de la Revue 'Lectures Pour Tous' de 1 Avril 1916
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'La Légion Étrangère au Feu'
Elle a une magnifique tradition d'héroïsme, cette Légion étrangère qu'on est habitué à voir aux postes les plus périlleux et dont un des plus beaux titres à notre admiration est encore la haine qu'elle inspire aux Allemands. Une fois de plus elle devait être au danger et à l'honneur. Dès la déclaration de guerre, nombre d'étrangers amis de la France, voulant reconnaître l'hospitalité si généreuse de notre pays, ont tenu à prendre place dans l'armée française. Polonais, Italiens, Grecs, Hollandais, avec quel enthousiasms ils se battent pour nous! Ce sont de nouvelles et sublimes pages qui viennent s'ajouter à l'histoire de la glorieuse Légion!
C'est le soir du 31 juillet 1914. Les éditions successives des journaux annoncent la proclamation en Allemagne de l'état: de menace de guerre, l'insolent ultimatum lancé à la Russie. La guerre est inévitable. A l'appel d'un groupe de jeunes Italiens de Paris, près de 3 000 étrangers, Belges, Anglais, Italiens et Slaves, se réunissent dans un café du boulevard de Strasbourg. L'un après l'autre, Pascal Bonnetti, le fondateur d'une œuvre qui nous a valu dans l'univers entier des sympathies actives, « les Amitiés françaises », Campolonghi, du grand journal milanais le Secolo, Pacchi Luigi, jettent à ces 3 000 enthousiasmes, exaltés pour notre cause des paroles de flamme.
Puis c'est la ruée sur les boulevards, un cortège ardent déroulé dans un Paris brûlant de fièvre, une Marseillaise formidable chantée par nos frères d'âme et de cœur, criant à la grande ville, dont les fils déjà se ceignent les reins pour le suprême devoir: « Nous irons avec vous! » On passe devant les fenêtres d'un restaurant italien. Dix jeunes hommes s'y précipitent. On leur tend les drapeaux belges, serbes, roumains, anglais et russes qui pavoisent la maison aux jours de fête. Et la course reprend sous la claquement des étendards flottant dans le soir parisien.
A chaque pas le cortège s'enfle de tous les étrangers, amis de la France, qu'attire invinciblement l'appel de leur drapeau. A la statue de Strasbourg! Devant l'image sereine, qui depuis près d'un demi-siècle attend la minute glorieuse où elle quittera ses crêpes, c'est maintenant un grand silence, plus émouvant encore que les chants de tout à l'heure, un même éclair dans tous les yeux, un même serment muet de se dresser côte à côte avec nos soldats, quand l'heure de la justice sonne aux frontières de France.
Les Enrolements Volontaires
Dès 9 heures du matin le lendemain, aux « Amitiés françaises », boulevard Haussmann, les enrôlements se succèdent de seconde en seconde. On signe dans tous les bureaux, dans l'antichambre, dans l'escalier, jusque sous la porte cochère. Le flot des volontaires arrive si formidable qu'il faut installer des tables dans la rue, sur le trottoir. Un appel aux armes est lancé au même moment en tête de tous nos journaux par les étrangers habitant Paris:« L'heure est grave. Point de paroles, mais des actes. Des étrangers qui ont appris à aimer la France et à la chérir comme une seconde patrie sentent le besoin impérieux de lui offrir leurs bras.... »
Ah! le magnifique écho qui s'éveille à ce beau cri! Pour accueillir toutes les héroïques volontés, les « Amitiés françaises » créent aussitôt trois permanences dans le IXe, le XIe et le XXe arrondissement. Partout les étrangers se groupent en comités, se forment en faisceaux. Rue de Richelieu, au 112, ce sont les Roumains. Près du boulevard Saint-Michel, rue Séguier, les étudiants arméniens de nos Facultés. Puis les Syriens au café du Globe; rue Cadet, à leur club, les membres de l'Association orientale de Paris. Boulevard des Capucines, à l'Impérial Club, 500 Anglais s'enrôlent en un après-midi et se mettent aussitôt à l'entraînement à Magic City. A la voix du franc-tireur épique de 1870, du héros de Dijon, Ricciotti Garibaldi,et de l'écrivain italien Raqueni, les Italiens accourent si nombreux, si enthousiastes qu'il faut aussitôt organiser pour eux dans tout Paris des bureaux d'enrôlement.
L'élan est tel que le gouvernement italien est obligé d'imposer la nécessité d'une autorisation en règle à chaque volontaire. Et le formidable mouvement ne s'arrête plus. Les Grecs,dès les premiers jours d'août, forment une compagnie qui deviendra bientôt un bataillon. Ils ont déjà leur drapeau brodé par les dames de la colonie grecque de Paris, la croix blanche sur fond bleu; au recto: « Légion des volontaires Hellènes »; au dos, nos couleurs françaises et, en chiffres d'or, les quatre grandes dates où les deux peuples ont mêlé leur sang pour la môme cause: 1821, 1897 et 1912, les trois efforts français lancés pour la défense de l'Attique, 1870, le souvenir des 500 Grecs dé l'Année terrible dont les fils sont aujourd'hui dans nos rangs. Et ce sont les Suisses, dès le 5 août, offrant leur talent de tireurs; le 13, les Luxembourgeois, brûlant du désir de venger leur pays envahi, leurs sœurs brutalisées, leurs pères contraints d'endosser la capote allemande. Tandis que les Hollandais s'inscrivent au place de la République, les Américains ont déjà formé l'« American Volunteer Corps » avec un bureau rue de Valois et un terrain d'exercices dans les jardins du Palais-Royal. Deux d'entre eux, deux frères, ont volé à nous du fond de la Californie, dépensant 6 000 francs pour leur voyage, et comme on leur demande pourquoi ils sont venus avec un tel empressement, ils ont ce mot superbe: « Le fondateur de notre famille a été soldat dans la guerre de l'Indépendance. Dans toutes les batailles il se trouvait aux côtés du général La Fayette! » « Moi, s'écrie un autre, M. Morlac, tombé depuis sur l'Aisne au champ d'honneur, je suis venu chercher le bras de mon père, blessé en 1870 par un éclat d'obus en se battant pour vous! »
Quant aux Slaves, leur flot est tel que le colonel Wladimir de Waldeck a dû transformer en bureaux d'état-major tout un hôtel de la rue de Clichy. Polonais, Russes, Croates, Slovènes, Serbes, Finnois, Monténégrins, en trois jours ils sont plus de 10 000. Et les Tchèques accourent aussi, et jusqu'à des Tatares musulmans! A peu près tous les Slaves habitant Paris signent et s'engagent.
Tous les âges aussi: des jeunes gens de dix-huit ans, des hommes de cinquante et plus. Et de tous les points de l'horizon social. Un Argentin, dès le jour de la déclaration de guerre, a fermé sa petite boutique dans un village de la Pampa; un Péruvienne même jour, a abandonné sa ferme de l'Amazone; des commerçants, des comptables, des ouvriers kabyles des usines à gaz et des raffineries de Seine-et- Oise, des mineurs polonais du nord de la France, des chanteurs russes, des boxeurs comme le champion nègre Bob Scanlon, Jack Monroë, l'Italien Taravella, clés coureurs cyclistes, le Luxembourgeois François Faber, le héros populaire du « Tour de France » mort aujourd'hui pour nous. Des jockeys, comme Alec Carter, mort lui aussi, tandis qu'un de ses camarades de turf, le célèbre américain O'Connor, volontaire des ambulances canadiennes, renvoie à l'Allemand Mumm, dont il a monté les chevaux, toutes les sommes qu'il a gagnées en course sous ses couleurs, avec ce mot cinglant: « Je méprise l'argent des Boches. Votre or me brûle les doigts. Qu'on m'en débarrasse! » Et, côte à côte, entre le terrassier piémontais et le tailleur tchèque, des artistes, quinze jeunes élèves peintres, sculpteurs et architectes de notre école des Beaux-Arts, Russes et Anglais, Serbes et Norvégiens, Péruviens et Suisses; des littérateurs: l'Argentin Binet Valmer, l'écrivain luxembourgeois Sosthène Kurth, le fils de Maxime Gorki, le Vénézuélien Camillo Ramirez, blessé en Artois et titulaire de la croix de guerre avec deux palmes, un poète colombien, Hernandez de Bengoecha, un autre encore, un Equatorien, Rodolfo Seminario, le romancier Sanchez Carrero, tous tombés pour nous en Artois et en Champagne, le poète Ismaïl Urdometa, tué aux Dardanelles en enlevant une tranchée turque à la baïonnette. A côté de l'ouvrier, des jeunes gens du monde, le fils de l'ambassadeur de Russie, M. Iswolsky, du corps expéditionnaire d'Orient, grièvement blessé le 2 mai et médaillé militaire; le frère du procureur royal à Bucarest, M. Vacareano, tué le 10 mai au combat de la Targette; un prince roumain, un descendant des fondateurs de l'empire d'Orient, l'arrière-petit-fils d'Isaac et d'Alexis Comnène, empereur de Trébizonde, le lieutenant Alexis Comnène qui s'est battu aux Dardanelles.
Le résultat fut tel que, malgré la sévérité du conseil de révision, le 21 août, aux Invalides, qui écarta plus de 20 pour 100 des volontaires qui s'offraient, il vint se ranger sous nos drapeaux plus de 500 Anglais, autant de Luxembourgeois, 600 Américains du Nord, 1 000 Espagnols, 1 500 Grecs et un nombre égal de Belges, 1 600 Tchèques, Galiciens .et originaires italiens du Trentin, 1 700 Polonais allemands et Danois du Slesvig, 2 000 Suisses, 3 500 Russes, 5 000 Italiens, 6 000 encore de nationalités diverses. Avec les 10 000 Alsaciens, sujets allemands, qui s'étaient joints à eux, c'étaient près de 35 000 hommes qui nous donnaient leurs bras: un corps d'armée. Quatre jours après, ils partirent tous, Paris se souvient avec quel enthousiasme, vers les six dépôts qui leur avaient été assignés, les uns à Blois et à Orléans, les autres à Rouen et à Bayonne, le reste à Lyon et à Avignon où les Garibaldiens établirent leur quartier général, et les deux régiments étrangers formés avec leur concours répartirent bientôt leurs gros effectifs en plusieurs régiments dits « de marche », avec un cadre d'officiers français et d'officiers étrangers. Ils ne demandaient qu'à se battre. Ils s'instruisirent avec une telle ardeur qu'un mois à peine après être arrivés au camp de Cercottes, près d'Orléans, les Suisses partaient sur le front.
Les Légionnaires à Notre-Dame-de-Lorette
Voilà vingt mois qu'ils partagent là-bas toutes les souffrances de nos soldats, tous leurs dangers, toute leur gloire aussi. Ils ont tenu héroïquement à honneur d'être de tous les grands coups de chien, et la France n'oublieia jamais quelle fut leur belle attitude à Notre-Dame-de-Lorette. C'était le 9 mai au matin. Il fallait enlever d'assaut aux Allemands la cote 140 avec ses formidables défenses, les fameux « Ouvrages blancs ». La veille du grand jour, un capitaine haranguant les batailIons étrangers leur avait crié, après la lecture de l'ordre du général: « Mes enfants, dans l'action qui se prépare, on nous donne une place d'honneur. Nous serons en premiere ligne; à nous de frapper le premier coup. Ceux qui tomberont, ne vous en occupez pas. Si je tombe moi-même, laissez-moi, avancez toujours sans vous occuper d'autre chose. » Une Marseillaise lui répondit, « telle, raconte un des héros de l'affaire, que de ma vie je n'en ai jamais entendu une pareille ». Puis l'hymne russe éclata grave et religieux, suivi des chants anglais et belges. Le canon scandait les paroles immortelles.
A la pointe du jour, le bombardement commence, les rafales sèches des 75, les tonnerres roulants des pièces lourdes et des gros mortiers. « L'artillerie fait merveille, s'écrie le colonel accourant du téléphone. Elle a fait de larges brèches dans les défenses accessoires. Tout va bien. Le temps est avec nous, il fait beau. Nous avons de la veine, mes amis! » A 9 h. 40, dix minutes d'arrêt dans l'infernal vacarme. Il reprend plus formidable encore pendant dix autres minutes. C'est l'heure de gloire. Le colonel en tête, la légion se lance en avant. La voilà en un instant au bout des boyaux de la première ligne. Nos tirailleurs et nos zouaves bondissent à leur tour avec les légionnaires. « Fal Thya França! » hurlent les noirs. « Vive la France! » répondent les légionnaires. Debout, la tête haute sous la mitraille, le colonel a jeté l'appel suprême. Ils escaladent le parapet. La course commence. La vague s'est élancée. Sous la pluie des balles qui cinglent l'air, dans l'enfer des obus que crachent les pièces allemandes, toutes les baïonnettes luisent au soleil de mai, pointées vers l'ennemi. C'est une immense ligne, ardente et rapide, qui file en avant, toujours en avant, une ligne de bravoure et de fer que rien ne brise, que rien n'arrête.
Il est à peine 11 heures! La route d'Arras à Béthune est occupée. De chaque côté un bataillon s'y retranche. Puis un second bond vers le but suprême et la course reprend, irrésistible, et farouche. Dans sa forteresse, qu'il croyait inexpugnable et qu'il sent menacée, l'Allemand a perdu sa morgue. Il fait feu de toutes ses pièces, il arrose la piste glorieuse, où courent nos braves, d'une formidable mitraille. Revolver au poing, le colonel tombe en tête de ses hommes. C'est un chef adoré. Une poignée de volontaires étrangers se penchent en pleurant sur l'officier français, pansent avec une tendresse de fils sa plaie béante, le mettent à l'abri dans l'entonnoir profond d'un obus. Mais lui, avec un pâle sourire, l'orgueil sur sa face exsangue, leur montre du doigt l'horizon qui s'enflamme sous l'explosion d'un dépôt de munitions allemand, un village qui brûle, Neuville-Saint-Vaast à droite, où on se bat avec fureur, la cote 140 qui tremble sous le feu français.... Les retardataires ont rejoint, les larmes aux yeux, la vague des assaillants. Légionnaires, tirailleurs, zouaves, tous mêlés dans un magnifique désordre, projetés en avant par la bravoure, insensibles aux pertes, à la mort qui fauche, ils bondissent maintenant, la rage au cœur, la vengeance aux yeux. La trombe surhumaine aborde les talus des « Ouvrages blancs ». Une clameur énorme, un immense hurlement de joie guerrière, des héros qui tombent, se relèvent, se ruent encore, des héros qui meurent, la lueur de rubis des baïonnettes ensanglantées, des mitrailleurs boches cloués au sol d'un coup de pointe, des mains qui se crispent sur des gorges qui n'ont pas eu le temps de crier: Kamerade! L'Allemand fuit comme un lièvre. La cote 140 est enlevée.
'La Légion Étrangère au Feu'
Elle a une magnifique tradition d'héroïsme, cette Légion étrangère qu'on est habitué à voir aux postes les plus périlleux et dont un des plus beaux titres à notre admiration est encore la haine qu'elle inspire aux Allemands. Une fois de plus elle devait être au danger et à l'honneur. Dès la déclaration de guerre, nombre d'étrangers amis de la France, voulant reconnaître l'hospitalité si généreuse de notre pays, ont tenu à prendre place dans l'armée française. Polonais, Italiens, Grecs, Hollandais, avec quel enthousiasms ils se battent pour nous! Ce sont de nouvelles et sublimes pages qui viennent s'ajouter à l'histoire de la glorieuse Légion!
C'est le soir du 31 juillet 1914. Les éditions successives des journaux annoncent la proclamation en Allemagne de l'état: de menace de guerre, l'insolent ultimatum lancé à la Russie. La guerre est inévitable. A l'appel d'un groupe de jeunes Italiens de Paris, près de 3 000 étrangers, Belges, Anglais, Italiens et Slaves, se réunissent dans un café du boulevard de Strasbourg. L'un après l'autre, Pascal Bonnetti, le fondateur d'une œuvre qui nous a valu dans l'univers entier des sympathies actives, « les Amitiés françaises », Campolonghi, du grand journal milanais le Secolo, Pacchi Luigi, jettent à ces 3 000 enthousiasmes, exaltés pour notre cause des paroles de flamme.
Puis c'est la ruée sur les boulevards, un cortège ardent déroulé dans un Paris brûlant de fièvre, une Marseillaise formidable chantée par nos frères d'âme et de cœur, criant à la grande ville, dont les fils déjà se ceignent les reins pour le suprême devoir: « Nous irons avec vous! » On passe devant les fenêtres d'un restaurant italien. Dix jeunes hommes s'y précipitent. On leur tend les drapeaux belges, serbes, roumains, anglais et russes qui pavoisent la maison aux jours de fête. Et la course reprend sous la claquement des étendards flottant dans le soir parisien.
A chaque pas le cortège s'enfle de tous les étrangers, amis de la France, qu'attire invinciblement l'appel de leur drapeau. A la statue de Strasbourg! Devant l'image sereine, qui depuis près d'un demi-siècle attend la minute glorieuse où elle quittera ses crêpes, c'est maintenant un grand silence, plus émouvant encore que les chants de tout à l'heure, un même éclair dans tous les yeux, un même serment muet de se dresser côte à côte avec nos soldats, quand l'heure de la justice sonne aux frontières de France.
Les Enrolements Volontaires
Dès 9 heures du matin le lendemain, aux « Amitiés françaises », boulevard Haussmann, les enrôlements se succèdent de seconde en seconde. On signe dans tous les bureaux, dans l'antichambre, dans l'escalier, jusque sous la porte cochère. Le flot des volontaires arrive si formidable qu'il faut installer des tables dans la rue, sur le trottoir. Un appel aux armes est lancé au même moment en tête de tous nos journaux par les étrangers habitant Paris:« L'heure est grave. Point de paroles, mais des actes. Des étrangers qui ont appris à aimer la France et à la chérir comme une seconde patrie sentent le besoin impérieux de lui offrir leurs bras.... »
Ah! le magnifique écho qui s'éveille à ce beau cri! Pour accueillir toutes les héroïques volontés, les « Amitiés françaises » créent aussitôt trois permanences dans le IXe, le XIe et le XXe arrondissement. Partout les étrangers se groupent en comités, se forment en faisceaux. Rue de Richelieu, au 112, ce sont les Roumains. Près du boulevard Saint-Michel, rue Séguier, les étudiants arméniens de nos Facultés. Puis les Syriens au café du Globe; rue Cadet, à leur club, les membres de l'Association orientale de Paris. Boulevard des Capucines, à l'Impérial Club, 500 Anglais s'enrôlent en un après-midi et se mettent aussitôt à l'entraînement à Magic City. A la voix du franc-tireur épique de 1870, du héros de Dijon, Ricciotti Garibaldi,et de l'écrivain italien Raqueni, les Italiens accourent si nombreux, si enthousiastes qu'il faut aussitôt organiser pour eux dans tout Paris des bureaux d'enrôlement.
L'élan est tel que le gouvernement italien est obligé d'imposer la nécessité d'une autorisation en règle à chaque volontaire. Et le formidable mouvement ne s'arrête plus. Les Grecs,dès les premiers jours d'août, forment une compagnie qui deviendra bientôt un bataillon. Ils ont déjà leur drapeau brodé par les dames de la colonie grecque de Paris, la croix blanche sur fond bleu; au recto: « Légion des volontaires Hellènes »; au dos, nos couleurs françaises et, en chiffres d'or, les quatre grandes dates où les deux peuples ont mêlé leur sang pour la môme cause: 1821, 1897 et 1912, les trois efforts français lancés pour la défense de l'Attique, 1870, le souvenir des 500 Grecs dé l'Année terrible dont les fils sont aujourd'hui dans nos rangs. Et ce sont les Suisses, dès le 5 août, offrant leur talent de tireurs; le 13, les Luxembourgeois, brûlant du désir de venger leur pays envahi, leurs sœurs brutalisées, leurs pères contraints d'endosser la capote allemande. Tandis que les Hollandais s'inscrivent au place de la République, les Américains ont déjà formé l'« American Volunteer Corps » avec un bureau rue de Valois et un terrain d'exercices dans les jardins du Palais-Royal. Deux d'entre eux, deux frères, ont volé à nous du fond de la Californie, dépensant 6 000 francs pour leur voyage, et comme on leur demande pourquoi ils sont venus avec un tel empressement, ils ont ce mot superbe: « Le fondateur de notre famille a été soldat dans la guerre de l'Indépendance. Dans toutes les batailles il se trouvait aux côtés du général La Fayette! » « Moi, s'écrie un autre, M. Morlac, tombé depuis sur l'Aisne au champ d'honneur, je suis venu chercher le bras de mon père, blessé en 1870 par un éclat d'obus en se battant pour vous! »
Quant aux Slaves, leur flot est tel que le colonel Wladimir de Waldeck a dû transformer en bureaux d'état-major tout un hôtel de la rue de Clichy. Polonais, Russes, Croates, Slovènes, Serbes, Finnois, Monténégrins, en trois jours ils sont plus de 10 000. Et les Tchèques accourent aussi, et jusqu'à des Tatares musulmans! A peu près tous les Slaves habitant Paris signent et s'engagent.
Tous les âges aussi: des jeunes gens de dix-huit ans, des hommes de cinquante et plus. Et de tous les points de l'horizon social. Un Argentin, dès le jour de la déclaration de guerre, a fermé sa petite boutique dans un village de la Pampa; un Péruvienne même jour, a abandonné sa ferme de l'Amazone; des commerçants, des comptables, des ouvriers kabyles des usines à gaz et des raffineries de Seine-et- Oise, des mineurs polonais du nord de la France, des chanteurs russes, des boxeurs comme le champion nègre Bob Scanlon, Jack Monroë, l'Italien Taravella, clés coureurs cyclistes, le Luxembourgeois François Faber, le héros populaire du « Tour de France » mort aujourd'hui pour nous. Des jockeys, comme Alec Carter, mort lui aussi, tandis qu'un de ses camarades de turf, le célèbre américain O'Connor, volontaire des ambulances canadiennes, renvoie à l'Allemand Mumm, dont il a monté les chevaux, toutes les sommes qu'il a gagnées en course sous ses couleurs, avec ce mot cinglant: « Je méprise l'argent des Boches. Votre or me brûle les doigts. Qu'on m'en débarrasse! » Et, côte à côte, entre le terrassier piémontais et le tailleur tchèque, des artistes, quinze jeunes élèves peintres, sculpteurs et architectes de notre école des Beaux-Arts, Russes et Anglais, Serbes et Norvégiens, Péruviens et Suisses; des littérateurs: l'Argentin Binet Valmer, l'écrivain luxembourgeois Sosthène Kurth, le fils de Maxime Gorki, le Vénézuélien Camillo Ramirez, blessé en Artois et titulaire de la croix de guerre avec deux palmes, un poète colombien, Hernandez de Bengoecha, un autre encore, un Equatorien, Rodolfo Seminario, le romancier Sanchez Carrero, tous tombés pour nous en Artois et en Champagne, le poète Ismaïl Urdometa, tué aux Dardanelles en enlevant une tranchée turque à la baïonnette. A côté de l'ouvrier, des jeunes gens du monde, le fils de l'ambassadeur de Russie, M. Iswolsky, du corps expéditionnaire d'Orient, grièvement blessé le 2 mai et médaillé militaire; le frère du procureur royal à Bucarest, M. Vacareano, tué le 10 mai au combat de la Targette; un prince roumain, un descendant des fondateurs de l'empire d'Orient, l'arrière-petit-fils d'Isaac et d'Alexis Comnène, empereur de Trébizonde, le lieutenant Alexis Comnène qui s'est battu aux Dardanelles.
Le résultat fut tel que, malgré la sévérité du conseil de révision, le 21 août, aux Invalides, qui écarta plus de 20 pour 100 des volontaires qui s'offraient, il vint se ranger sous nos drapeaux plus de 500 Anglais, autant de Luxembourgeois, 600 Américains du Nord, 1 000 Espagnols, 1 500 Grecs et un nombre égal de Belges, 1 600 Tchèques, Galiciens .et originaires italiens du Trentin, 1 700 Polonais allemands et Danois du Slesvig, 2 000 Suisses, 3 500 Russes, 5 000 Italiens, 6 000 encore de nationalités diverses. Avec les 10 000 Alsaciens, sujets allemands, qui s'étaient joints à eux, c'étaient près de 35 000 hommes qui nous donnaient leurs bras: un corps d'armée. Quatre jours après, ils partirent tous, Paris se souvient avec quel enthousiasme, vers les six dépôts qui leur avaient été assignés, les uns à Blois et à Orléans, les autres à Rouen et à Bayonne, le reste à Lyon et à Avignon où les Garibaldiens établirent leur quartier général, et les deux régiments étrangers formés avec leur concours répartirent bientôt leurs gros effectifs en plusieurs régiments dits « de marche », avec un cadre d'officiers français et d'officiers étrangers. Ils ne demandaient qu'à se battre. Ils s'instruisirent avec une telle ardeur qu'un mois à peine après être arrivés au camp de Cercottes, près d'Orléans, les Suisses partaient sur le front.
Les Légionnaires à Notre-Dame-de-Lorette
Voilà vingt mois qu'ils partagent là-bas toutes les souffrances de nos soldats, tous leurs dangers, toute leur gloire aussi. Ils ont tenu héroïquement à honneur d'être de tous les grands coups de chien, et la France n'oublieia jamais quelle fut leur belle attitude à Notre-Dame-de-Lorette. C'était le 9 mai au matin. Il fallait enlever d'assaut aux Allemands la cote 140 avec ses formidables défenses, les fameux « Ouvrages blancs ». La veille du grand jour, un capitaine haranguant les batailIons étrangers leur avait crié, après la lecture de l'ordre du général: « Mes enfants, dans l'action qui se prépare, on nous donne une place d'honneur. Nous serons en premiere ligne; à nous de frapper le premier coup. Ceux qui tomberont, ne vous en occupez pas. Si je tombe moi-même, laissez-moi, avancez toujours sans vous occuper d'autre chose. » Une Marseillaise lui répondit, « telle, raconte un des héros de l'affaire, que de ma vie je n'en ai jamais entendu une pareille ». Puis l'hymne russe éclata grave et religieux, suivi des chants anglais et belges. Le canon scandait les paroles immortelles.
A la pointe du jour, le bombardement commence, les rafales sèches des 75, les tonnerres roulants des pièces lourdes et des gros mortiers. « L'artillerie fait merveille, s'écrie le colonel accourant du téléphone. Elle a fait de larges brèches dans les défenses accessoires. Tout va bien. Le temps est avec nous, il fait beau. Nous avons de la veine, mes amis! » A 9 h. 40, dix minutes d'arrêt dans l'infernal vacarme. Il reprend plus formidable encore pendant dix autres minutes. C'est l'heure de gloire. Le colonel en tête, la légion se lance en avant. La voilà en un instant au bout des boyaux de la première ligne. Nos tirailleurs et nos zouaves bondissent à leur tour avec les légionnaires. « Fal Thya França! » hurlent les noirs. « Vive la France! » répondent les légionnaires. Debout, la tête haute sous la mitraille, le colonel a jeté l'appel suprême. Ils escaladent le parapet. La course commence. La vague s'est élancée. Sous la pluie des balles qui cinglent l'air, dans l'enfer des obus que crachent les pièces allemandes, toutes les baïonnettes luisent au soleil de mai, pointées vers l'ennemi. C'est une immense ligne, ardente et rapide, qui file en avant, toujours en avant, une ligne de bravoure et de fer que rien ne brise, que rien n'arrête.
Il est à peine 11 heures! La route d'Arras à Béthune est occupée. De chaque côté un bataillon s'y retranche. Puis un second bond vers le but suprême et la course reprend, irrésistible, et farouche. Dans sa forteresse, qu'il croyait inexpugnable et qu'il sent menacée, l'Allemand a perdu sa morgue. Il fait feu de toutes ses pièces, il arrose la piste glorieuse, où courent nos braves, d'une formidable mitraille. Revolver au poing, le colonel tombe en tête de ses hommes. C'est un chef adoré. Une poignée de volontaires étrangers se penchent en pleurant sur l'officier français, pansent avec une tendresse de fils sa plaie béante, le mettent à l'abri dans l'entonnoir profond d'un obus. Mais lui, avec un pâle sourire, l'orgueil sur sa face exsangue, leur montre du doigt l'horizon qui s'enflamme sous l'explosion d'un dépôt de munitions allemand, un village qui brûle, Neuville-Saint-Vaast à droite, où on se bat avec fureur, la cote 140 qui tremble sous le feu français.... Les retardataires ont rejoint, les larmes aux yeux, la vague des assaillants. Légionnaires, tirailleurs, zouaves, tous mêlés dans un magnifique désordre, projetés en avant par la bravoure, insensibles aux pertes, à la mort qui fauche, ils bondissent maintenant, la rage au cœur, la vengeance aux yeux. La trombe surhumaine aborde les talus des « Ouvrages blancs ». Une clameur énorme, un immense hurlement de joie guerrière, des héros qui tombent, se relèvent, se ruent encore, des héros qui meurent, la lueur de rubis des baïonnettes ensanglantées, des mitrailleurs boches cloués au sol d'un coup de pointe, des mains qui se crispent sur des gorges qui n'ont pas eu le temps de crier: Kamerade! L'Allemand fuit comme un lièvre. La cote 140 est enlevée.
Re: de la Revue 'Lectures Pour Tous' de 1 Avril 1916
Suite: Les Héros Polonais
La Magie d'une Vieille Chanson
Comment faire à chacun sa part dans cet immense concours d'héroïsme? La légion polonaise, depuis son arrivée dans le nord de la France, n'a pas cessé un seul jour d'être à l'honneur. Pendant un des premiers combats, elle a vu, dans un splendide assaut, tomber à sa tête Ladislas de Szuynski, le fils du célèbre historien polonais, mort en brandissant le drapeau, cravaté aux couleurs tricolores, avec l'aigle de Pologne prenant son essor, qu'elle avait emporté sur le front en quittant son centre d'instruction de Bayonne. Elle a été sans trêve une féconde pépinière de braves et l'âme slave s'y est exaltée en folles prouesses, en sacrifices splendides.
Parmi tous ses morts glorieux, la Pologne n'oubliera jamais le nom du capitaine Yeské. C'était un magnifique géant slave, très fort et très bon. En novembre 1914, il avait reçu à Poperinghe la croix de la Légion d'honneur. Un jour, à Saint-Eloi près d'Arras, ses hommes s'enlizaient dans la boue, s'enfonçaient jusqu'à la poitrine, jusqu'au menton, disparaissaient. La mitraille faisait rage, rendait le sauvetage terriblement difficile. Mais quelle difficulté pouvait arrêter le capitaine Yeské? Arc- bouté contre la paroi de la tranchée, bravant les obus qui éclataient au-dessus de lui, un à un il repêchait ses hommes, les enlevait à bout de bras. Il ne perdit pas un soldat.
Et ce volontaire, polonais lui aussi, héros anonyme dont l'histoire, impuissante à couronner tant de fronts, ne nous a pas encore dit le nom! Son arme à lui, c'était une chanson. Oui, en chantant, il a fait à lui seul plus de vides dans les troupes allemandes opposées à sa tranchée que tous les camarades réunis de sa compagnie. Il trouvait toujours le moyen de savoir si les lignes boches comptaient des Polonais. Une fois sûr de son affaire, dès la nuit venue, il partait avec un sourire mystérieux. Rampant sur le ventre, s'avançant sur les coudes, il se glissait jusqu'au bord de la tranchée allemande, puis dans l'ombre il murmurait doucement une vieille chanson de Pologne, câline et rêveuse. Surpris, les Polonais allemands levaient la tête, découvraient dans la nuit le chanteur audacieux, se laissaient bercer un instant, oublieux des horreurs de la guerre, au vieil air du pays. On causait, la chanson finie, de la Pologne, de la Prusse qui la tient sous sa botte. « Un Polonais, jetait le volontaire, ne doit pas combattre la France, qui combat pour la Pologne. » Une deuxième chanson achevait l'enchantement, et chaque fois il revenait avec un cortège persuadé!
Dans la Foret Tragique
Là-bas, plus à l'est, au centre de la ligne de feu qui court de la mer à Belfort, la légion italienne a trouvé le plus tragique théâtre de guerre que la nature ait jamais créé. Ici la terre s'est plissée, s'est froncée, s'est crevée en soulèvements tumultueux et brusques.
L'Argonne sombre et dramatique, le bois de la Grurie, le bois de la Chalade, les Islettes, cadre millénaire de batailles, formidable champ clos!
C'est là qu'en décembre 1914 les Garibaldiens attendaient impatiemment l'ordre d'attaquer la ligne allemande. Ils brûlaient du désir de montrer aux six fils de Garibaldi, à Ricciotti, à Santo, à Constante, à Ezio, à Bruno, à leur aîné enfin, à leur chef, le lieutenant-colonel Giuseppe Garibaldi, que le sang latin n'avait pas dégénéré.
« Passionnés, ardents, indisciplinés, tumultueux, généreux, héroïques, dit le correspondant du Corriere della Sera, M. Luigi Barzini qui les a vus à l'œuvre, ce sont des spécialistes de l'assaut, de la mitraille humaine, des baïonnettes. A la défense ils préfèrent l'attaque. C'est la pointe de la tarière qui tourne et creuse. La tranchée les exaspère. Pour eux la bataille, c'est la bataille, une course, un cri, un heurt. La tradition les a ainsi façonnés. Ils méprisent la guerre de mines des adversaires. C'est de la guerre allemande. C'est une phalange guerrière stupéfaite de rencontrer des mathématiques sur le champ de bataille. C'est si simple pourtant de mourir pour vaincre! Il suffit d'un cri pour les mettre tous d'accord: « Les enfants, on marche: en avant et vive l'Italie! »
Ce cri-là retentit enfin le matin du 26 décembre. Il fallait chasser les Allemands d'une hauteur boisée, le plateau de Bolante, d'où leurs feux dominaient nos positions.
Deux Fils de Garibaldi Meurent Pour la France
Le clairon Galli sonne une charge furieuse. Sans attendre les ordres, les réserves elles-mêmes se jettent à l'assaut. La poussée est si puissante que les Allemands abandonnent leur première tranchée. Un ouragan de feu part de leur seconde ligne, Qu'importe! Les Garibaldiens se précipitent, irrésistibles. Le capitaine Bruno Garibaldi est blessé grièvement à l'épaule. On l'entraîne à l'ambulance: il feint d'accepter un pansement; on le laisse seul une seconde: il s'échappe. Le fusil au poing, comme un soldat, il court rejoindre sa compagnie. Une rafale de mitrailleuses. Une balle qui entre dans le côté gauche et sort sous l'aisselle droite. Cette fois, c'est la mort. Il l'attend, appuyé au tronc d'un arbre. Un de ses hommes veut le secourir. Il le repousse doucement, une dernière flamme aux yeux: « Toujours en avant! C'est la consigne. » Un autre Garibaldien,Casali, accourt.» « En avant, répète Bruno, en avant! » .Ses genoux fléchissent. Il tombe en murmurant: « J'envoie un baiser à mon père, à ma mère, à tous mes frères! » Son suprême regard a vu céder à son tour la seconde ligne allemande et la troisième encore. Les pertes de l'ennemi dans cet assaut furibond étaient considérables; les cadavres boches avaient comblé les tranchées. Par malheur, ayant engagé trop tôt leurs réserves, les Garibaldiens ne recueillirent pas ce jour-là, tout le fruit de leur admirable vaillance. Devant des renforts allemands hérissés de mitrailleuses, ils durent se replier sur les lignes françaises. Ce même jour tombait encore pour nous, presque à la même place, un deuxième frère de Peppino, Constante Garibaldi.
La Vengeance des Garibaldiens
Le 5 janvier, les deux héros furent vengés. Ce jour-là, ce fut la revanche. C'était toujours la hauteur de Bolante qu'il fallait conquérir. Les Français avaient miné sous un secteur la première tranchée boche. De leur côté les Allemands avaient miné la tranchée française. Il n'y avait plus de temps à perdre. Il fallait faire sauter l'ennemi ou sauter en l'air. La mine française n'était pas encore tout à fait arrivée sous la position allemande distante d'une dizaine de mètres. Mais n'importe! On augmenta la charge de dynamite. 2 800 kilos de poudre furent placés dans huit fourneaux. Les Garibaldiens devaient donner l'assaut au moment de l'explosion. Ce fut le spectacle d'un cataclysme.
60 canons vomirent 18 000 obus. L'assaut se livra dans un enfer de mugissements, de sifflements et de tonnerres, sur un sol soulevé et vacillant, au milieu d'un désordre universel. Dans le fracas diabolique de la forêt en convulsion et en éruption, les Garibaldiens s'élancèrent. Quelques instants, la suffocation les paralysa. L'air de la forêt qui flambait était irrespirable. L'hésitation ne dura pas. La course reprit dans les ondes de l'incendie et enleva en trois bonds les trois tranchées allemandes. Une contre-attaque impétueuse se déclancha, venant de Varennes. Sous le choc des lourdes masses survenantes les Garibaldiens oscillèrent: ils glissèrent sur la pente conquise, cherchant un appui, un point d'arrêt. En avant pour l'honneur de l'Italie! Et ils se lancèrent sur les troupes allemandes, les ébranlèrent à leur tour, les culbutèrent. Ils s'arrachaient les prisonniers avec un orgueil de chasseurs se disputant une bête. « C'est à moi. - C'est le mien! » Et pour se mettre d'accord, tous criaient sans façon à Garibaldi: « Colonel, ils sont tous à vous! »
Trois jours plus tard, le 8 janvier, après un repos de quarante-huit heures dans les bois de la Sapinière, ils ajoutent une nouvelle page héroïque à leur histoire désormais glorieuse. Une brigade allemande formée de deux régiments bavarois, renforcée d'un bataillon de chasseurs et soutenue par des mitrailleuses, cherche à encercler un régiment d'infanterie française. D'urgence, les Garibaldiens sont rappelés. Le major Lango arrive le premier avec un bataillon. A la baïonnette! Le combat dure toute la nuit à l'arme blanche. A l'aube, les Italiens sont épuisés. Ils se sont mis en route le 7, ils ont marché toute la nuit, ils se sont battus sans arrêt depuis vingt-quatre heures, ils n'ont rien mangé depuis deux jours. « Mes hommes n'en peuvent plus, fait dire Longo au colonel. Ils sont depuis trente-six heures sans repos ni nourriture. » La réponse arrive aussitôt impérieuse: « Résistez à tout prix! » Ils résistent si bien que, des renforts aidant, ils forcent les Allemands rentrer dans leurs positions de départ et à s'y terrer à nouveau.
Les trois journées de l'Argonne, où ils avaient perdu 800 hommes, valaient aux Garibaldiens, avec onze croix et quatre médailles militaires, l'hommage du généralissime Joffre les assurant de l'« honneur qu'il éprouvait à les avoir sous ses ordres ».
La Fierté de Porter l'Uniforme Français
Les journaux allemands, qUi n'en sont pas à une contre-vérité près, ont annoncé à leurs lecteurs que notre Légion étrangère n'existe plus. Comment se fait-il, alors, qu'il y a quelques semaines le délégué du grand état-major russe près du grand quartier général des armées françaises, le général Gilinsky, ait passé en revue sur le front les régiments héroïques qui se sont couverts de gloire sur notre sol? Les volontaires étrangers ont supporté leurs pertes sans fléchir. S'il veut comprendre la force de notre cause, que l'Allemand médite ce bout de billet adressé des tranchées françaises à un ami par deux jeunes Américains, étudiants à l'Université Harvard: « Nous sommes sur le front depuis le 28 octobre 1914, et nous n'avons qu'un regret, c'est que les règlements nous défendent de combattre dans un régiment de France coude à coude avec de jeunes Français. Ce n'est pas pour nous une petite fierté de pouvoir porter l'uniforme français de mettre dans les tranchées de première ligne nos poitrines entre l'envahisseur et le beau pays qu'est la France. Et cet autre, un jeune Espagnol blessé en Artois en mai, écrivant à sa mère: « Je suis blessé à la main. C'est une belle blessure et nous avons eu une belle victoire. Le général Joffre a cité notre division à l'ordre du jour. Si tu avais vu sa joie et la nôtre! Tu sais, maman, il m'aurait dans la vie manqué quelque chose si je n'avais pas été là. » Quand l'Allemagne a bondi pour sa sauvage agression, qui donc, à travers la vaste terre, a senti que « il lui manquerait quelque chose » s'il ne se rangeait pas à ses côtés? Quelle âme libre a vibré pour elle? Où sont les volontaires qui ont considéré comme un honneur de mourir dans l'uniforme de ses soldats?
La Magie d'une Vieille Chanson
Comment faire à chacun sa part dans cet immense concours d'héroïsme? La légion polonaise, depuis son arrivée dans le nord de la France, n'a pas cessé un seul jour d'être à l'honneur. Pendant un des premiers combats, elle a vu, dans un splendide assaut, tomber à sa tête Ladislas de Szuynski, le fils du célèbre historien polonais, mort en brandissant le drapeau, cravaté aux couleurs tricolores, avec l'aigle de Pologne prenant son essor, qu'elle avait emporté sur le front en quittant son centre d'instruction de Bayonne. Elle a été sans trêve une féconde pépinière de braves et l'âme slave s'y est exaltée en folles prouesses, en sacrifices splendides.
Parmi tous ses morts glorieux, la Pologne n'oubliera jamais le nom du capitaine Yeské. C'était un magnifique géant slave, très fort et très bon. En novembre 1914, il avait reçu à Poperinghe la croix de la Légion d'honneur. Un jour, à Saint-Eloi près d'Arras, ses hommes s'enlizaient dans la boue, s'enfonçaient jusqu'à la poitrine, jusqu'au menton, disparaissaient. La mitraille faisait rage, rendait le sauvetage terriblement difficile. Mais quelle difficulté pouvait arrêter le capitaine Yeské? Arc- bouté contre la paroi de la tranchée, bravant les obus qui éclataient au-dessus de lui, un à un il repêchait ses hommes, les enlevait à bout de bras. Il ne perdit pas un soldat.
Et ce volontaire, polonais lui aussi, héros anonyme dont l'histoire, impuissante à couronner tant de fronts, ne nous a pas encore dit le nom! Son arme à lui, c'était une chanson. Oui, en chantant, il a fait à lui seul plus de vides dans les troupes allemandes opposées à sa tranchée que tous les camarades réunis de sa compagnie. Il trouvait toujours le moyen de savoir si les lignes boches comptaient des Polonais. Une fois sûr de son affaire, dès la nuit venue, il partait avec un sourire mystérieux. Rampant sur le ventre, s'avançant sur les coudes, il se glissait jusqu'au bord de la tranchée allemande, puis dans l'ombre il murmurait doucement une vieille chanson de Pologne, câline et rêveuse. Surpris, les Polonais allemands levaient la tête, découvraient dans la nuit le chanteur audacieux, se laissaient bercer un instant, oublieux des horreurs de la guerre, au vieil air du pays. On causait, la chanson finie, de la Pologne, de la Prusse qui la tient sous sa botte. « Un Polonais, jetait le volontaire, ne doit pas combattre la France, qui combat pour la Pologne. » Une deuxième chanson achevait l'enchantement, et chaque fois il revenait avec un cortège persuadé!
Dans la Foret Tragique
Là-bas, plus à l'est, au centre de la ligne de feu qui court de la mer à Belfort, la légion italienne a trouvé le plus tragique théâtre de guerre que la nature ait jamais créé. Ici la terre s'est plissée, s'est froncée, s'est crevée en soulèvements tumultueux et brusques.
L'Argonne sombre et dramatique, le bois de la Grurie, le bois de la Chalade, les Islettes, cadre millénaire de batailles, formidable champ clos!
C'est là qu'en décembre 1914 les Garibaldiens attendaient impatiemment l'ordre d'attaquer la ligne allemande. Ils brûlaient du désir de montrer aux six fils de Garibaldi, à Ricciotti, à Santo, à Constante, à Ezio, à Bruno, à leur aîné enfin, à leur chef, le lieutenant-colonel Giuseppe Garibaldi, que le sang latin n'avait pas dégénéré.
« Passionnés, ardents, indisciplinés, tumultueux, généreux, héroïques, dit le correspondant du Corriere della Sera, M. Luigi Barzini qui les a vus à l'œuvre, ce sont des spécialistes de l'assaut, de la mitraille humaine, des baïonnettes. A la défense ils préfèrent l'attaque. C'est la pointe de la tarière qui tourne et creuse. La tranchée les exaspère. Pour eux la bataille, c'est la bataille, une course, un cri, un heurt. La tradition les a ainsi façonnés. Ils méprisent la guerre de mines des adversaires. C'est de la guerre allemande. C'est une phalange guerrière stupéfaite de rencontrer des mathématiques sur le champ de bataille. C'est si simple pourtant de mourir pour vaincre! Il suffit d'un cri pour les mettre tous d'accord: « Les enfants, on marche: en avant et vive l'Italie! »
Ce cri-là retentit enfin le matin du 26 décembre. Il fallait chasser les Allemands d'une hauteur boisée, le plateau de Bolante, d'où leurs feux dominaient nos positions.
Deux Fils de Garibaldi Meurent Pour la France
Le clairon Galli sonne une charge furieuse. Sans attendre les ordres, les réserves elles-mêmes se jettent à l'assaut. La poussée est si puissante que les Allemands abandonnent leur première tranchée. Un ouragan de feu part de leur seconde ligne, Qu'importe! Les Garibaldiens se précipitent, irrésistibles. Le capitaine Bruno Garibaldi est blessé grièvement à l'épaule. On l'entraîne à l'ambulance: il feint d'accepter un pansement; on le laisse seul une seconde: il s'échappe. Le fusil au poing, comme un soldat, il court rejoindre sa compagnie. Une rafale de mitrailleuses. Une balle qui entre dans le côté gauche et sort sous l'aisselle droite. Cette fois, c'est la mort. Il l'attend, appuyé au tronc d'un arbre. Un de ses hommes veut le secourir. Il le repousse doucement, une dernière flamme aux yeux: « Toujours en avant! C'est la consigne. » Un autre Garibaldien,Casali, accourt.» « En avant, répète Bruno, en avant! » .Ses genoux fléchissent. Il tombe en murmurant: « J'envoie un baiser à mon père, à ma mère, à tous mes frères! » Son suprême regard a vu céder à son tour la seconde ligne allemande et la troisième encore. Les pertes de l'ennemi dans cet assaut furibond étaient considérables; les cadavres boches avaient comblé les tranchées. Par malheur, ayant engagé trop tôt leurs réserves, les Garibaldiens ne recueillirent pas ce jour-là, tout le fruit de leur admirable vaillance. Devant des renforts allemands hérissés de mitrailleuses, ils durent se replier sur les lignes françaises. Ce même jour tombait encore pour nous, presque à la même place, un deuxième frère de Peppino, Constante Garibaldi.
La Vengeance des Garibaldiens
Le 5 janvier, les deux héros furent vengés. Ce jour-là, ce fut la revanche. C'était toujours la hauteur de Bolante qu'il fallait conquérir. Les Français avaient miné sous un secteur la première tranchée boche. De leur côté les Allemands avaient miné la tranchée française. Il n'y avait plus de temps à perdre. Il fallait faire sauter l'ennemi ou sauter en l'air. La mine française n'était pas encore tout à fait arrivée sous la position allemande distante d'une dizaine de mètres. Mais n'importe! On augmenta la charge de dynamite. 2 800 kilos de poudre furent placés dans huit fourneaux. Les Garibaldiens devaient donner l'assaut au moment de l'explosion. Ce fut le spectacle d'un cataclysme.
60 canons vomirent 18 000 obus. L'assaut se livra dans un enfer de mugissements, de sifflements et de tonnerres, sur un sol soulevé et vacillant, au milieu d'un désordre universel. Dans le fracas diabolique de la forêt en convulsion et en éruption, les Garibaldiens s'élancèrent. Quelques instants, la suffocation les paralysa. L'air de la forêt qui flambait était irrespirable. L'hésitation ne dura pas. La course reprit dans les ondes de l'incendie et enleva en trois bonds les trois tranchées allemandes. Une contre-attaque impétueuse se déclancha, venant de Varennes. Sous le choc des lourdes masses survenantes les Garibaldiens oscillèrent: ils glissèrent sur la pente conquise, cherchant un appui, un point d'arrêt. En avant pour l'honneur de l'Italie! Et ils se lancèrent sur les troupes allemandes, les ébranlèrent à leur tour, les culbutèrent. Ils s'arrachaient les prisonniers avec un orgueil de chasseurs se disputant une bête. « C'est à moi. - C'est le mien! » Et pour se mettre d'accord, tous criaient sans façon à Garibaldi: « Colonel, ils sont tous à vous! »
Trois jours plus tard, le 8 janvier, après un repos de quarante-huit heures dans les bois de la Sapinière, ils ajoutent une nouvelle page héroïque à leur histoire désormais glorieuse. Une brigade allemande formée de deux régiments bavarois, renforcée d'un bataillon de chasseurs et soutenue par des mitrailleuses, cherche à encercler un régiment d'infanterie française. D'urgence, les Garibaldiens sont rappelés. Le major Lango arrive le premier avec un bataillon. A la baïonnette! Le combat dure toute la nuit à l'arme blanche. A l'aube, les Italiens sont épuisés. Ils se sont mis en route le 7, ils ont marché toute la nuit, ils se sont battus sans arrêt depuis vingt-quatre heures, ils n'ont rien mangé depuis deux jours. « Mes hommes n'en peuvent plus, fait dire Longo au colonel. Ils sont depuis trente-six heures sans repos ni nourriture. » La réponse arrive aussitôt impérieuse: « Résistez à tout prix! » Ils résistent si bien que, des renforts aidant, ils forcent les Allemands rentrer dans leurs positions de départ et à s'y terrer à nouveau.
Les trois journées de l'Argonne, où ils avaient perdu 800 hommes, valaient aux Garibaldiens, avec onze croix et quatre médailles militaires, l'hommage du généralissime Joffre les assurant de l'« honneur qu'il éprouvait à les avoir sous ses ordres ».
La Fierté de Porter l'Uniforme Français
Les journaux allemands, qUi n'en sont pas à une contre-vérité près, ont annoncé à leurs lecteurs que notre Légion étrangère n'existe plus. Comment se fait-il, alors, qu'il y a quelques semaines le délégué du grand état-major russe près du grand quartier général des armées françaises, le général Gilinsky, ait passé en revue sur le front les régiments héroïques qui se sont couverts de gloire sur notre sol? Les volontaires étrangers ont supporté leurs pertes sans fléchir. S'il veut comprendre la force de notre cause, que l'Allemand médite ce bout de billet adressé des tranchées françaises à un ami par deux jeunes Américains, étudiants à l'Université Harvard: « Nous sommes sur le front depuis le 28 octobre 1914, et nous n'avons qu'un regret, c'est que les règlements nous défendent de combattre dans un régiment de France coude à coude avec de jeunes Français. Ce n'est pas pour nous une petite fierté de pouvoir porter l'uniforme français de mettre dans les tranchées de première ligne nos poitrines entre l'envahisseur et le beau pays qu'est la France. Et cet autre, un jeune Espagnol blessé en Artois en mai, écrivant à sa mère: « Je suis blessé à la main. C'est une belle blessure et nous avons eu une belle victoire. Le général Joffre a cité notre division à l'ordre du jour. Si tu avais vu sa joie et la nôtre! Tu sais, maman, il m'aurait dans la vie manqué quelque chose si je n'avais pas été là. » Quand l'Allemagne a bondi pour sa sauvage agression, qui donc, à travers la vaste terre, a senti que « il lui manquerait quelque chose » s'il ne se rangeait pas à ses côtés? Quelle âme libre a vibré pour elle? Où sont les volontaires qui ont considéré comme un honneur de mourir dans l'uniforme de ses soldats?
Re: de la Revue 'Lectures Pour Tous' de 1 Avril 1916
Je possede cette revue aussi à garder prècieusement.
Beiie article.
Beiie article.
Invité- Invité
Re: de la Revue 'Lectures Pour Tous' de 1 Avril 1916
P'tit Sapeur a écrit:Je possede cette revue aussi à garder prècieusement.
Beiie article.
oui Yves et je crois que je vais venir faire un cambriolage dans tes docs
olivier- Admin
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Date d'inscription : 10/11/2009
Age : 58
Re: de la Revue 'Lectures Pour Tous' de 1 Avril 1916
Y à pas de problèmes Daniel, tu peut, je suit assez fier de ma collection, mon plus vieux livre est de 1913, et sera bientôt 2e car je vais posseder un autre de 1895, surMadagascar, et celui la dur de chez dur pour le trouvé, j'ai des cartes et docs " dans 1 coffre à la banque " pour te dire.
Je n'et pas encore placer tous mes livres " les classiques nottament " certains tu reconaitras ? Mon devoir est toujours rester la mémoire.
Amitiés Légio.
Je n'et pas encore placer tous mes livres " les classiques nottament " certains tu reconaitras ? Mon devoir est toujours rester la mémoire.
Amitiés Légio.
Invité- Invité
Re: de la Revue 'Lectures Pour Tous' de 1 Avril 1916
si tu veut un coup de main fait moi signeAdmin a écrit:P'tit Sapeur a écrit:Je possede cette revue aussi à garder prècieusement.
Beiie article.
oui Yves et je crois que je vais venir faire un cambriolage dans tes docs
olivier- Admin
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Date d'inscription : 10/11/2009
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