de champs de tir, dans un inextricable fouillis de lopins de terre et de ruines.
La garnison ignore, en outre, que d'antiques souterrains font communiquer la citadelle avec le bled. Druses et Hauranais s'introduisent ainsi dans la place. Surgissant dans une cour où les chevaux sont à la corde, ils leur tranchent les jarrets. Pendant trois jours, de féroces abordages se poursuivent de maison en maison. On compte bientôt cinquante-huit légionnaires tués ou blessés et les spahis ont perdu leur capitaine. Le 23 au soir, le capitaine Landriau envoie son dernier pigeon voyageur, en rendant compte qu'il ne lui reste plus que quinze cartouches par cavalier et que sa dernière chance, si on ne le secourt pas, est de tenter une sortie à la baïonnette. A l'aube, une escadrille de bombardement plonge en rase-mottes sur le camp ennemi et l'incendie. Les avant-gardes du 6ème spahis mettent les derniers Druses en déroute.
La paix rétablie au Levant, ceux qu'on y nomme " les bras tatoués " reprennent la pelle et la pioche et apportent une active contribution au développement du pays. La tutelle de la France n'y sera plus discutée jusqu'aux jours sombres de la Seconde Guerre mondiale.
L'apothéose marocaine
Toutes les grandes entreprises qui ont fait démarrer le Maroc portent le sceau de la Légion. Dans tous les domaines, ses réalisations, conçues à une vaste échelle et d'une exécution parfaite, ont contribué à promouvoir le stagnant empire chérifien au rang des nations. - Tout y est à faire, à son arrivée. Resté en marge du monde civilisé, ce pays en grande partie stérile, divisé, ruiné par une anarchie chronique, sommeille encore dans les moeurs rudimentaires du Moyen Age.
Les inépuisables ressources des légionnaires ne peuvent mieux s'employer que dans cette incohérence. Les constructeurs qu'ils sont entrent d'emblée dans les vues du grand proconsul qui veut en faire naître un Etat moderne. Leur tempérament africain aussi les y prédispose.
Le premier but que se propose le maréchal Lyautey est d'enfermer " le Maroc utile " c'est-à-dire les régions immédiatement exploitables, dans un réseau de défenses qui y assurent une sécurité absolue. Sa tactique est toujours celle de la tache d'huile autrement dit l'élargissement progressif d'une armature de points d'appui solides, sous la protection desquels les tribus errantes peuvent se fixer et se mettre au travail.
Les bonds en avant alternent avec les périodes où l'on s'organise sur le terrain conquis. De tous côtés, la Légion s'éparpille ainsi dans les groupes mobiles et les postes. Ses bataillons constituent les seules unités tactiques qui demeurent réellement dans la main de leurs chefs. Ils jouissent d'une grande autonomie et, de ce fait même, les principaux lieutenants de Lyautey seront alors des chefs de bataillon. Les circonstances en suscitent une pléiade dont la chronique remplirait une chanson de geste : hommes de feu et grands seigneurs de l'aventure. Le Maroc leur appartient en propre. Ils s'y sont taillé des fiefs. Mais on les connaît et les reconnaît dans toute l'Afrique du Nord.
Du littoral atlantique au golfe de Gabès, il n'est port, ni ville où ils ne soient chez eux, fêtés comme les épées d'une nouvelle chevalerie, provocante et railleuse.
Les plus fameux sont Henri de Corta, Maire, le prince Aage de Danemark, le Suisse Albert de Tscharner : on les appelle les " Mousquetaires de la Légion ".
Dès le printemps de 1924, l'écrasement des Espagnols par Abd el-Krim à Anoual alarme le maréchal Lyautey, qui réclame sans succès des renforts. Moins d'un an plus tard, le sultan riffain se rue sur nous à l'improviste avec une décision et une violence dont on ne l'imaginait pas capable. Grossi de toutes les tribus que la peur d'être razziées lui a gagnées, le raz de marée emporte nos positions. Avec un peu plus d'audace, Abd el-Krim prendrait Fez ; bientôt il est aux portes de Taza.
De toutes parts, les bataillons de Légion sont jetés dans la bataille pour enrayer le flot, ravitailler les quelques postes encore épargnés et recueillir ceux qui sont submergés.
A la fin d'août, l'assaut est bloqué, le prestige d'Abd el-Krim sérieusement entamé. La riposte s'organise. Les renforts qu'on a refusés au maréchal Lyautey vont permettre au maréchal Pétain de lancer, le 8 mai 1926, une formidable offensive. Toute la Légion y participe et, avec un éclat particulier, les bataillons du 2ème et du 4ème Etranger dans le Djebel-Iskritten. La guerre du Riff s'achève à Targuist par la capture d'Abd el-Krim et de ses derniers partisans. Le colonel Corap les fait défiler devant les légionnaires.
Nos troupes se retournent alors pour arraisonner les rebelles de la tache de Taza. La forteresse naturelle du Tichoukt, où nous avions vainement assiégé jusqu'alors le vieux djicheur boiteux Saïd-ou-Mohand, se rend. Puis vient le tour du puissant chef berbère Sidi-Raho dans la grande tache que les 3ème et 4ème Etranger réduisent djebel par djebel. Un dernier assaut les conduit sur la crête des Beni-Ouaraïn, d'où la vue embrasse tout le Maroc, de l'Atlantique à la Méditerranée et au Sahara.
Tunnel de Foum-El Tabel.
Mais il n'y a jamais de repos pour la Légion. A peine reprend-elle son souffle que l'ordre lui arrive de reboucler ses sacs et de rebâter ses bghels (1) pour effacer de la carte du Sud une autre zone insoumise : la vieille place d'armes du Tafilalet, refuge des rezzous sahariens qui continuent d'approvisionner ses marchés en pillant nos convois vers Bou-Denib. Tâche difficile, mais en 1932, le Tafilalet tout entier dépose les armes. Nous avons les mains libres pour résorber les deux derniers réduits du bled Siba : les faîtes du Grand Atlas et de son éperon méridional, le djebel Sagho ; sur les confins mauritaniens, l'îlot déshérité de l'Anti-Atlas, où le 4ème Etranger liquide les noyaux de résistance des hommes bleus.
(1) Mulets en arabe. On l'a surnommée : La Royal Bghel Force.
Il n'y a plus de dissidence. Pour la première fois clans l'histoire, les territoires disparates qu'englobait, en principe seulement, l'empire chérifien sont réunis sous l'autorité du sultan. La Légion, qui n'a cessé pendant les opérations, de policer le bled, en le couvrant de pistes, de bourgs de regroupement et de marchés, peut entièrement se consacrer à ces besognes de paix. Elle est partout à la fois sur l'immense chantier qui devient le Maroc et fait face à toutes les nécessités.
Rien de tout cela n'eût été sans Lyautey qui l'a voulu, sans la Légion qui fut son meilleur outil, et quiconque le conteste dévoile une âme bien médiocre.
L'ordre arrive à la Légion, le 19 janvier 1863, d'embarquer pour le Mexique deux bataillons à sept compagnies - soit environ deux mille hommes - sous le commandement d'un nouveau chef, le colonel Jeanningros, qui a le double prestige d'une stature de tambour-major et d'états de services dont ses origines très modestes rehaussent le mérite. Car Napoléon III se trouve engagé dans une entreprise beaucoup plus importante qu'il n'avait prévu ; tous les Mexicains se sont solidarisés avec le chef des insurgés, Juarez, contre l'empereur autrichien que nous prétendons leur imposer.
La Légion, sitôt débarquée, écope une obscure et accablante mission : la police des lignes de communications du corps expéditionnaire à travers la région des Terres Chaudes, infestée de guérilleros véloces et d'une insalubrité plus redoutable encore. Le paludisme, le typhus, le " vomito negro ", dévastent sous un soleil torride ces marécages incandescents ; les légionnaires, qui n'ont plus que la carcasse, s'écroulent par dizaines sur la route à chaque sortie et expirent en quelques heures dans d'atroces douleurs.
Le colonel Jeanningros s'est établi avec un bataillon à Chiquihuite, un des rares villages indiens perdus dans cette immense désolation. On l'y prévient, le 29 avril au soir, qu'un gros convoi, transportant des munitions, du matériel de siège et cinq millions d'or, vient de quitter la Soledad à destination de Puebla, place forte des rebelles que nos troupes ont investie. - parcours dangereux sur lequel la Légion doit le protéger. D'accord avec son adjudant-major, le capitaine Danjon, un grand blessé de Crimée qui porte une main articulée, il décide d'envoyer un détachement à sa rencontre, pour occuper le point de passage forcé de Palo-Verde, éminemment propice aux embuscades, en raison des arroyos qu'il faut y franchir à gué.
C'est à la 3ème compagnie de marcher. Mais tous ses officiers, terrassés par les fièvres, sont à l'ambulance. Légionnaire depuis 1852, " belle figure intelligente, dont la douceur tempère l'énergie ", le capitaine Danjou propose alors d'en prendre le commandement et, leur absence ne devant durer qu'une journée, le sous-lieutenant Vilain, officier-payeur, et le sous-lieutenant Maudet, porte-drapeau, qui ont l'un et l'autre gagné leurs galons à Magenta, demandent de l'accompagner. Tous trois sont donc volontaires. Eux compris, l'effectif, car il y a plusieurs malades graves, est d'à peine soixante hommes - mélangés comme dans toutes les compagnies de la Légion : des Allemands, des Belges, des Espagnols, des Italiens, des Polonais et quelques Français.
La petite colonne s'ébranle le 30 avril à une heure du matin. Au petit jour, la 3ème compagnie traverse le hameau de Camerone : quelques masures croulantes autour d'une ferme à l'abandon. Puis, après une reconnaissance vers l'est, elle s'installe en halte gardée à Palo-Verde, pour y faire le café. Mais l'eau ne bout pas encore que ses sentinelles signalent des cavaliers qui manoeuvrent pour lui couper la retraite vers Chiquihuite. Danjou donne sur-le-champ l'ordre de renverser les marmites et de recharger les mulets. Il se rabat sur Camerone d'où partent des coups de feu - et soudain la cavalerie ennemie se démasque, lançant avec des hurlements trois charges successives contre les légionnaires qui ont formé le carré et dont les salves les arrêtent net. Un seul incident fâcheux les affaiblit gravement : leurs mulets, affolés par les détonations, ont échappé aux conducteurs et se sont enfuis avec leur précieux chargement (vivres et munitions).
L'hacienda de Camerone dans laquelle se livra la fameuse bataille. Maquette exécutée d'après un document d'époque.
Facilement alors Danjou pourrait profiter du flottement de ses adversaires pour s'échapper derrière les haies qui hérissent le terrain et ramener sa troupe à Paso-del-Macho. Mais toutes les forces mexicaines se retourneraient contre le convoi qui doit coûte que coûte arriver à Puebla. Le seul moyen de les retenir est d'accepter la bataille, si inégale soit-elle, et de lutter pour gagner du temps jusqu'à extinction totale. Les légionnaires sur un simple geste de leur chef l'ont compris ; baïonnette au canon, ils se ruent aux cris de " vive l'Empereur ! " vers la ferme où l'ennemi a pris position.
Camerone. 30 avril 1863. Le serment : " Mes enfants, défendez-vous jusqu'à la mort! - Mon capitaine, jusqu'à la mort, nous en faisons le serment, "
En dépit d'un feu violent, ils s'engouffrent dans les deux portes cochères de l'enceinte, nettoient le corral intérieur et se barricadent avec des madriers dans la seule chambre libre, à l'angle nord-ouest. Position précaire, d'où l'on ne peut s'opposer au franchissement du mur qu'en y perçant quelques meurtrières à coups de crosse. Mais les légionnaires, qui ont fait à leur chef le serment de ne pas céder, y tiendront dix heures, en brisant les assauts répétés de près de trois mille hommes. Les quelques rescapés, quand on leur demandera comment ils ont pu faire, auront tous la même réponse : " Nous avions juré ! "
Le coffre sur lequel repose la main artificielle en bois du capitaine Danjou, héros de la bataille de Camerone, qui fut ramassée sur le champ de bataille et pieusement conservée.
Camerone. La tombe des Français où reposent les légionnaires de la compagnie du capitaine Danjou qui se fit exterminer le 30 avril 1863.
Lecture - souvent en plusieurs langues - du récit du combat de Camerone à Sidi-Bel-Abbès. Il est des défaites aussi glorieuses que des victoires.
Dès neuf heures, les huit cents cavaliers mexicains cernent étroitement la ferme et un aide de camp du général Millan adresse une première sommation au sergent Morzicki, qui fait le guet sur le toit, en promettant à ses défenseurs la vie sauve, s'ils déposent les armes. A l'unanimité, ils refusent et renouvellent devant le cadavre du capitaine Danjou, qu'une balle vient de frapper mortellement, leur serment de mourir en combattant.
Le sous-lieutenant Vilain prend le commandement et un instant on s'imagine, en entendant une lointaine sonnerie, que la compagnie Saussier accourt à la rescousse. Faux espoir : ce sont, au contraire, des renforts appelés par le général Millan pour en finir avec cette poignée de forcenés dont sa cavalerie ne peut avoir raison. Un nouveau parlementaire se présente ; mais, cette fois, le sergent Morzicki n'en réfère même pas à ses chefs et sa brève riposte claque, aussi cinglante qu'à Waterloo.
L'encerclement se rétrécit encore. Les assaillants défoncent à coups de pioche les murs et le plafond du réduit où combattent les légionnaires et les massacrent à bout portant.
La résistance continuant, ils entassent des bottes de paille et des fagots dans les couloirs ; puis ils y mettent le feu, ainsi qu'aux deux hangars voisins. La chaleur devient intolérable dans une épaisse fumée qui, mêlée à celle de la poudre, asphyxie les légionnaires. Ils n'ont rien à manger, rien à boire. L'écume aux lèvres, la langue tuméfiée, ils halètent parmi les blessés qui râlent en lapant, avant de mourir, leur sang ou leur urine.
A deux heures, le sous-lieutenant Vilain est tué. Son camarade Maudet le remplace avec la même énergie du désespoir, bien qu'il n'ait plus que douze hommes. Une accalmie survenant, ceux-ci croient déjà que l'ennemi se décourage. Il n'en est rien. Le général Millan n'a momentanément retiré ses troupes que pour leur faire honte de leur échec. On entend sa harangue, que le légionnaire espagnol Bertolotto traduit à ses camarades, et, tambours battants, les trois bataillons mexicains repartent à l'assaut.
Une décharge encore les ralentit - la dernière, car les quatre légionnaires encore valides qui restent au sous-lieutenant Maudat, ont vainement retourné les poches des blessés et des morts : ils n'ont plus de cartouches. Mais leur résolution ne fléchit pas. Ils remettent baïonnette au canon et bondissent hors de leur abri pour défoncer l'ennemi. Devant le sous-lieutenant Maudet, le légionnaire Catteau, qui lui fait un rempart de son corps, tombe frappé de dix-neuf balles et l'officier en reçoit deux dans le ventre. Seul, le prussien Wenzel, qui a l'épaule fracturée, se débat encore comme un dément dans un cercle de baïonnettes ; le colonel mexicain Combas s'interpose pour lui sauver la vie.
Plus de cinq cents cadavres mexicains jonchent les abords de la ferme - et, si la 3ème compagnie n'existe plus, du moins a-t-elle rempli sa mission : le convoi, pendant cette héroïque hécatombe, a passé sans essuyer un coup de feu.
Les grenadiers du capitaine Saussier qui arrivent le lendemain matin à Camerone n'y trouvent qu'un seul survivant : le tambour Laï, percé de sept coups de lance et laissé pour mort dans le charnier.
- Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ! s'est écrié le général mexicain Millan, devant les vingt-deux blessés qui gisaient sous ses yeux.
Cet exploit, toutefois, ne libère pas la Légion de son ingrate mission de surveillance dans la géhenne des Terres Chaudes. Les renforts qu'elle ne cesse de recevoir d'Algérie y fondent à un rythme alarmant. Le colonel Jeanningros, qui réclame désespérément sa relève et son envoi, pour se refaire, sur les hauts plateaux, n'obtient satisfaction qu'en février 1864. Ses bataillons en haute montagne continuent à y faire du bon travail, mais à un prix très élevé.
La Légion, mal ravitaillée, mal habillée, souffre terriblement dans cet énorme pays où alternativement des froids rigoureux et des températures tropicales l'accablent. A coup sûr eût-il été comme l'Espagne son tombeau, si Napoléon III avait donné suite à son projet de la laisser pour dix ans à l'empereur Maximilien. Cette funeste campagne, quand nous nous retirons du Mexique, l'a appauvrie déjà de 31 officiers et de 1 917 légionnaires.
Elle en est à peine remise, quand éclate la guerre de 1870. Obligée de remplacer en Algérie les unités dirigées vers la France, elle forme cependant deux bataillons de marche qui arrivent à Bourges le 13 octobre. De son côté, l'impératrice Eugénie, répondant au désir de nombreux étrangers volontaires pour s'engager dans l'armée française, lève un 5ème bataillon de Légion, à six compagnies, sous les ordres du commandant Arago - magnifique officier qui, après l'avoir instruit et équipé, tombe en défendant les faubourgs d'Orléans. Coincé entre les Bavarois et les Prussiens, le bataillon refuse de se rendre. Le sous-lieutenant Karageorgewitch, futur roi de Serbie, ne parvient à franchir les lignes ennemies que sous un déguisement de meunier.
Le 7 janvier 1871, le régiment, transporté par voie ferrée à l'armée de l'Est, débarque à Montbéliard par un froid noir. Les vivres manquent, de nombreuses recrues ont les pieds gelés. Jeunes et vieux légionnaires, cependant, s'élancent, clairons en tête, sous une grêle de balles, le 14 janvier, à l'assaut des hauteurs de Sainte-Suzanne et y taillent l'ennemi en pièces : " La Légion, dit le général Peytavin, vient de faire le travail d'une division entière. " Elle a mis Besançon en état de défense, quand cessent les hostilités.
La Légion en Extrême-Orient
Provisoirement perdante en Europe, la France a détourné ses yeux de la crête bleue des Vosges pour chercher sur d'autres continents l'emploi de son énergie et de son esprit d'entreprise. Telles sont ses ressources profondes qu'en moins de cinquante ans elle va s'adjuger le second empire colonial du monde : rétablissement d'autant plus remarquable que les grands soldats qui font ainsi éclater ses frontières ne sont que faiblement soutenus souvent par la nation.
Les régiments métropolitains, d'ailleurs, - l'expérience ayant prouvé qu'ils supportent mal les climats d'outre-mer - ne participent qu'exceptionnellement à ces expéditions lointaines. Elles exigent des troupes entraînées aux températures violentes des pays exotiques et c'est l'armée d'Afrique qui les fournira ; c'est d'Algérie que l'infanterie de marine, les zouaves, les tirailleurs et, à la pointe du combat toujours, la Légion Etrangère sont partis à la conquête de nouvelles terres françaises.
Quatre bataillons vont successivement embarquer pour le "Tonkin, dont leur entregent et leur persévérance feront un des fiefs de la Légion ; elle y demeurera jusqu'à la récente débâcle l'expression la plus vivante de la mère-patrie et sa force le plus solidement enracinée.
Depuis 1858, la France est présente en Cochinchine et le Cambodge a reconnu sa suzeraineté. Deux marins aventureux, le lieutenant de vaisseau Francis Garnier et le commandant Rivière, l'un et l'autre victimes de leur témérité, ont planté le drapeau tricolore au Tonkin. Mais notre protectorat n'y est que virtuel, le pays restant pratiquement occupé par la Chine, dont les guerriers, les Pavillons noirs, le rançonnent et le pillent au mépris de tout droit.
Leur chef, Lung-Vinh-Phuoc, refusant de l'évacuer, une expédition punitive débarque en novembre 1883 à Itaïphong et l'amiral Courbet, qui la commande, décide de refouler les envahisseurs hors du delta, en leur enlevant les deux places fortes de Sontay sur le Fleuve Rouge et de Bac-Minh sur le Song-Cau. Sept canonnières françaises et de nombreuses jonques, transportant une partie des troupes, remontent le fleuve, tandis que le gros suit la route Mandarine. La chaleur est torride. A l'aile marchante, les légionnaires suffoquent sous leurs épais vêtements de drap ; ils adopteront bientôt la tenue plus légère des indigènes. Les ouvrages avancés tombent, cependant, et une digue qu'ils ont emportée les conduit jusqu'aux abords de la forteresse de Sontay
Grands remueurs de terre, les Chinois l'ont embastionnée dans deux enceintes de cinq mètres de haut, qui trempent dans des fossés pleins d'eau. A ces défenses s'ajoutent d'épaisses haies de bambou que l'artillerie ne peut détruire. Indubitablement ne peut-on pénétrer dans la place qu'en défonçant ses issues. L'amiral Courbet se résigne à cette solution coûteuse. Le 16 décembre, à cinq heures du soir, les clairons des fusiliers-marins et de la Légion sonnent la charge. Mais les légionnaires, dont les patrouilles ont rampé jusqu'à quelques mètres de la porte nord-ouest, la trouvent encore murée par d'énormes palissades. Au prix d'efforts inouïs, sous un tir roulant qui leur fauche quatre officiers, ils y pratiquent une brèche et l'un d'eux, bondissant sur la plate-forme, y hisse les trois couleurs à la place du pavillon chinois. Par ce premier fait d'armes, le légionnaire Minnaert, sur le champ décoré de la Médaille militaire, entre dans la légende.
Pendant toute une nuit, des combats de rues draguent la ville où les Chinois ont abandonné plus de mille cadavres et un matériel de guerre considérable. La population annamite y acclame l'amiral Courbet, qui, sa mission étant désormais de traquer le Céleste Empire sur les mers, passe au général Millot le commandement des opérations terrestres contre les Pavillons noirs. Comme il était prévu, la citadelle de Bac-Ninh sera son premier objectif. Deux colonnes doivent l'attaquer simultanément : au sud, la brigade Brière de l'Isle venant de Hanoï ; par le nord-ouest, la brigade de Négrier, qui a reçu un second bataillon de Légion et progresse rapidement le long du Song-Cau.
Ici se place le mot fameux du général de Négrier : " Vous, Légionnaires, vous êtes soldats pour mourir ; je vous envoie où l'on meurt. " Et, toujours à l'avant-garde, les légionnaires, après avoir détruit le barrage établi par les Chinois pour inonder les voies d'accès, s'emparent de la ceinture nord des forts, dont les garnisons refluent vers la ville. " Il faut la prendre ce soir ! A la Légion, l'honneur d'entrer la première à Bac-Ninh ! " répète le général de Négrier. Ordre sur l'heure exécuté. Poursuivant les fuyards, la Légion se jette avec eux dans la place, au mépris des seize bataillons et des nombreuses bouches à feu qui la défendent. Le lieutenant Maquard, le sergent Christophel et Minnaert, de nouveau, plantent nos fanions sur le rempart. Dix drapeaux et cent canons restent entre nos mains - défaite si cuisante pour l'ennemi que l'empereur de Chine fera décapiter les généraux responsables sur le front des troupes : tous, au moment de l'attaque, étaient abrutis par l'opium dans les harems où ils séquestraient les neuf dixième des femmes annamites.
Le général de Négrier s'élance avec ses bataillons de Légion aux trousses des débris de leur armée sur la route ouverte de Langson. Mais le général Millot, dont le plan est d'exploiter d'abord le succès de Sontay, les rappelle sur le Fleuve Rouge et ils entrent presque sans coup férir à Hung-Hoa. Le 2ème Bataillon Etranger s'y organise, tandis que le 1er remonte avec d'autres forces la Rivière Claire sous des pluies torrentielles, traînant à bras souvent les canons qu'une boue gluante enlise, ouvrant au coupe-coupe la piste dans une brousse ruisselante, passant à gué, faute de ponts, tous les arroyos en crue. Avec l'appui d'une flottille fluviale, le camp retranché de Tuyen-Quang, but de l'expédition, est finalement atteint. La colonne s'y installe sous les ordres du commandant Dominé.
Sa position, au fond d'une cuvette, est aussi défavorable à la défense que le sera celle de Dien-Bien-Phu. Accolé à la rivière, c'est un très ancien ouvrage, dont les murailles de briques rouges, doublées par un talus de terre, forment un carré de trois cents mètres de côté. De toutes parts, des collines boisées le dominent ; elles développent même jusqu'à l'escarpe un éperon surmonté d'une pagode. Aux insolations enfin, très redoutables dans ce bas-fond, s'ajoutent la dysenterie et le paludisme qui dissolvent rapidement la garnison.
Pendant quelques jours, elle se fortifie, fouissant près de deux kilomètres de tranchées et de cheminements, avec pare-balles et banquettes de tir. Mais, dès le 23 janvier, toutes les hauteurs environnantes grouillent d'ennemis, qui y creusent aussi des retranchements. Ce sont les avant-gardes d'une nouvelle armée que Lung-Vinh-Phuoc a levée dans le Yunnan : excellentes troupes, bien encadrées et maniant avec adresse un armement très moderne de fusils anglais et de canons Krupp. Les Chinois, d'autre part, ont obstrué la rivière en y coulant des sampangs et le ravitaillement n'arrive plus à Tuyen-Quang ; sur 396 légionnaires, 191 déjà, blessés ou malades, sont hors de combat.
Le 29 janvier, la place est complètement investie. On n'y peut plus circuler que dans les boyaux, à cause des tirs plongeants qui la criblent nuit et jour. Plus de vingt mille Pavillons noirs progressent autour d'elle, en l'enserrant dans une nasse de tranchées de plus en plus rapprochées et les flammes multicolores qui les piquettent viennent presque lécher ses murs. Les sapeurs du sergent Bobillot doivent évacuer le blockhaus qu'ils avaient construit sur l'éperon de la pagode et quiconque passe la tête au-dessus du parapet court un danger mortel. Les marins de la Mitrailleuse épuisent leurs munitions contre les éléments qui se coulent le long de la rivière.
Tous les assauts, cependant, sont repoussés. Lung-Vinh-Phuoc, qui a fait instruire des sections spéciales d'artificiers, entreprend alors des travaux de sape pour faire sauter les murailles, et une guerre souterraine, où les Chinois sont passés maîtres, s'engage, le sergent Bobillot y répliquant en forant des contre-mines ou en inondant les galeries de l'ennemi.
Deux explosions, dans la nuit du 12 au 13 février, ouvrent une large échancrure que les légionnaires colmatent après avoir refoulé à la baïonnette une avalanche d'assaillants. A la stupeur de ceux-ci, le caporal Beulin bondit dans leur fossé pour leur reprendre le corps d'un de ses hommes que la déflagration y a projeté. Il n'y aura plus de nuits, dès lors, sans que des chapelets de mines n'explosent, déclenchant chaque fois la même ruée hurlante des Pavillons noirs. Le 21 février, soixante mètres de remparts sautent ; le capitaine Moulinay et douze légionnaires se font tuer en brisant l'attaque. Le 23, les Chinois échouent de nouveau ; le capitaine Cattelin, adjudant-major, leur prend deux drapeaux.
Mais une inépuisable réserve d'hommes alimente leurs assauts, tandis que les morts, chez nous, s'accumulent dans l'abri qui sert à la fois d'infirmerie et de morgue, car les bombardements continuels ne laissent même pas le temps de les enterrer. Le capitaine Dia a été tué, tué le sergent Bobinot, intrépide figure de gamin de Paris. Il ne reste que cent quatre-vingts fusils pour défendre douze cents mètres de murailles en partie démantelées. Le 25 au soir, l'aumônier de la garnison note qu'elle compte cinquante-neuf combattants de moins que le matin.
Cette situation dramatique, cependant, n'ébranle ni le commandant Dominé, ni la troupe qui se modèle sur ce chef impavide. Des volées de mitraille répondent aux gradés ennemis qui, de leurs trous, interpellent les Français en leur annonçant qu'ils n'échapperont pas à l'écrasement. Chacun sait, d'ailleurs, que les Chinois font périr leurs prisonniers dans d'atroces supplices et un réduit bourré d'explosifs a été aménagé, où les derniers défenseurs ont résolu de se faire sauter, quand ils auront brûlé toutes leurs cartouches.
Ce moment semble proche le 28 février. Lung-Vinh-Phuoc a ordonné un assaut général. Les Pavillons noirs, escaladant un saillant écroulé, y piquent trois drapeaux. Mais la Légion les arrache. Pendant neuf heures, elle combat au corps à corps et fait un tel massacre de Chinois que, dans un seul boyau, soixante cadavres s'entassent, tous marqués au front par la croix rouge des volontaires de Yunnan.
Une récidive serait à coup sûr fatale et l'ouragan d'obus de tous calibres qui s'abat sur les ruines du poste, le 2 mars, laisse prévoir le pire. Mais un autre grondement retentit tout à coup dans le lointain. Une fusée signale la colonne libératrice et la panique s'empare des Chinois qui lèvent précipitamment le siège. A la tête d'un petit détachement, le capitaine de Borelli va reconnaître leurs positions et un traînard embusqué au créneau d'une casemate l'abattrait, si le légionnaire Thiebald Streibler ne se jetait, en le bousculant, devant son chef. La balle à ce dernier destinée le tue raide. Mais son geste ne sera pas oublié : c'est à Thiebald Streibler que le capitaine de Borelli a dédié l'ode pathétique où il s'entretient avec ses morts de Tuyven-Quang, cri déchirant de l'amour d'un officier pour ses soldats.
C'est alors que l'amiral Courbet, pour intimider la Chine, bloque Formose et envoie la Légion à Kélung. Pékin s'engage, par le traité de Tien-Thsing, à évacuer le Tonkin et à nous y laisser les mains libres.
Mais la lutte n'est pas terminée. Les Pavillons noirs licenciés se regroupent en bandes de pirates qui mettent le pays à feu et à sang. Pendant des années, il faudra leur donner la chasse à travers la jungle, les rizières et les calcaires des montagnes, où elles disparaissent et reparaissent sans cesse. En butte à un ennemi cruel, fanatique et très fluide, qui se bat avec des armes européennes, semant partout la mort, les légionnaires mènent de pair, et avec leur flegme habituel, le nettoyage du pays et son organisation. Empruntant une physionomie particulière aux mœurs et aux vêtements du pays, leurs silhouettes font désormais partie du paysage tonkinois. Autorisés à se marier, beaucoup de ces vieux soldats y fondent des foyers et la congaï fine et diligente, qui leur prépare le poulet au riz, les enfants qu'elle leur donne, contribuent à les attacher à ce peuple annamite qui, peu à peu, se christianise et, depuis la défaite du chef pirate le Dé-Tham en 1908, semble assuré, sous leur garde, d'une paix définitive
Aux avant-postes de l'Empire
Il n'est pas une région, en Afrique, où le commandement ne fasse automatiquement appel à la Légion dès qu'un péril grave y menace nos garnisons, en général insuffisantes.
En 1892, les abords de nos comptoirs du Bénin et de Porto-Novo sont à maintes reprises ravagés et incendiés par Béhanzin, maître de l'immense royaume noir du Dahomey, à qui des forbans européens ont livré quelque quinze mille fusils à tir rapide. Ce potentat, hors d'atteinte au fond de la brousse tropicale dans sa capitale d'Abomey, s'y exhibe sur un trône fait de crânes humains. Il y est défendu par une garde tristement fameuse de deux mille guerrières qui ne se nourrissent que de viande crue - et de préférence de chair humaine - avec la douce habitude, par surcroît, d'émasculer elles-mêmes les prisonniers pour se barbouiller le visage de sang avant de partir au combat.
Débordé par des coups de force de plus en plus audacieux, le colonel Dodds, qui commande à Cotonou, avertit son ministre qu'il va être contraint d'évacuer, si on ne lui donne pas les moyens d'anéantir dans son repaire le tyran d'Abomey. Le gouvernement, qui craint une réaction de l'opinion publique, ne lui accorde peureusement que quatre mille hommes, dont un bataillon de huit cents légionnaires. La colonne s'enfonce dans la savane, aux prises avec une nature impitoyable et des tireurs enfouis dans les taillis et qui s'escamotent aussitôt.
Son effectif n'est plus que de dix-sept cents hommes, lorsqu'elle s'enfonce, la quatrième semaine, dans une zone plus néfaste encore, où l'eau manque. On ne peut plus faire le café, ni désaltérer les blessés, et le canon doit se mettre de la partie pour réduire les défenses avancées de Kana, la ville sainte du Dahomey. Béhanzin y a ouvert les portes des prisons pour grossir ses troupes qui, enivrées de genièvre, se battent farouchement. Les légionnaires perdent cinq officiers ; mais leur percée atteint les faubourgs, où les sanguinaires amazones, à bout de carnage, se débandent.
Au loin, un énorme incendie enfume la brousse. Avant de s'enfuir, Béhanzin a brûlé Abomey, qui, à notre arrivée, n'est plus que cendres fumantes. Il ne se rendra que cinq mois plus tard, en haute montagne, à une patrouille de légionnaires, commandée par le lieutenant Martin.
Pour pacifier le Soudan, les légionnaires parcourent 950 kilomètres dans un pays où aucun blanc encore n'avait pénétré. Nourris d'un biscuit seulement par jour et de quelques patates, ils ont franchi quatorze grandes rivières, plus de trois cents marigots et livré seize combats.
En 1894, une expédition punitive les lance contre les touaregs de Tombouctou qui ont massacré la colonne Bonnier. En Guinée, une compagnie du 1er Etranger refoule les Foulakonies qui ont franchi en grand nombre la frontière du Founta. En 1895, les légionnaires se retrouvent à Madagascar, où la reine Ranavalomanjaka III a remis notre protectorat en cause. Ils construisent une route stratégique, bousculent les Hovas tantôt dans d'épaisses forêts, tantôt à travers des marais, grouillants de caïmans. Ils pénètrent enfin dans Tananarive où, pour les récompenser de leurs exploits, on les installe dans le palais de la reine.
Mais la Légion n'en a pas fini avec Madagascar, car le général Gallieni, qui a fait ses preuves en Indochine, doit y mâter bientôt une nouvelle révolte.
La partie sud de l'île est placée sous le commandement du colonel Lyautey, qui applique avec patience des méthodes qu'il a expérimentées déjà au Tonkin : implantation progressive de postes pour protéger les tribus qui se sont ralliées et si possible les enrôler ; rayonnement aux alentours de reconnaissances et de patrouilles ; pistes fichées en pays hostile par des détachements autonomes et constamment en mouvement ; amélioration immédiate du sol, pour en augmenter le rendement. Et Lyautey de noter dans son journal :
" Cette pacification n'a pas de meilleurs artisans que les légionnaires, pétrissant de leurs mains créatrices des terres en friche pour les transformer en rizières, des vallées endormies pour en faire des artères de vie... Ils apportent à l'exécution de ces travaux l'intelligence des choses coloniales et l'ardeur qui les caractérisent. "
Des ports fluviaux, des comptoirs agricoles, changent l'aspect du pays. Quinze forts le dominent, qui portent tous les noms d'officiers tués - fort Flayelle, fort Delavau, fort Montagnole, fort Pierrebourg - et innombrables sont les petits postes perdus dans le maquis, ravitaillés une fois par mois seulement, où un caporal de la Légion, voire un simple légionnaire, commande quelques tirailleurs malgaches.
En 1901, le bataillon de Diégo-Suarez mène à bien un travail formidable : la route de la forêt d'Ambre, où les indigènes eux-mêmes n'avaient jamais pu s'insinuer.
Comme partout les légionnaires, sociables et généreux, sympathisent avec la population. " Là où ils ont passé, dit Gallieni, il ne reste rien à retoucher. "
Les confins sahariens et la campagne du Maroc
En Algérie, la nécessité de désarmer les tribus de l'extrême sud devient de plus en plus pressante. Les oasis voisines du Tafilalet regorgent de pillards et la question marocaine s'y pose d'une façon très aiguë - comme tout le long, d'ailleurs, de la frontière assez imprécise qui sépare la province d'Oran de l'empire chérifien. Bien qu'il soit aux portes de l'Europe, cet empire présente, au début du XXème siècle, la singularité de n'avoir jamais été reconnu. L'autorité du sultan y est purement nominale. Plus puissants que lui, ses grands vassaux s'y ébrouent dans une totale anarchie et les agitateurs ont la partie belle, dont les harkas nous débordent par le sud, à l'abri des dunes et des brisants du désert.
Trop lourdes et trop rigides, les méthodes classiques de la guerre sont inefficaces dans ces vastes étendues encore en blanc sur les cartes et ponctuées seulement par de très vagues repères. " Ici, disait le colonel Négrier, nous nous battons à coups de kilomètres. Il s'agit de marcher. " On a multiplié, en conséquence, les compagnies montées de la Légion qui, avec une autonomie de dix à quinze jours de vivres et de munitions, peuvent abattre cent cinquante kilomètres entre le lever et le coucher du soleil. Pendant un demi-siècle, ces unités très mobiles, conduites par des chefs jeunes et hardis, vont poursuivre à travers le chaos, plein d'embûches, des confins une ronde infernale pour dépister et gagner de vitesse les bandes qui s'y évanouissaient auparavant, comme des ombres, à notre approche.
De 1900 à 1903, de nombreux accrochages opposent nos avant-postes aux tribus marocaines. Le gouvernement désigne alors le colonel Lyautey, qui était en demi-disgrâce à Alençon, pour prendre le commandement du territoire d'Aïn-Sefra et y mettre fin aux agressions. Mais des difficultés internationales surgissent aussitôt du fait de l'Allemagne et de l'Angleterre qui s'opposent à toute violation des incertaines frontières chérifiennes. Presque avons-nous dû cacher, déjà, que notre drapeau flotte à In-Salah, et Lyautey, promu général dès son arrivée, en est réduit à ruser pour exercer d'énergiques représailles malgré la timidité des ordres reçus. L'occupation des ksars marocains de Béchar et de Ras-el-Ain lui étant interdite, il se porte plus avant, sur les lieux dits Colomb et Berguent qu'on ne peut - et pour cause - situer sur la carte, car ils n'existent qu'à partir du jour où les bataillons étrangers donnent ces noms à deux postes en toute hâte bâtis et non moins vite reliés par des pistes à l'arrière. A l'imitation des Pharaons, les légionnaires, qui ont élevé en pierres de taille la porte monumentale du Bordj de Colomb-Béchar, scellent dans la muraille un cahier d'écolier revêtu de leurs signatures.
Dès 1904, trois solides points d'appui - Berguent, Forthassa et Colomb-Béchar - servent de base aux opérations qui, dans l'esprit du général Lyautey, ne sont qu'un prélude à l'inévitable conquête du Maroc, foyer d'insurrection dont nous ne pouvons tolérer qu'il foisonne, comme un brûlot, dans le flanc de l'Algérie.
En 1907, la situation se dégrade si gravement au Maroc que le gouvernement français se voit dans l'obligation d'intervenir, pour suppléer à l'impuissance du pouvoir central contre un désordre dont les tribus frontalières profitent pour nous envahir à tout bout de champ. D'un bond, le général Lyautey, qui n'attendait que ça, occupe Oujda et tend, devant les Beni-Snassen, le barrage de ses compagnies montées. Il ne peut pousser plus avant, dans une région difficile à pénétrer, car on lui a enlevé beaucoup de troupes pour constituer le corps de débarquement de Casablanca et parce qu'une réaction très violente, dans le sud, y met nos postes en péril.
Le Tafilalet est en ébullition. Le derkaoui Moulay-Lhassen y a dévalé des contreforts de l'Atlas avec trente mille guerriers, qu'il lance sur nos troupes, avant de battre en retraite.
Rattrapant les Marocains sur le Haut-Guir, la colonne du colonel Pierron les anéantit à Bou-Denib. De tels monceaux de cadavres pourrissent dans la ville que force est de bâtir le camp à une certaine distance. On l'entoure de solides défenses, complétées par un blockhaus au sommet du gara qui domine la palmeraie, car la vallée qu'il doit verrouiller est cernée de montagnes hostiles, et d'invétérés pillards écument encore la hamada environnante.
Bientôt des milliers de Marocains assiègent le camp de Bou-Denib. Les légionnaires les repoussent à la grenade. Le fortin résiste ainsi deux mois jusqu'à l'arrivée de la colonne de secours.
Tout le 1re Etranger se bat dans le Maroc oriental, tandis qu'un régiment de marche du 2ème Etranger, débarqué à Casablanca, occupe Ber-Rechid, Settat et Médiouna, et livre, pour élargir ce second front, les combats de l'Oued-Fekkat et de Sidi-Yebli.
En 1911, le sultan Moulay-Hafid, prisonnier dans Fez de ses tribus révoltées, appelle les Français à son secours. La colonne Moinier débloque la ville où un bataillon de légionnaires entre le premier, après avoir durement combattu pendant les étapes d'approche.
En 1912, le traité de Protectorat est signé. Mais la révolte des Tabors à Fez et le massacre des Européens déclenchent un soulèvement de toutes les tribus berbères. Rappelé de Rennes et nommé résident-général, le général Lyautey prend le commandement en pleine insurrection. Il dégage la capitale assiégée et rétablit la situation dans tout le pays.
1914. Les légionnaires originaires des empires centraux demeurent, pendant la guerre, à la garde de nos territoires d'outre-mer où ils répriment les révoltes et poursuivent d'énormes travaux d'aménagement. La conscience déchirée souvent, ils choisissent unanimement de respecter le contrat passé avec la France, et le maréchal Lyautey, évoquant ces heures décisives, a pu dire : " La légion fut, dans tout mon commandement, ma troupe, ma plus chère troupe ; de 1914 à 1918, elle a constitué ma première force, ma suprême réserve. "
La grande guerre
Dès les premiers jours d'août 1914, des centaines d'étrangers résidant en France ou qui y accourent des pays amis demandent à combattre dans son armée. Au Palais-Royal, l'ancien drapeau du royaume de Bohême flotte au balcon d'un bureau de recrutement improvisé par les Tchèques. Les paquebots débarquent, avec Georges Casmèze, de nombreux Américains qui ont répondu à son appel dans le New York Herald. Tous rejoignent quatre régiments de volontaires étrangers. La vie au front, par la suite, et les premiers combats de l'hiver fondront ces éléments disparates en une nouvelle Légion, digne du grand passé dont elle est héritière. On l'incorpore à la Division Marocaine.
Le 2ème de marche du 1erEtranger commence sa mémorable carrière en Artois pendant les opérations de mai et juin 1915. La Division Marocaine y a été donnée au général Pétain, commandant le 33ème corps, pour conquérir la crête de Vimy. Départ très dur, car ni les fils de fer, ni les blockhaus ennemis, ne sont détruits, lorsque le régiment franchit les parapets. C'est sous les feux croisés des mitrailleuses de Neuville-Saint-Waast, de la Folie et de Souchez qu'il atteint, en enfonçant la seconde ligne allemande, ses objectifs de la cote 140 et les Ouvrages blancs. Le colonel Pein et ses trois chefs de bataillon ont été tués. A la fin de l'attaque, un simple caporal commande une compagnie et l'abbé Gas, aumônier de la Légion, qui absout de tous côtés les mourants, feint de ne pas voir derrière lui l'affreux carnage qui se poursuit au couteau et à la grenade dans les abris allemands. Mais les réserves ne suivent pas. Désespérément, les légionnaires se cramponnent pendant vingt-quatre heures, dans l'attente d'un renfort, à leurs positions en flèche sur lesquelles toute l'artillerie lourde concentre ses tirs.
Le 16 juin, les deux petits bataillons que le commandant Collet en a ramenés réattaquent à Givenchy et au Cabaret Rouge, décrochant du même coup leur première citation à l'ordre de l'armée. 71 officiers et 2.513 légionnaires l'ont payée de leur vie. Retiré du front, le régiment se refait à Montbéliard en absorbant les débris du 3ème de marche.
Il remonte en ligne en septembre, pour l'offensive de Champagne, avec son frère d'armes, le 2ème du 2ème Etranger. De nouveau l'artillerie a mal préparé l'attaque : ils se heurtent devant la ferme Navarin et la butte de Souain à des défenses intactes, dont les casemates cassent dix assauts successifs. Baïonnette au canon, les légionnaires obligent les unités qui refluent à repartir avec eux à la charge. Le caporal Bouilloux, dressé au milieu des balles, sonne le Boudin. Un éclat d'obus arrache le bras du légionnaire suisse Sauter - en littérature Blaise Cendrars. Onze officiers, dont les commandants Declève et Bure], sont tués. Les escouades ne progressent, à travers les barbelés, que par bonds de quelques mètres - jusqu'à ce que la butte de Souain, tournée, tombe avec une partie des secondes lignes allemandes.
Les deux régiments sont cités, mais au prix d'une telle boucherie de légionnaires qu'on ne peut, avec les survivants, en reconstituer qu'un seul. II prend le nom de Régiment de Marche de la Légion Etrangère (lieutenant-colonel Cot) et déjà la place de gagnant lui revient, avec trois citations à la cravate de son drapeau, dans une course à la gloire qu'il va sans relâche disputer.
De retour sur le front pour la bataille de la Somme, il est chargé le 4 juillet de s'emparer de Belloy-en-Santerre. Un glacis de huit cents mètres l'en sépare, sans un arbre, sans un couvert, et dans un terrain qu'une pluie battante, a détrempé. Les mitrailleuses y fauchent un premier bataillon avec tous ses officiers. Mais, entraînés par leurs clairons rageurs, de nouvelles vagues rampent dans la boue, à travers les trous d'obus pleins de blessés. Qui lève la tête, une balle aussitôt le frappe.
Les veux brillants, poignard au poing, des groupes qui n'ont plus ni officiers, ni sous-officiers s'infiltrent dans les jardins et les ruelles du village - et une immense clameur :
Vive la Légion! domine soudain le vacarme du bombardement. Ce sont les blessés qui, d'un bout à l'autre du champ de bataille, acclament leurs camarades victorieux.
La lutte continue dans le village où les légionnaires ont déjà raflé 750 prisonniers. Le père Gas multiplie les signes de croix sur les abris où les équipes de nettoyeurs s'engouffrent avec leurs musettes pleines de grenades. Les dernières maisons sont enlevées par l'élégant lieutenant Nazare-Aga, le plus Parisien des Persans, fils de l'ambassadeur du Shah auprès de la République française.
Au colonel Duriez, mortellement blessé en 1917 en Champagne pendant l'offensive Nivelle, succède alors un jeune colonel de quarante-deux ans, le colonel Rollet, titulaire de tant de hauts faits, déjà, que ses hommes l'ont surnommé le premier légionnaire de France Il débute par un coup d'éclat, le 20 août 1917, à Verdun. La Division Marocaine y a pour mission de dégager la rive gauche de la Meuse. A elle seule, la Légion doit reprendre les Ouvrages blancs, les bois de Lumières et le boyau de Forges - opération si lourde que deux temps sont prévus, d'autres troupes devant, après le premier, relever les légionnaires.
A Verdun, en 1917, le drapeau du Régiment de marche de la Légion Etrangère est déjà le plus décoré de l'Armée Française. Autour du Colonel Rollet, qui le présente, I'adjudant-chef Mader, les caporaux Aroras, Dièta et Léva, tous quatre chevaliers de la Légion d'Honneur.
Mais ils foncent dans notre propre barrage avant même que l'artillerie ne l'allonge. A dix heures du matin, les positions qu'ils ne devaient atteindre que le soir sont enlevées et le colonel Rollet ne laisse pas à l'ennemi le temps de se ressaisir. Sans attendre les ordres, il découple ses compagnies à l'assaut du col de l'Oie et de la cote 365, où les caporaux Gélas et Thirion coiffent deux pièces de 77, après en avoir égorgé tous les servants. Maîtresse de Forges et de Régnéville le lendemain matin, la Légion y a entassé des prises de guerre considérables : 680 prisonniers dont 20 officiers, 15 canons de 105 et de 380 et une telle quantité de mitrailleuses qu'il serait trop long de les compter. Blessé au bras et à la jambe, le colonel Rollet n'a pas quitté son commandement. " On avait fixé à la Légion des objectifs trop rapprochés, déclare-t-il ; elle s'en est assigné d'autres. "
Quelques jours plus tard, encadré par l'adjudant-chef Mader, les caporaux Arocas, Diéta et Léva, tous quatre faits chevaliers de la Légion d'honneur, il présente le drapeau au général Pétain - qui accroche à sa hampe la fourragère rouge, spécialement créée à son intention. Le régiment continue ainsi à accumuler les citations jusqu'à ce que le clairon du 11 novembre sonne le " Cessez-le-feu! "
Des sanglots de joie l'accueillent dans Château-Salins pavoisée. Sur la grand-place, le colonel Rollet donne à baiser à la foule l'étamine sainte du drapeau auquel un décret, faisant suite à sa neuvième citation, a conféré en ces termes la Médaille militaire : " Héroïque régiment que son amour pour la France et sa bravoure légendaire ont placé au premier rang...
Et le vieux rêve des légionnaires alsaciens-lorrains de 1871 se réalise : leurs cadets prennent la garde du Rhin en territoire allemand, à Hornbach et à Frankenthal... Mais ils ne sont plus qu'un régiment fantôme, que quelques centaines d'hommes sur les 42 883 volontaires étrangers qui, pendant cinquante-deux mois, se sont succédé dans ses rangs.
Présente aussi dans les Balkans et aux Dardanelles, la Légion y a retrouvé les traces de ses aînés de 1854
Sur les traces des Croisés
Après-guerre le 1er Etranger de cavalerie est créé à Saïda avec des éléments triés sur le volet, provenant des cavaleries étrangères et, en grande majorité, des divisions cosaques de Wrangel et de Denikine. Rien que des combattants rompus par de longues années de campagne à leur métier de cavaliers et encadrés par une élite d'officiers français et russes - ces derniers souvent ayant porté de très hauts grades.
Comme les régiments à pied, le 1er Etranger de cavalerie se réclame d'une longue filiation qui, en remontant les siècles, va des escadrons du Mexique et d'Espagne aux lanciers polonais du premier Empire et aux volontaires saxons qui servirent Louis XVI - des hussards de Bercheny au Royal-Allemand de Louis XIV et aux carabiniers de Saint-Simon, levés par Louis XIII. Sa fougue, son panache et son indomptabilité vont vite justifier le qualificatif de " Royal Etranger " qu'il s'est orgueilleusement attribué.
Il fait ses premières armes au Maroc. En Syrie, l'escadron du capitaine Landriau ne réprime longtemps que le brigandage. Mais, en 1925, le soulèvement du Riff a d'énormes répercussions dans tout l'Islam et spécialement au Levant. Le chef druse Soltan-el-Attrache soulève les tribus de la montagne et, infligeant un cuisant échec à la compagnie du capitaine Normand, qui perd huit officiers et cent sept légionnaires, réussit à bloquer Soueida, capitale du Djebel Druse. Une première tentative pour nous y rétablir ne réussit pas. La révolte gagne Damas et le sud de la Syrie.
Mais la cavalerie de la Légion écrase les Druses à Mousseifré, un mauvais bourg hauranais. Pas un des rebelles qui se battaient dans le village n'en sort vivant.
Cette victoire permet de délivrer Soueida, dont la Légion reconstruit la citadelle. De nouveaux renforts qu'elle reçoit d'Algérie s'agrègent aux 4ème et 5ème bataillons pour constituer le 6ème Etranger, le régiment du Levant, qui stationnera à Baalbeck et à Homs, en détachant la 29ème compagnie montée à Palmyre.
L'escadron Landriau participe à la colonne du Liban du sud qui nettoie la région de l'Hermon. Puis il s'établit en grand-garde dans la vieille forteresse franque de Rachaya, avec un escadron de spahis tunisiens (capitaine Granger). Les ordres sont d'y résister à outrance et l'affaire s'annonce chaude, le 19 novembre 1925, quand une force de trois mille fusils investit la position, aussi mauvaise qu'à Mousseifré et pour les mêmes raisons : pas de vues, pas de champs de tir, dans un inextricable fouillis de lopins de terre et de ruines.
La garnison ignore, en outre, que d'antiques souterrains font communiquer la citadelle avec le bled. Druses et Hauranais s'introduisent ainsi dans la place. Surgissant dans une cour où les chevaux sont à la corde, ils leur tranchent les jarrets. Pendant trois jours, de féroces abordages se poursuivent de maison en maison. On compte bientôt cinquante-huit légionnaires tués ou blessés et les spahis ont perdu leur capitaine. Le 23 au soir, le capitaine Landriau envoie son dernier pigeon voyageur, en rendant compte qu'il ne lui reste plus que quinze cartouches par cavalier et que sa dernière chance, si on ne le secourt pas, est de tenter une sortie à la baïonnette. A l'aube, une escadrille de bombardement plonge en rase-mottes sur le camp ennemi et l'incendie. Les avant-gardes du 6ème spahis mettent les derniers Druses en déroute.
La paix rétablie au Levant, ceux qu'on y nomme " les bras tatoués " reprennent la pelle et la pioche et apportent une active contribution au développement du pays. La tutelle de la France n'y sera plus discutée jusqu'aux jours sombres de la Seconde Guerre mondiale.
L'apothéose marocaine
Toutes les grandes entreprises qui ont fait démarrer le Maroc portent le sceau de la Légion. Dans tous les domaines, ses réalisations, conçues à une vaste échelle et d'une exécution parfaite, ont contribué à promouvoir le stagnant empire chérifien au rang des nations. - Tout y est à faire, à son arrivée. Resté en marge du monde civilisé, ce pays en grande partie stérile, divisé, ruiné par une anarchie chronique, sommeille encore dans les moeurs rudimentaires du Moyen Age.
Les inépuisables ressources des légionnaires ne peuvent mieux s'employer que dans cette incohérence. Les constructeurs qu'ils sont entrent d'emblée dans les vues du grand proconsul qui veut en faire naître un Etat moderne. Leur tempérament africain aussi les y prédispose.
Le premier but que se propose le maréchal Lyautey est d'enfermer " le Maroc utile " c'est-à-dire les régions immédiatement exploitables, dans un réseau de défenses qui y assurent une sécurité absolue. Sa tactique est toujours celle de la tache d'huile autrement dit l'élargissement progressif d'une armature de points d'appui solides, sous la protection desquels les tribus errantes peuvent se fixer et se mettre au travail.
Les bonds en avant alternent avec les périodes où l'on s'organise sur le terrain conquis. De tous côtés, la Légion s'éparpille ainsi dans les groupes mobiles et les postes. Ses bataillons constituent les seules unités tactiques qui demeurent réellement dans la main de leurs chefs. Ils jouissent d'une grande autonomie et, de ce fait même, les principaux lieutenants de Lyautey seront alors des chefs de bataillon. Les circonstances en suscitent une pléiade dont la chronique remplirait une chanson de geste : hommes de feu et grands seigneurs de l'aventure. Le Maroc leur appartient en propre. Ils s'y sont taillé des fiefs. Mais on les connaît et les reconnaît dans toute l'Afrique du Nord.
Du littoral atlantique au golfe de Gabès, il n'est port, ni ville où ils ne soient chez eux, fêtés comme les épées d'une nouvelle chevalerie, provocante et railleuse.
Les plus fameux sont Henri de Corta, Maire, le prince Aage de Danemark, le Suisse Albert de Tscharner : on les appelle les " Mousquetaires de la Légion ".
Dès le printemps de 1924, l'écrasement des Espagnols par Abd el-Krim à Anoual alarme le maréchal Lyautey, qui réclame sans succès des renforts. Moins d'un an plus tard, le sultan riffain se rue sur nous à l'improviste avec une décision et une violence dont on ne l'imaginait pas capable. Grossi de toutes les tribus que la peur d'être razziées lui a gagnées, le raz de marée emporte nos positions. Avec un peu plus d'audace, Abd el-Krim prendrait Fez ; bientôt il est aux portes de Taza.
De toutes parts, les bataillons de Légion sont jetés dans la bataille pour enrayer le flot, ravitailler les quelques postes encore épargnés et recueillir ceux qui sont submergés.
A la fin d'août, l'assaut est bloqué, le prestige d'Abd el-Krim sérieusement entamé. La riposte s'organise. Les renforts qu'on a refusés au maréchal Lyautey vont permettre au maréchal Pétain de lancer, le 8 mai 1926, une formidable offensive. Toute la Légion y participe et, avec un éclat particulier, les bataillons du 2ème et du 4ème Etranger dans le Djebel-Iskritten. La guerre du Riff s'achève à Targuist par la capture d'Abd el-Krim et de ses derniers partisans. Le colonel Corap les fait défiler devant les légionnaires.
Nos troupes se retournent alors pour arraisonner les rebelles de la tache de Taza. La forteresse naturelle du Tichoukt, où nous avions vainement assiégé jusqu'alors le vieux djicheur boiteux Saïd-ou-Mohand, se rend. Puis vient le tour du puissant chef berbère Sidi-Raho dans la grande tache que les 3ème et 4ème Etranger réduisent djebel par djebel. Un dernier assaut les conduit sur la crête des Beni-Ouaraïn, d'où la vue embrasse tout le Maroc, de l'Atlantique à la Méditerranée et au Sahara.
Tunnel de Foum-El Tabel.
Mais il n'y a jamais de repos pour la Légion. A peine reprend-elle son souffle que l'ordre lui arrive de reboucler ses sacs et de rebâter ses bghels (1) pour effacer de la carte du Sud une autre zone insoumise : la vieille place d'armes du Tafilalet, refuge des rezzous sahariens qui continuent d'approvisionner ses marchés en pillant nos convois vers Bou-Denib. Tâche difficile, mais en 1932, le Tafilalet tout entier dépose les armes. Nous avons les mains libres pour résorber les deux derniers réduits du bled Siba : les faîtes du Grand Atlas et de son éperon méridional, le djebel Sagho ; sur les confins mauritaniens, l'îlot déshérité de l'Anti-Atlas, où le 4ème Etranger liquide les noyaux de résistance des hommes bleus.
(1) Mulets en arabe. On l'a surnommée : La Royal Bghel Force.
Il n'y a plus de dissidence. Pour la première fois clans l'histoire, les territoires disparates qu'englobait, en principe seulement, l'empire chérifien sont réunis sous l'autorité du sultan. La Légion, qui n'a cessé pendant les opérations, de policer le bled, en le couvrant de pistes, de bourgs de regroupement et de marchés, peut entièrement se consacrer à ces besognes de paix. Elle est partout à la fois sur l'immense chantier qui devient le Maroc et fait face à toutes les nécessités.
Rien de tout cela n'eût été sans Lyautey qui l'a voulu, sans la Légion qui fut son meilleur outil, et quiconque le conteste dévoile une âme bien médiocre.
Re: la Légion Etrangère vu par l'écrivain Jean des Vallières
je finirai ce soir
olivier- Admin
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Date d'inscription : 10/11/2009
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Re: la Légion Etrangère vu par l'écrivain Jean des Vallières
Merci Daniel un peu long a lire mais passionnant
Légionnaire au Tonkin. (1883-1886.)
Le portail du Quartier Vienot, à Sidi-bel-Abbès
de cet ensemble indéfinissable se dégagent une énergie de fer, l'instinctive passion des aventures, une étonnante fécondité d'initiatives, un suprême dédain de la mort, et toutes les originalités sublimes des vertus guerrières. "
Légionnaire au Tonkin. (1883-1886.)
Le portail du Quartier Vienot, à Sidi-bel-Abbès
de cet ensemble indéfinissable se dégagent une énergie de fer, l'instinctive passion des aventures, une étonnante fécondité d'initiatives, un suprême dédain de la mort, et toutes les originalités sublimes des vertus guerrières. "
Invité- Invité
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