poêmes legionnaires Jean-Marie SELOSSE Marseille 1979
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poêmes legionnaires Jean-Marie SELOSSE Marseille 1979
LA SENTINELLE
Evadons-nous. Parcourons le monde et remontons le temps jusqu’à tomber de fatigue auprès d’un feu rencontré. Où ? Quand ? Il n’importe…
Les moulins de Jemmapes…
L’immense plaine blanche d’Ukraine, avec la grande armée…
Les marais de Puebla au Mexique…
Une nuit d’automne 1915, en seconde ligne dans la Meuse ou l’Argonne…
La rizière d’Indochine aux confins du delta…
Une clairière parmi les cèdres de l’Aurès…
Le Sahel désolé, au Tchad, hier encore…
La nuit est profonde. Le ciel est bas ou clouté d’étoiles.
Un groupe d’hommes, une vingtaine, est allongé, le sac sous la tête, l’arme contre le ventre. Les corps carrés bossellent la couverture.
Il y a quelques minutes à peine, assemblés autour du feu, ils chantaient ou devisaient. Un paquet de gris circulait de doigts en doigts ; un fond de quart changeait de lèvres.
La section c’est un seul cœur !
Puis la flamme est tombée, comme les mentons sur les poitrines. La journée a été rude. Demain le sera sans doute. Un par un les rêveurs se sont écartés pour pisser, puis ils sont revenus vers leur sac. Les brodequins délacés ont libéré les pieds douloureux. Les reins ont façonné leur empreinte dans l’herbe ou dans le sable.
Un juron a tenté de chasser le caillou.
A même les braises, un restant de café chantonne dans le bouthéon noirci.
Un pas sourd et lent tourne : la sentinelle.
La sentinelle, c’est l’homme debout !
Pour une heure, deux peut-être, il représente tout, il es t le centre, le témoin de tout. Dernier maillon, pour l’heure, d’une immense ronde de guet qui depuis la première nuit, a veillé sur le sommeil de l’homme.
Il est leur dépositaire ; il est leur garant ; l’unique responsable de ce qui peut arriver.
L’arme dans la saignée du bras, il avance, l’esprit, l’oreille, l’œil, l’odorat attentifs. Attentifs à la nuit, à la pluie qui viendra, à la lisière des bois refermée sur leur redoutable secret, au débouché du chemin creux d’où peut surgir l’ombre pliée du premier des autres.
Il écoute. La nuit la plus silencieuse est peuplée de bruits pour qui sait écouter : non seulement l’orage naissant, le vent qui monte, les appels d’animaux, le craquement du bois au gel, mais le moindre roulement de caillou sous un pas, la rumeur très lointaine d’un camp, le bourdonnement d’un convoi à dix lieues.
Un regard au ciel. Même un soldat hirsute et las peut bien se poser des questions !
Un regard sur les braises rassurantes, à défaut d’y tendre les paumes.
Un corps se retourne en grognant : Prébois Maurice, chargeur F.M. du groupe Auclair. Pas son copain pour sûr ! Resquilleur et grande gueule ! La sentinelle grimace un sourire. On ne peut détester un homme qu’on regarde dormir.
Le temps passe. Ne pas s’habituer… Demeurer vigilant… Rêver à de petites bouffées… Son engagement : pourquoi au juste ? Le premier copain rencontré. Le premier galon. Le premier hiver. Le premier combat. Le premier copain tombé et tant d’autres…
Le regard revient balayer la piste sombre qui descend du col. Attention ! Une forme bouge ! Une forme basse progresse vers… Non mon gars, c’est la murette qui rampe au fond de ton œil fatigué. Le fermer un instant ; le rouvrir ; reprendre à contresens… Tout rentre dans l’ordre.
La sentinelle se remet en marche, prenant soin à ce que son pas ne râcle pas sur le sol. Dieu, que c’est long la garde quand on a peiné tout le jour, quand on peinera tout demain et puis après, et puis encore. Pourquoi ne peut-il dormir comme les autres ?
Parce qu’il a choisi, voici des années, une fois pour toujours. C’est simple, non ? D’ailleurs, il ne regrette rien, même pas d’en avoir marre. Il en a l’habitude et puis des fois c’est bon plus tard, quand on se couche ou quand on en parle. Il se sent responsable, donc nécessaire. Alors quoiqu’il advienne, les copains peuvent y aller de confiance, tout à leurs problèmes de froid aux pieds, de courbatures, à leurs souvenirs de petits bonheurs, à leurs rêves de soldats fourbus.
La sentinelle ne doit pas se laisser surprendre : le règlement le dit. Un jour pourtant, malgré son application, elle pourrait l’être par une ombre se glissant dans l’ombre, par un fauve souple dressé pour ce faire et qui a patiemment choisi son heure et son geste.
Puisse-t-elle alors, dans le réflexe d’un dernier cri ou d’un seul coup de feu, donner l’alerte pour que sa mission soit remplie.
Mais cette nuit tout est paisible. L’homme debout a consulté sa montre à la lueur infime des braises, pour confirmer ce que son instinct lui disait : c’est bien l’heure de la relève.
Sans hâte, il se dirige vers une forme allongée parmi les autres, la contemple un moment avec un semblant de remords, parce qu’il connaît la portée de son geste :
"Tant pis pour toi, vieux frère, c’est ton tour !"
Et le touche à l’épaule.
Jean-Marie SELOSSE
Marseille 1979
Evadons-nous. Parcourons le monde et remontons le temps jusqu’à tomber de fatigue auprès d’un feu rencontré. Où ? Quand ? Il n’importe…
Les moulins de Jemmapes…
L’immense plaine blanche d’Ukraine, avec la grande armée…
Les marais de Puebla au Mexique…
Une nuit d’automne 1915, en seconde ligne dans la Meuse ou l’Argonne…
La rizière d’Indochine aux confins du delta…
Une clairière parmi les cèdres de l’Aurès…
Le Sahel désolé, au Tchad, hier encore…
La nuit est profonde. Le ciel est bas ou clouté d’étoiles.
Un groupe d’hommes, une vingtaine, est allongé, le sac sous la tête, l’arme contre le ventre. Les corps carrés bossellent la couverture.
Il y a quelques minutes à peine, assemblés autour du feu, ils chantaient ou devisaient. Un paquet de gris circulait de doigts en doigts ; un fond de quart changeait de lèvres.
La section c’est un seul cœur !
Puis la flamme est tombée, comme les mentons sur les poitrines. La journée a été rude. Demain le sera sans doute. Un par un les rêveurs se sont écartés pour pisser, puis ils sont revenus vers leur sac. Les brodequins délacés ont libéré les pieds douloureux. Les reins ont façonné leur empreinte dans l’herbe ou dans le sable.
Un juron a tenté de chasser le caillou.
A même les braises, un restant de café chantonne dans le bouthéon noirci.
Un pas sourd et lent tourne : la sentinelle.
La sentinelle, c’est l’homme debout !
Pour une heure, deux peut-être, il représente tout, il es t le centre, le témoin de tout. Dernier maillon, pour l’heure, d’une immense ronde de guet qui depuis la première nuit, a veillé sur le sommeil de l’homme.
Il est leur dépositaire ; il est leur garant ; l’unique responsable de ce qui peut arriver.
L’arme dans la saignée du bras, il avance, l’esprit, l’oreille, l’œil, l’odorat attentifs. Attentifs à la nuit, à la pluie qui viendra, à la lisière des bois refermée sur leur redoutable secret, au débouché du chemin creux d’où peut surgir l’ombre pliée du premier des autres.
Il écoute. La nuit la plus silencieuse est peuplée de bruits pour qui sait écouter : non seulement l’orage naissant, le vent qui monte, les appels d’animaux, le craquement du bois au gel, mais le moindre roulement de caillou sous un pas, la rumeur très lointaine d’un camp, le bourdonnement d’un convoi à dix lieues.
Un regard au ciel. Même un soldat hirsute et las peut bien se poser des questions !
Un regard sur les braises rassurantes, à défaut d’y tendre les paumes.
Un corps se retourne en grognant : Prébois Maurice, chargeur F.M. du groupe Auclair. Pas son copain pour sûr ! Resquilleur et grande gueule ! La sentinelle grimace un sourire. On ne peut détester un homme qu’on regarde dormir.
Le temps passe. Ne pas s’habituer… Demeurer vigilant… Rêver à de petites bouffées… Son engagement : pourquoi au juste ? Le premier copain rencontré. Le premier galon. Le premier hiver. Le premier combat. Le premier copain tombé et tant d’autres…
Le regard revient balayer la piste sombre qui descend du col. Attention ! Une forme bouge ! Une forme basse progresse vers… Non mon gars, c’est la murette qui rampe au fond de ton œil fatigué. Le fermer un instant ; le rouvrir ; reprendre à contresens… Tout rentre dans l’ordre.
La sentinelle se remet en marche, prenant soin à ce que son pas ne râcle pas sur le sol. Dieu, que c’est long la garde quand on a peiné tout le jour, quand on peinera tout demain et puis après, et puis encore. Pourquoi ne peut-il dormir comme les autres ?
Parce qu’il a choisi, voici des années, une fois pour toujours. C’est simple, non ? D’ailleurs, il ne regrette rien, même pas d’en avoir marre. Il en a l’habitude et puis des fois c’est bon plus tard, quand on se couche ou quand on en parle. Il se sent responsable, donc nécessaire. Alors quoiqu’il advienne, les copains peuvent y aller de confiance, tout à leurs problèmes de froid aux pieds, de courbatures, à leurs souvenirs de petits bonheurs, à leurs rêves de soldats fourbus.
La sentinelle ne doit pas se laisser surprendre : le règlement le dit. Un jour pourtant, malgré son application, elle pourrait l’être par une ombre se glissant dans l’ombre, par un fauve souple dressé pour ce faire et qui a patiemment choisi son heure et son geste.
Puisse-t-elle alors, dans le réflexe d’un dernier cri ou d’un seul coup de feu, donner l’alerte pour que sa mission soit remplie.
Mais cette nuit tout est paisible. L’homme debout a consulté sa montre à la lueur infime des braises, pour confirmer ce que son instinct lui disait : c’est bien l’heure de la relève.
Sans hâte, il se dirige vers une forme allongée parmi les autres, la contemple un moment avec un semblant de remords, parce qu’il connaît la portée de son geste :
"Tant pis pour toi, vieux frère, c’est ton tour !"
Et le touche à l’épaule.
Jean-Marie SELOSSE
Marseille 1979
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