L'Affaire de BRETAGNE . ( RMLE ) .
4 participants
Page 1 sur 1
L'Affaire de BRETAGNE . ( RMLE ) .
LES RÉCITS DES ANCIENS
1939 - 1945
LA MALHEUREUSE AFFAIRE DE BRETAGNE
(Récit paru dans le bulletin des anciens du R.M.L.E.)
Souvenir du combat livré le 20 novembre 1944 par la 3ème Compagnie du 1er Bataillon du Régiment de Marche de la Légion Étrangère, CC5 de la 5ème D.B. pour la prise de Montreux-le-Château.
En apprenant fortuitement l'existence de la stèle érigée à la mémoire de mes compagnons, tombés le 20 novembre 1944 aux abords du village de Montreux-le-Château, un flot de souvenirs, empreints d'une profonde émotion a ressurgi de ma mémoire. S'il est vrai que chaque année, le 20 novembre, je ne manquais pas de penser - ne fut-ce que peu d'instants - à ce combat, de voir gravé dans le marbre le nom de ceux qui étaient tombés ce jour là m'a fait reprendre conscience du déroulement tragique de l'affaire.
Des historiens locaux, renseignés par les comptes rendus des QG de l'époque et sans doute de récits de témoins, ont tracé le cadre de ce combat s'inscrivant dans la volonté de progression rapide exprimée par le commandement.
Et c'est ainsi que fut désigné le CC5 pour s'emparer de vive force du village de Montreux, ouvrant le chemin vers le nord-est. Or, les ponts du canal du Rhin au Rhône et ceux de la rivière Saint-Nicolas sont détruits, ni chars ni véhicules blindés ne peuvent intervenir. Et c'est à nous, légionnaires à pied, qu'incombe la charge de l'attaque.
Le temps est froid et humide. Nous nous déployons aux abords du canal, attendant le signal du Capitaine Quelet pour traverser avec de l'eau jusqu'à la ceinture. Certains peuvent passer sur les décombres du pont en ruines. Dès notre arrivée sur l'autre rive, nous nous regroupons et le capitaine lance l'attaque. "En avant, vite, vite !". Nous courons vers l'autre obstacle, la rivière, lorsque le feu ennemi se déclanche. D'abord des coups de feu isolés, sans doute des snipers. Le capitaine est l'un des premiers atteints. En s'écroulant, il lève le bras comme pour nous intimer à nouveau l'ordre : "En avant !", puis il reste immobile. Comme je fais partie de la section de commandement de la compagnie, chargé de remplacer éventuellement le porteur de la radio, je n'étais pas très loin. Il est mort pratiquement sur le coup, le Sergent Gomez à ses côtés.
Pas le temps de réfléchir. On avance par bonds, la rivière n'est pas loin. Une dizaine de camarades réussissent à la traverser et trouvent abri près des premières maisons du village. Mais le tir ennemi s'intensifie et se précise encore. Nous sommes bloqués au sol. Combien de temps sans bouger ? Le Lieutenant Haza se déplace pour se rendre compte de la situation. Il est abattu à son tour. Heureusement blessé seulement, mais incapable de bouger. Je cherche des yeux l'Aspirant Bonnet, un camarade me crie "Il est mort !".
Le sergent-chef Ruiz est près du radio. Il demande un appui d'artillerie pour nous permettre soit d'avancer, soit de décrocher. "Pas d'appui possible" lui répond-t-on. Je me rappelle le vieil adage légionnaire : "Tu es légionnaire ? Alors démerde toi !". Ce qui veut dire que nous ne devons compter que sur nous même pour nous en sortir.
C'est finalement le Lieutenant Laccioni qui donne l'ordre de repli. Nous nous déplaçons en rampant, tirant les blessés vers l'arrière. Le légionnaire Hubert, mon ami et presque homonyme - mon nom d'emprunt était Hébert - est le servant de la mitrailleuse de 30. Il nous crie "Décrochez, décrochez, je vous couvre !" et arrose les toits et les fenêtres des maisons de Montreux. En amorçant lui aussi son repli, il est touché par une balle explosive à la jambe, qui l'immobilise. Je l'entends encore crier "Je suis touché, décrochez, décrochez, je vous couvre !" et il continue à tirer. Je crois que c'est le Sergent Delisle qui a cherché à le secourir et reprendre la mitrailleuse. Il est tué sur le coup… Je crois me rappeler aussi que c'est Zygmanski qui a finalement repris la mitrailleuse, mais est-ce mon souvenir ou seulement le fait d'avoir relu son nom dans le compte-rendu de l'inauguration de la stèle ?
Toujours est-il que c'est sans aucun doute grâce au tir appuyé de notre mitrailleuse que la majorité de la compagnie a pu retraverser le canal du Rhin au Rhône et ramener les blessés en leiu sur. Le Lieutenant Luccioni, également blessé, est évacué et je sais que c'est le Sergent-chef Ruiz qui a rédigé et transmis le compte-rendu du combat.
Dire que nous étions éprouvés, moralement plus que physiquement, est un euphémisme. D'avoir perdu notre capitaine et les autres officiers de la compagnie, une dizaine de camarades tués, de nombreux blessés, des disparus dont nous ignorions le sort, était plus qu'un coup dur. La compagnie revenait exsangue de ce "malheureux combat de Montreux".
Mon ami Hubert est resté sur le terrain. Il a été compté parmi les disparus, présumé mort. Pour son action héroïque, il a été cité à l'ordre de l'Armée et décoré de la Médaille Militaire à titre posthume… Et quelle n'a pas été notre surprise de le voir arriver en clopinant à l'aide de ses béquilles au cantonnement que nous occupions à Paris en vue du défilé de la victoire du 18 juin 1945 ! Ramassé agonisant par les Allemands, il fut amputé d'une jambe, transféré à Suttgart puis ramené au Val-de-Grâce après la prise de la ville. Il nous racontait avec force détails les périples de son aventure, heureux d'avoir survécu, malgré la perte de sa jambe. Nous sommes restés amis et avons gardé le contact après mon retour d'Indochine fin 1947.
Notre 3ème Compagnie fut reformée avec des renforts arrivant de Sidi-Bel-Abbès et après quelques jours de repos reprit sa place dans le CC5 de la 5ème D.B., participant à tous les combats jusqu'à la victoire du 8 mai.
Légionnaire de 1ère Classe Hébert Thomas
(Herbert Traube après rectification de l'état-civil)
Sources : A.A.L.E.P.
1939 - 1945
LA MALHEUREUSE AFFAIRE DE BRETAGNE
(Récit paru dans le bulletin des anciens du R.M.L.E.)
Souvenir du combat livré le 20 novembre 1944 par la 3ème Compagnie du 1er Bataillon du Régiment de Marche de la Légion Étrangère, CC5 de la 5ème D.B. pour la prise de Montreux-le-Château.
En apprenant fortuitement l'existence de la stèle érigée à la mémoire de mes compagnons, tombés le 20 novembre 1944 aux abords du village de Montreux-le-Château, un flot de souvenirs, empreints d'une profonde émotion a ressurgi de ma mémoire. S'il est vrai que chaque année, le 20 novembre, je ne manquais pas de penser - ne fut-ce que peu d'instants - à ce combat, de voir gravé dans le marbre le nom de ceux qui étaient tombés ce jour là m'a fait reprendre conscience du déroulement tragique de l'affaire.
Des historiens locaux, renseignés par les comptes rendus des QG de l'époque et sans doute de récits de témoins, ont tracé le cadre de ce combat s'inscrivant dans la volonté de progression rapide exprimée par le commandement.
Et c'est ainsi que fut désigné le CC5 pour s'emparer de vive force du village de Montreux, ouvrant le chemin vers le nord-est. Or, les ponts du canal du Rhin au Rhône et ceux de la rivière Saint-Nicolas sont détruits, ni chars ni véhicules blindés ne peuvent intervenir. Et c'est à nous, légionnaires à pied, qu'incombe la charge de l'attaque.
Le temps est froid et humide. Nous nous déployons aux abords du canal, attendant le signal du Capitaine Quelet pour traverser avec de l'eau jusqu'à la ceinture. Certains peuvent passer sur les décombres du pont en ruines. Dès notre arrivée sur l'autre rive, nous nous regroupons et le capitaine lance l'attaque. "En avant, vite, vite !". Nous courons vers l'autre obstacle, la rivière, lorsque le feu ennemi se déclanche. D'abord des coups de feu isolés, sans doute des snipers. Le capitaine est l'un des premiers atteints. En s'écroulant, il lève le bras comme pour nous intimer à nouveau l'ordre : "En avant !", puis il reste immobile. Comme je fais partie de la section de commandement de la compagnie, chargé de remplacer éventuellement le porteur de la radio, je n'étais pas très loin. Il est mort pratiquement sur le coup, le Sergent Gomez à ses côtés.
Pas le temps de réfléchir. On avance par bonds, la rivière n'est pas loin. Une dizaine de camarades réussissent à la traverser et trouvent abri près des premières maisons du village. Mais le tir ennemi s'intensifie et se précise encore. Nous sommes bloqués au sol. Combien de temps sans bouger ? Le Lieutenant Haza se déplace pour se rendre compte de la situation. Il est abattu à son tour. Heureusement blessé seulement, mais incapable de bouger. Je cherche des yeux l'Aspirant Bonnet, un camarade me crie "Il est mort !".
Le sergent-chef Ruiz est près du radio. Il demande un appui d'artillerie pour nous permettre soit d'avancer, soit de décrocher. "Pas d'appui possible" lui répond-t-on. Je me rappelle le vieil adage légionnaire : "Tu es légionnaire ? Alors démerde toi !". Ce qui veut dire que nous ne devons compter que sur nous même pour nous en sortir.
C'est finalement le Lieutenant Laccioni qui donne l'ordre de repli. Nous nous déplaçons en rampant, tirant les blessés vers l'arrière. Le légionnaire Hubert, mon ami et presque homonyme - mon nom d'emprunt était Hébert - est le servant de la mitrailleuse de 30. Il nous crie "Décrochez, décrochez, je vous couvre !" et arrose les toits et les fenêtres des maisons de Montreux. En amorçant lui aussi son repli, il est touché par une balle explosive à la jambe, qui l'immobilise. Je l'entends encore crier "Je suis touché, décrochez, décrochez, je vous couvre !" et il continue à tirer. Je crois que c'est le Sergent Delisle qui a cherché à le secourir et reprendre la mitrailleuse. Il est tué sur le coup… Je crois me rappeler aussi que c'est Zygmanski qui a finalement repris la mitrailleuse, mais est-ce mon souvenir ou seulement le fait d'avoir relu son nom dans le compte-rendu de l'inauguration de la stèle ?
Toujours est-il que c'est sans aucun doute grâce au tir appuyé de notre mitrailleuse que la majorité de la compagnie a pu retraverser le canal du Rhin au Rhône et ramener les blessés en leiu sur. Le Lieutenant Luccioni, également blessé, est évacué et je sais que c'est le Sergent-chef Ruiz qui a rédigé et transmis le compte-rendu du combat.
Dire que nous étions éprouvés, moralement plus que physiquement, est un euphémisme. D'avoir perdu notre capitaine et les autres officiers de la compagnie, une dizaine de camarades tués, de nombreux blessés, des disparus dont nous ignorions le sort, était plus qu'un coup dur. La compagnie revenait exsangue de ce "malheureux combat de Montreux".
Mon ami Hubert est resté sur le terrain. Il a été compté parmi les disparus, présumé mort. Pour son action héroïque, il a été cité à l'ordre de l'Armée et décoré de la Médaille Militaire à titre posthume… Et quelle n'a pas été notre surprise de le voir arriver en clopinant à l'aide de ses béquilles au cantonnement que nous occupions à Paris en vue du défilé de la victoire du 18 juin 1945 ! Ramassé agonisant par les Allemands, il fut amputé d'une jambe, transféré à Suttgart puis ramené au Val-de-Grâce après la prise de la ville. Il nous racontait avec force détails les périples de son aventure, heureux d'avoir survécu, malgré la perte de sa jambe. Nous sommes restés amis et avons gardé le contact après mon retour d'Indochine fin 1947.
Notre 3ème Compagnie fut reformée avec des renforts arrivant de Sidi-Bel-Abbès et après quelques jours de repos reprit sa place dans le CC5 de la 5ème D.B., participant à tous les combats jusqu'à la victoire du 8 mai.
Légionnaire de 1ère Classe Hébert Thomas
(Herbert Traube après rectification de l'état-civil)
Sources : A.A.L.E.P.
commandoair40- Admin
- Localisation : Marais Poitevin .
Messages : 1542
Date d'inscription : 08/06/2012
Age : 78
Re: L'Affaire de BRETAGNE . ( RMLE ) .
merci JP
récit poignant
récit poignant
olivier- Admin
- Localisation : 34
Messages : 3867
Date d'inscription : 10/11/2009
Age : 58
Re: L'Affaire de BRETAGNE . ( RMLE ) .
HONNEURS A NOS MORTS !!
legion76- Admin
- Localisation : aix en provence
Messages : 746
Date d'inscription : 14/03/2010
Age : 61
Re: L'Affaire de BRETAGNE . ( RMLE ) .
émouvant.
a la Légion les sales coups.
Respects a ces braves.
a la Légion les sales coups.
Respects a ces braves.
Gibert j- Localisation : Ilede France (92)
Messages : 1291
Date d'inscription : 24/07/2011
Age : 82
Sujets similaires
» LA MALHEUREUSE AFFAIRE DE BRETAGNE .
» Citation des RMLE par les Etats Unis
» La percée de la ligne Hindenburg RMLE
» Régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE)
» Citation des RMLE par les Etats Unis
» La percée de la ligne Hindenburg RMLE
» Régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE)
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Ven 31 Mar - 9:55 par commandoair40
» 1 septembre 2015
Mar 1 Sep - 18:39 par olivier
» Visiteurs sur le forum 2014
Mar 1 Sep - 18:34 par olivier
» Janvier 1885 - La Légion étrangère à Tuyen Quang au Tonkin.
Sam 18 Jan - 8:07 par ROBERT
» loto et bourse aux armes
Lun 13 Jan - 11:13 par Invité
» Dimanche 12 Janvier 2014
Dim 12 Jan - 12:17 par Invité
» Samedi 11Janvier 2014
Sam 11 Jan - 18:19 par Gibert j
» Le mémorial du 2°REI
Sam 11 Jan - 12:09 par Gibert j
» vendredi 10 janvier 2014
Ven 10 Jan - 20:38 par Gibert j
» Commandant Dupin
Jeu 9 Jan - 20:39 par Gibert j
» Jeudi 9 janvier 2014
Jeu 9 Jan - 20:34 par Gibert j
» Mercredi 8 Janvier 2014
Mer 8 Jan - 21:54 par Gibert j