LA 8éme COMPAGNIE DU 2ème BATAILLON DU 5ème R.E.I.
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LA 8éme COMPAGNIE DU 2ème BATAILLON DU 5ème R.E.I.
Récit par Lieutenant-Colonel (ER) Taurand Robert
Commandeur de la Légion d'Honneur
Ancien officier au 5ème R.E.I. et à la 13ème D.B.L.E.
Les opérations étaient en cours depuis trois longues journées ponctuées d'accrochages parfois sanglants, toujours retardateurs, en pleine zone viêt, qui, lui, se déplace, fuit s'esquive, toujours insaisissable.
Cette journée avait été dure, rude, pas facile. Depuis le matin, après une longue, une pénible marche sur les diguettes, à traverser des villages vidés, inhospitaliers, toujours fortifiés de bambous épineux entremêlés et bordés de fossés hérissés de cactus et de pièges. Lentement, sérieusement les unités progressaient. Elles avançaient sous un soleil de plomb avec toujours à l'horizon les vastes rizières aux eaux boueuses et réfléchissantes à la lumière, jusqu'à l'impression d'un mirage à l'apparence séduisante.
Oui, à perte de vue ces champs qui n'en finissent pas, marqués de ces villages insolites, inquiétants où tout semble dormir, comme une vie arrêtée. Il n'y a pas de bruit, pas d'oiseaux, pas de signe particulier, mais, en échange, un aspect dangereux, hostile, menaçant.
La marche, l'approche des légionnaires est de temps en temps stoppée par des tirs sporadiques venus de ces villages, de ces îlots de terre où se cachent où attendent les adversaires, en petit ou en grand nombre… Pour l'instant, ces tirs ne sont pas dangereux, réalisés de trop loin, mais ils démontrent que le Viet est là. Il est là, caché, tapi dans les trous de terre (vrais nids de rats) et, dès qu'il le faudra, vite il décrochera, trouvera le bon terrain pour s'évaporer et disparaître. Bien sûr, il est là devant. Nous le savons, les renseignements sont bons, il est dans le coin, adroitement dissimulé, caché. Il attend son heure, le bon moment. Comme à son habitude, heure tardive, car le soir, la nuit, il devient vite maître du terrain. Il sait faire, ses troupes sont bien rodées. En attendant, il joue avec nous "au chat et à la souris".
Il le sait, son heure va venir, il attaquera, se repliera après avoir causé des dégâts, il s'envolera, s'éclipsera… et ainsi pendant des heures. Il joue bien son rôle, il est futé, teigneux et aussi…courageux, patient.La marche est lente, le unités s'appuient, assurent la sécurité. La manœuvre est bien huilée, bien rodée. Marche en silence, chacun est conscient du risque du moment. Graves, efficaces, chacun avance dans un calme "électrique" troublé par le froissement des "pataugas" dans les eaux sales et chaudes des rizières, pleines de sangsues et de moustiques, quand ce ne sont pas les fourmis rouges qui vous agressent par bataillons entiers ! Hélas, aussi trop souvent par la déflagration d'une mine (piège à con avec hameçons), qui saute et blesse celui qui a eu la malchance de mettre le pied dessus, (trois légionnaires depuis le matin). Alors, durant un moment, l'appel des infirmiers, des brancardiers, l'évacuation du blessé, auront perturbé un temps la progression. Mais vite, elle reprend sans bruit, ordonnée toujours efficace.
Ce jour-là, 29 janvier 1954, le Colonel Raberin, Commandant le G.M. 5, dont les deux bataillons du 5ème REI, a pris en main une opération dans le secteur difficile, dangereux du triangle (Nam-Dinh, Phu-Ly, Hoa-Binh) au Tonkin. Le 2ème Bataillon du 5ème R.E.I. a reçu mission de progresser et d'attaquer une unité d'un régiment viêt de grand renom, de la Division 304. La 8ème Compagnie que je commande est en soutien des 6ème et 7ème compagnies bloquées sur place par des tirs, très durs, venant d'un îlot de terre, situé à 300 mètres à droite de Han-Lan. Une manœuvre de débordement s'avère difficile, voire hasardeuse. Il est 17 h 30, la 6ème Cie tente deux assauts sur le village, sans succès avec des pertes importantes.
Ma Compagnie, la 8ème, est alors chargée de progresser par la gauche, de monter au plus haut du village et de préparer une attaque sur le côté. Pour en diminuer les risques, une préparation d'artillerie est réalisée, et guidée par le Lieutenant Fayard D.L.O. mis à ma disposition. Les batteries de 105, situées à plusieurs kilomètres des lieux feront du très bon travail. Avec calme, courage, les légionnaires de chaque section, s'appuyant tour à tour, en compléments de nos tirs de mortier de la section d'appui, partent à l'attaque. Chaque point sensible bien repéré fait l'objet d'assauts victorieux. Les éléments Vietminh placés là en combat retardateur sont littéralement détruits, pour ceux qui n'auront pas eu le temps de s'enfuir par le Nord.
La réussite de la manœuvre est totale : pour les Viêts, plusieurs tués, des blessés, des armes récupérées; de notre côté, 4 blessés légers évacués rapidement. Dans la foulée, le 8ème compagnie est chargée de poursuivre les fuyards. Cette action, juste avant la nuit amènera l'ensemble de l'unité dans le village de Dong-Doï, où ordre est donné d'une installation de défense pour la nuit. A ce moment-là, la compagnie est isolée des autres restées à Hanh-Lan et ses environs.
Petit îlot de terre, 100m x 80m, le village de Dong-Doï, abandonné, offre peu d'abris et de possibilités de défense. Heureusement, comme les autres villages dans cette région, les lisières sont fortifiées et les "trous de rats" jouent en notre faveur. Ils sont vite aménagés et les points d'accès, "points sensibles, sont renforcés de nos armes automatiques. La pagode, seul abri situé au centre du dispositif servira de poste de commandement et de secours. A proximité s'installe la section d'appui. Le Lieutenant Fayard demande la mise en place de tirs d'arrêts (1, 2, 3 et 4), le 4 étant presque au niveau des lisières. La nuit profonde est tombée. Interdiction de faire du feu. Pas de cigarettes. Pas de bruit, le camouflage est total, pour les sonnettes mises en place et qui se retireront sur ordre. Chaque section, chaque groupe, chaque légionnaire a reçu une mission. Tenir, faire face, garder son calme. Chacun est conscient du danger, sachant comment le Viêt agit durant la nuit.
Silence total…il faut ouvrir, pas les yeux mais surtout les oreilles en priorité. Le moindre petit bruit, le moindre froissement ou glissement, le moindre craquement doit mettre en éveil sans paniquer, en gardant son sang-froid et sa lucidité. Attendre, ne pas tirer sans ordre ; éviter de se faire repérer ; changer de place après des tirs prolongés. Economiser les munitions. Préparer les grenades.
L'ambiance est tendue mais cadres et légionnaires restent confiants et vigilants. Ils savent que la nuit sera longue et que rien ne sera facile en cas d'attaque…car ils sentent, l'adversaire n'est pas très loin. Déjà dans l'après midi, il a montré son mordant, son habileté, sa capacité mais aussi sa roublardise. Tous ici le savent, c'est un combat qui se joue avec hélas son cortège à venir de peur, de mort, de sang, de souffrance. Il faudra tenir !Lentement les heures s'écoulent. Vers 2 h 30, il est perçu des frottements insolites, des glissements à peine audibles. Les responsables des sonnettes réagissent et se replient en totalité. Petit à petit, sur l'ensemble du pourtour du village, il s'avère que quelque chose se prépare. Une première fusée éclairante révèle dans la rizière, une multitude de tas de paille qui n'existaient pas auparavant. La ruse est bonne, mais décelée…la surprise ne sera pas totale. Nous voilà prévenus. Le D.L.O. demande les tirs 1 et 2, 150 et 100m.).
Une pluie d'obus s'abat dans un fracas étourdissant; à peine terminée, des tirs crachent de toutes les directions sur nos défenses, le premier assaut est lancé par une nuée de Viêts. La riposte est immédiate. Nos armes arrosent de partout avec vigueur et, bloquent, stoppent cette vague humaine en furie qui hurle et tire, heureusement sans grande précision.
Il faudra attendre jusqu'à 3 h 30 pour un autre assaut aussi virulent, aussi brutal, mais dont les tirs sont nettement plus précis, plus meurtriers. Le repérage des emplacements de nos armes automatiques ayant été fait durant le premier assaut.
Par deux fois, le D.L.O. demande l'appui de tirs de 105 et des lucioles pour ajuster au plus près nos tirs. Les Viets ne lâchent pas et foncent. Ils sont partout dans la rizière autour du village… mais toujours à l'extérieur. Pas un point de notre défense n'a cédé ! Un troisième tir des artilleurs mettra un terme à cette action offensive, brutale et déterminée, plus puissante que la première. Nous avons sept blessés, dont deux assez graves que nous installons au poste de secours, dans la pagode. Ils y reçoivent les premiers soins.
Un temps de répit est le bienvenu, permettant à tous de souffler un peu, tout en préparant à d'autres moments difficiles, probables.C'est vers 4 heures, qu'un déluge d'obus de mortier s'abat sur notre point fort. En même temps, hurlant, soutenus par des "cornes de brume", des centaines de Viêts déboulent, virent, hurlent, foncent et pour certains atteignent les lisières du village jusqu'au contact de nos points d'appui, sans les écraser…c'est à la grenade que cela se décide.
Le D.L.O. demande les tirs 1, 2, 3 et le 4 qui est tangent à notre ligne défensive. En quelques secondes, avec les lucioles qui éclairent, un spectacle s'offre, hallucinant. Dantesque il est ! Partout des éclairs, des éclatements, des cris, de la fumée, l'odeur de la poudre, les hurlements, les plaintes, les ombres qui se déplacent, comme dans un film en noir et blanc. Les éclats d'obus fusent et bourdonnent dans l'air et pour certains obus trop près des lisières, feront quelques dégâts aussi chez nous. Mais le barrage des artilleurs en supplément de l'efficacité de nos armes, oblige les Viêts à céder ! L'assaut est brisé, ils reculent, ils abandonnent…Le jour se lève…il était temps, les munitions sont presque épuisées…les hommes sont fatigués.
La 8ème Compagnie a tenu. La mission a été entièrement remplie…au prix déjà fort de dix blessés dont deux sous officiers. Le courage sera le seul qualificatif pour tous.
Le calme est revenu, s'installe alors sur notre "Cai Nay" un silence étrange. Les visages sont graves, les teints blafards…la fatigue, la peur passée au ventre, les traits tirés, les yeux brillants…mais aussi, dans l'attitude de ces hommes de courage, se dégage la fierté d'avoir tenu ! C'est bien légitime pour des hommes, des braves qui ont connu l'enfer cette nuit.
Chacun se prépare à la récupération des morts, blessés et du matériel laissé par l'adversaire…Belle moisson ce fut !... et encore les centaines de sillons laissés dans la rizière sont autant d'empreintes laissées par le Viet qui tire ses morts et blessés avec des cordes pour récupérer le maximum de ses "biens".
Les 6ème et 7ème Compagnies viennent en renfort. La 8ème Compagnie se réorganise aussi … se remet à vivre.
Il est 8h, le 30 janvier 1954, sur ordre, la Compagnie va reprendre la progression pour d'autres combats. En silence, chacun est fier d'avoir fait son Devoir, progresse et prépare la suite, … le travail est loin d'être fini, chacun s'y prépare mais il n'oubliera pas cette nuit si difficile.
Oui mes amis, ce jour là les Viêts ne sont pas passé ! Cadres et légionnaires ont montré dans ces circonstances dramatiques un courage exemplaire digne et comparable à celui des grands anciens.
Cette victoire d'une nuit, nous voulons la partager avec les artilleurs qui ont en grande partie sauvé la 8ème Compagnie. Merci Lieutenant Fayard, notre D.L.O., de votre action brillante. Vous auriez mérité ce jour-là d'être fait Légionnaire d'honneur, surtout pour votre calme, votre précision et sang froid.
Depuis cet évènement, cinquante ans ont passé. Un demi siècle ! Le souvenir de cette nuit n'est pourtant pas effacé et reste pour moi, avec beaucoup d'autres ayant marqué ma vie de soldat, comme un des plus mémorables. Il est dans ma mémoire le plus bel exemple de courage, de la ténacité, de la fidélité. A ces hommes braves, je veux dire combien je ressens le grand honneur de les avoir commandés au feu. Leur dire aussi ma reconnaissance, car, l'attribution de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur, est la conséquence de l'évènement de cette nuit du 29 janvier 1954.
Je ne l'oublie pas. Par l'esprit, je partage l'honneur qui m'a été fait, avec ceux de la 8ème Compagnie du 2/5ème REI qui étaient présents ce jour-là avec moi.
Lieutenant-Colonel (ER) Taurand Robert
Commandeur de la Légion d'Honneur
Ancien officier au 5ème R.E.I. et à la 13ème D.B.L.E.
Commandeur de la Légion d'Honneur
Ancien officier au 5ème R.E.I. et à la 13ème D.B.L.E.
Les opérations étaient en cours depuis trois longues journées ponctuées d'accrochages parfois sanglants, toujours retardateurs, en pleine zone viêt, qui, lui, se déplace, fuit s'esquive, toujours insaisissable.
Cette journée avait été dure, rude, pas facile. Depuis le matin, après une longue, une pénible marche sur les diguettes, à traverser des villages vidés, inhospitaliers, toujours fortifiés de bambous épineux entremêlés et bordés de fossés hérissés de cactus et de pièges. Lentement, sérieusement les unités progressaient. Elles avançaient sous un soleil de plomb avec toujours à l'horizon les vastes rizières aux eaux boueuses et réfléchissantes à la lumière, jusqu'à l'impression d'un mirage à l'apparence séduisante.
Oui, à perte de vue ces champs qui n'en finissent pas, marqués de ces villages insolites, inquiétants où tout semble dormir, comme une vie arrêtée. Il n'y a pas de bruit, pas d'oiseaux, pas de signe particulier, mais, en échange, un aspect dangereux, hostile, menaçant.
La marche, l'approche des légionnaires est de temps en temps stoppée par des tirs sporadiques venus de ces villages, de ces îlots de terre où se cachent où attendent les adversaires, en petit ou en grand nombre… Pour l'instant, ces tirs ne sont pas dangereux, réalisés de trop loin, mais ils démontrent que le Viet est là. Il est là, caché, tapi dans les trous de terre (vrais nids de rats) et, dès qu'il le faudra, vite il décrochera, trouvera le bon terrain pour s'évaporer et disparaître. Bien sûr, il est là devant. Nous le savons, les renseignements sont bons, il est dans le coin, adroitement dissimulé, caché. Il attend son heure, le bon moment. Comme à son habitude, heure tardive, car le soir, la nuit, il devient vite maître du terrain. Il sait faire, ses troupes sont bien rodées. En attendant, il joue avec nous "au chat et à la souris".
Il le sait, son heure va venir, il attaquera, se repliera après avoir causé des dégâts, il s'envolera, s'éclipsera… et ainsi pendant des heures. Il joue bien son rôle, il est futé, teigneux et aussi…courageux, patient.La marche est lente, le unités s'appuient, assurent la sécurité. La manœuvre est bien huilée, bien rodée. Marche en silence, chacun est conscient du risque du moment. Graves, efficaces, chacun avance dans un calme "électrique" troublé par le froissement des "pataugas" dans les eaux sales et chaudes des rizières, pleines de sangsues et de moustiques, quand ce ne sont pas les fourmis rouges qui vous agressent par bataillons entiers ! Hélas, aussi trop souvent par la déflagration d'une mine (piège à con avec hameçons), qui saute et blesse celui qui a eu la malchance de mettre le pied dessus, (trois légionnaires depuis le matin). Alors, durant un moment, l'appel des infirmiers, des brancardiers, l'évacuation du blessé, auront perturbé un temps la progression. Mais vite, elle reprend sans bruit, ordonnée toujours efficace.
Ce jour-là, 29 janvier 1954, le Colonel Raberin, Commandant le G.M. 5, dont les deux bataillons du 5ème REI, a pris en main une opération dans le secteur difficile, dangereux du triangle (Nam-Dinh, Phu-Ly, Hoa-Binh) au Tonkin. Le 2ème Bataillon du 5ème R.E.I. a reçu mission de progresser et d'attaquer une unité d'un régiment viêt de grand renom, de la Division 304. La 8ème Compagnie que je commande est en soutien des 6ème et 7ème compagnies bloquées sur place par des tirs, très durs, venant d'un îlot de terre, situé à 300 mètres à droite de Han-Lan. Une manœuvre de débordement s'avère difficile, voire hasardeuse. Il est 17 h 30, la 6ème Cie tente deux assauts sur le village, sans succès avec des pertes importantes.
Ma Compagnie, la 8ème, est alors chargée de progresser par la gauche, de monter au plus haut du village et de préparer une attaque sur le côté. Pour en diminuer les risques, une préparation d'artillerie est réalisée, et guidée par le Lieutenant Fayard D.L.O. mis à ma disposition. Les batteries de 105, situées à plusieurs kilomètres des lieux feront du très bon travail. Avec calme, courage, les légionnaires de chaque section, s'appuyant tour à tour, en compléments de nos tirs de mortier de la section d'appui, partent à l'attaque. Chaque point sensible bien repéré fait l'objet d'assauts victorieux. Les éléments Vietminh placés là en combat retardateur sont littéralement détruits, pour ceux qui n'auront pas eu le temps de s'enfuir par le Nord.
La réussite de la manœuvre est totale : pour les Viêts, plusieurs tués, des blessés, des armes récupérées; de notre côté, 4 blessés légers évacués rapidement. Dans la foulée, le 8ème compagnie est chargée de poursuivre les fuyards. Cette action, juste avant la nuit amènera l'ensemble de l'unité dans le village de Dong-Doï, où ordre est donné d'une installation de défense pour la nuit. A ce moment-là, la compagnie est isolée des autres restées à Hanh-Lan et ses environs.
Petit îlot de terre, 100m x 80m, le village de Dong-Doï, abandonné, offre peu d'abris et de possibilités de défense. Heureusement, comme les autres villages dans cette région, les lisières sont fortifiées et les "trous de rats" jouent en notre faveur. Ils sont vite aménagés et les points d'accès, "points sensibles, sont renforcés de nos armes automatiques. La pagode, seul abri situé au centre du dispositif servira de poste de commandement et de secours. A proximité s'installe la section d'appui. Le Lieutenant Fayard demande la mise en place de tirs d'arrêts (1, 2, 3 et 4), le 4 étant presque au niveau des lisières. La nuit profonde est tombée. Interdiction de faire du feu. Pas de cigarettes. Pas de bruit, le camouflage est total, pour les sonnettes mises en place et qui se retireront sur ordre. Chaque section, chaque groupe, chaque légionnaire a reçu une mission. Tenir, faire face, garder son calme. Chacun est conscient du danger, sachant comment le Viêt agit durant la nuit.
Silence total…il faut ouvrir, pas les yeux mais surtout les oreilles en priorité. Le moindre petit bruit, le moindre froissement ou glissement, le moindre craquement doit mettre en éveil sans paniquer, en gardant son sang-froid et sa lucidité. Attendre, ne pas tirer sans ordre ; éviter de se faire repérer ; changer de place après des tirs prolongés. Economiser les munitions. Préparer les grenades.
L'ambiance est tendue mais cadres et légionnaires restent confiants et vigilants. Ils savent que la nuit sera longue et que rien ne sera facile en cas d'attaque…car ils sentent, l'adversaire n'est pas très loin. Déjà dans l'après midi, il a montré son mordant, son habileté, sa capacité mais aussi sa roublardise. Tous ici le savent, c'est un combat qui se joue avec hélas son cortège à venir de peur, de mort, de sang, de souffrance. Il faudra tenir !Lentement les heures s'écoulent. Vers 2 h 30, il est perçu des frottements insolites, des glissements à peine audibles. Les responsables des sonnettes réagissent et se replient en totalité. Petit à petit, sur l'ensemble du pourtour du village, il s'avère que quelque chose se prépare. Une première fusée éclairante révèle dans la rizière, une multitude de tas de paille qui n'existaient pas auparavant. La ruse est bonne, mais décelée…la surprise ne sera pas totale. Nous voilà prévenus. Le D.L.O. demande les tirs 1 et 2, 150 et 100m.).
Une pluie d'obus s'abat dans un fracas étourdissant; à peine terminée, des tirs crachent de toutes les directions sur nos défenses, le premier assaut est lancé par une nuée de Viêts. La riposte est immédiate. Nos armes arrosent de partout avec vigueur et, bloquent, stoppent cette vague humaine en furie qui hurle et tire, heureusement sans grande précision.
Il faudra attendre jusqu'à 3 h 30 pour un autre assaut aussi virulent, aussi brutal, mais dont les tirs sont nettement plus précis, plus meurtriers. Le repérage des emplacements de nos armes automatiques ayant été fait durant le premier assaut.
Par deux fois, le D.L.O. demande l'appui de tirs de 105 et des lucioles pour ajuster au plus près nos tirs. Les Viets ne lâchent pas et foncent. Ils sont partout dans la rizière autour du village… mais toujours à l'extérieur. Pas un point de notre défense n'a cédé ! Un troisième tir des artilleurs mettra un terme à cette action offensive, brutale et déterminée, plus puissante que la première. Nous avons sept blessés, dont deux assez graves que nous installons au poste de secours, dans la pagode. Ils y reçoivent les premiers soins.
Un temps de répit est le bienvenu, permettant à tous de souffler un peu, tout en préparant à d'autres moments difficiles, probables.C'est vers 4 heures, qu'un déluge d'obus de mortier s'abat sur notre point fort. En même temps, hurlant, soutenus par des "cornes de brume", des centaines de Viêts déboulent, virent, hurlent, foncent et pour certains atteignent les lisières du village jusqu'au contact de nos points d'appui, sans les écraser…c'est à la grenade que cela se décide.
Le D.L.O. demande les tirs 1, 2, 3 et le 4 qui est tangent à notre ligne défensive. En quelques secondes, avec les lucioles qui éclairent, un spectacle s'offre, hallucinant. Dantesque il est ! Partout des éclairs, des éclatements, des cris, de la fumée, l'odeur de la poudre, les hurlements, les plaintes, les ombres qui se déplacent, comme dans un film en noir et blanc. Les éclats d'obus fusent et bourdonnent dans l'air et pour certains obus trop près des lisières, feront quelques dégâts aussi chez nous. Mais le barrage des artilleurs en supplément de l'efficacité de nos armes, oblige les Viêts à céder ! L'assaut est brisé, ils reculent, ils abandonnent…Le jour se lève…il était temps, les munitions sont presque épuisées…les hommes sont fatigués.
La 8ème Compagnie a tenu. La mission a été entièrement remplie…au prix déjà fort de dix blessés dont deux sous officiers. Le courage sera le seul qualificatif pour tous.
Le calme est revenu, s'installe alors sur notre "Cai Nay" un silence étrange. Les visages sont graves, les teints blafards…la fatigue, la peur passée au ventre, les traits tirés, les yeux brillants…mais aussi, dans l'attitude de ces hommes de courage, se dégage la fierté d'avoir tenu ! C'est bien légitime pour des hommes, des braves qui ont connu l'enfer cette nuit.
Chacun se prépare à la récupération des morts, blessés et du matériel laissé par l'adversaire…Belle moisson ce fut !... et encore les centaines de sillons laissés dans la rizière sont autant d'empreintes laissées par le Viet qui tire ses morts et blessés avec des cordes pour récupérer le maximum de ses "biens".
Les 6ème et 7ème Compagnies viennent en renfort. La 8ème Compagnie se réorganise aussi … se remet à vivre.
Il est 8h, le 30 janvier 1954, sur ordre, la Compagnie va reprendre la progression pour d'autres combats. En silence, chacun est fier d'avoir fait son Devoir, progresse et prépare la suite, … le travail est loin d'être fini, chacun s'y prépare mais il n'oubliera pas cette nuit si difficile.
Oui mes amis, ce jour là les Viêts ne sont pas passé ! Cadres et légionnaires ont montré dans ces circonstances dramatiques un courage exemplaire digne et comparable à celui des grands anciens.
Cette victoire d'une nuit, nous voulons la partager avec les artilleurs qui ont en grande partie sauvé la 8ème Compagnie. Merci Lieutenant Fayard, notre D.L.O., de votre action brillante. Vous auriez mérité ce jour-là d'être fait Légionnaire d'honneur, surtout pour votre calme, votre précision et sang froid.
Depuis cet évènement, cinquante ans ont passé. Un demi siècle ! Le souvenir de cette nuit n'est pourtant pas effacé et reste pour moi, avec beaucoup d'autres ayant marqué ma vie de soldat, comme un des plus mémorables. Il est dans ma mémoire le plus bel exemple de courage, de la ténacité, de la fidélité. A ces hommes braves, je veux dire combien je ressens le grand honneur de les avoir commandés au feu. Leur dire aussi ma reconnaissance, car, l'attribution de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur, est la conséquence de l'évènement de cette nuit du 29 janvier 1954.
Je ne l'oublie pas. Par l'esprit, je partage l'honneur qui m'a été fait, avec ceux de la 8ème Compagnie du 2/5ème REI qui étaient présents ce jour-là avec moi.
Lieutenant-Colonel (ER) Taurand Robert
Commandeur de la Légion d'Honneur
Ancien officier au 5ème R.E.I. et à la 13ème D.B.L.E.
Re: LA 8éme COMPAGNIE DU 2ème BATAILLON DU 5ème R.E.I.
Merci Daniel
Quand on lit ce recit, on ne comprend pas comment les cadres superieurs de notre armee de l'epoque n'ont pa pu modifier leurs dispositifs quant a la defense d'un point d'appui, comme ici.
ex:
"Il faudra attendre jusqu'à 3 h 30 pour un autre assaut aussi virulent,
aussi brutal, mais dont les tirs sont nettement plus précis, plus
meurtriers. Le repérage des emplacements de nos armes automatiques
ayant été fait durant le premier assaut."
Quand on a subi cela une fois, on comprend que la prochaine fois on doit d'abord deplacer l'emplacement des armes automatiques avant toute autre chose..
Bref, je ne suis pas stratege militaire mais j'ai un cerveau et je pense savoir m'en servir...
Beaucoup d'officier superieurs ont-ils vraiment un cerveau? ou s'est-il deja noye dans l'alcool et les bordels..?
Quand on lit ce recit, on ne comprend pas comment les cadres superieurs de notre armee de l'epoque n'ont pa pu modifier leurs dispositifs quant a la defense d'un point d'appui, comme ici.
ex:
"Il faudra attendre jusqu'à 3 h 30 pour un autre assaut aussi virulent,
aussi brutal, mais dont les tirs sont nettement plus précis, plus
meurtriers. Le repérage des emplacements de nos armes automatiques
ayant été fait durant le premier assaut."
Quand on a subi cela une fois, on comprend que la prochaine fois on doit d'abord deplacer l'emplacement des armes automatiques avant toute autre chose..
Bref, je ne suis pas stratege militaire mais j'ai un cerveau et je pense savoir m'en servir...
Beaucoup d'officier superieurs ont-ils vraiment un cerveau? ou s'est-il deja noye dans l'alcool et les bordels..?
Invité- Invité
Re: LA 8éme COMPAGNIE DU 2ème BATAILLON DU 5ème R.E.I.
Hé oui mais c'est cela l'histoire un éternel recommencement dans les erreurs et cela dans toutes l'histoire militaire Française mais pas seulement bien sûr mais Lafleur revois ton histoire et malgrés les enseignements d'un Clausewitz ,l'établissement d'une stratégie exige : d'une part, l'estimation de probabilités de réalisation des éventualités susceptibles d'être retenues ; d'autre part, l'adoption d'une règle ou d'un indicateur de préférence permettant de classer les résultats escomptés par la mise en œuvre de différents scénarios.
Contrairement à la tactique dont l'enjeu est local et limité dans le temps (gagner une bataille), la stratégie a un objectif global et à plus long terme (gagner la guerre). En effet, il appartient à la politique le choix de la paix ou de la guerre et l'attribution des ressources mises en œuvre par des stratégies militaires sur le champ de bataille ou diplomatiques dans des négociations
En fait, les militaires considèrent, dans cet art de combiner ses moyens et ses ressources en fonction des contingences, trois niveaux :
le niveau stratégique, ou plus couramment aujourd'hui politico-militaire, au plus haut niveau de l'État, dans un dialogue itératif entre responsables politiques, diplomatiques et militaires ;
le niveau opérationnel, entre le haut-commandement militaire et le commandant d'un théâtre d'opération ;
le niveau tactique, qui est celui, local, du commandant d'unité engagé dans une action particulière.
La stratégie consiste à la définition d'actions cohérentes intervenant selon une logique séquentielle pour réaliser ou pour atteindre un ou des objectifs. Elle se traduit ensuite, au niveau opérationnel en plans d'actions par domaines et par périodes, y compris éventuellement des plans alternatifs utilisables en cas d'évènements changeant fortement la situation.Et en Indo il est complex le choix de la tactique et de la stratégie
Contrairement à la tactique dont l'enjeu est local et limité dans le temps (gagner une bataille), la stratégie a un objectif global et à plus long terme (gagner la guerre). En effet, il appartient à la politique le choix de la paix ou de la guerre et l'attribution des ressources mises en œuvre par des stratégies militaires sur le champ de bataille ou diplomatiques dans des négociations
En fait, les militaires considèrent, dans cet art de combiner ses moyens et ses ressources en fonction des contingences, trois niveaux :
le niveau stratégique, ou plus couramment aujourd'hui politico-militaire, au plus haut niveau de l'État, dans un dialogue itératif entre responsables politiques, diplomatiques et militaires ;
le niveau opérationnel, entre le haut-commandement militaire et le commandant d'un théâtre d'opération ;
le niveau tactique, qui est celui, local, du commandant d'unité engagé dans une action particulière.
La stratégie consiste à la définition d'actions cohérentes intervenant selon une logique séquentielle pour réaliser ou pour atteindre un ou des objectifs. Elle se traduit ensuite, au niveau opérationnel en plans d'actions par domaines et par périodes, y compris éventuellement des plans alternatifs utilisables en cas d'évènements changeant fortement la situation.Et en Indo il est complex le choix de la tactique et de la stratégie
Re: LA 8éme COMPAGNIE DU 2ème BATAILLON DU 5ème R.E.I.
Chef, bien chef
En Algerie, victoire militaire totale et pourtant perte de l'Algerie francaise...
Pourquoi tant de morts pour RIEN?
Surtout quand on voit 50 ans plus tard ce qu'elle nous fabrique comme morveux islamiste porteur de ceintures d'explosifs.
Clausevitz , ce n'est pas que de la theorie, c'est aussi du concret pour des resultats tangibles, la, une poignee de sable fin qui passe entre tes doigts...
En Algerie, victoire militaire totale et pourtant perte de l'Algerie francaise...
Pourquoi tant de morts pour RIEN?
Surtout quand on voit 50 ans plus tard ce qu'elle nous fabrique comme morveux islamiste porteur de ceintures d'explosifs.
Clausevitz , ce n'est pas que de la theorie, c'est aussi du concret pour des resultats tangibles, la, une poignee de sable fin qui passe entre tes doigts...
Invité- Invité
Re: LA 8éme COMPAGNIE DU 2ème BATAILLON DU 5ème R.E.I.
lafleur931 a écrit:Chef, bien chef
En Algerie, victoire militaire totale et pourtant perte de l'Algerie francaise...
Pourquoi tant de morts pour RIEN?
Surtout quand on voit 50 ans plus tard ce qu'elle nous fabrique comme morveux islamiste porteur de ceintures d'explosifs.
Clausevitz , ce n'est pas que de la theorie, c'est aussi du concret pour des resultats tangibles, la, une poignee de sable fin qui passe entre tes doigts...
ne croie pas cela Sun Tzu disait ceci :
« Toute guerre est fondée sur la tromperie. »
« Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. Qui se connaît mais ne connaît pas l'ennemi sera victorieux une fois sur deux. Que dire de ceux qui ne se connaissent pas plus que leurs ennemis ? »
« Ne laissez pas vos ennemis s'unir. »
« Soumettre l'ennemi par la force n'est pas le summum de l'art de la guerre, le summum de cet art est de soumettre l'ennemi sans verser une seule goutte de sang. »
Pour Clausewitz, la guerre est avant tout la continuation de la politique par d'autres moyens. Sun Tzu et Clausewitz sont considérés au XXIe siècle par la plupart des experts comme les deux plus grands théoriciens de la stratégie.
Une stratégie sans politique est la perte d’une guerre, comme la Première Guerre d’Indochine d’Indépendance du Viêt Nam et la Deuxième Guerre d’Indochine de réunification du Viêt Nam ou Guerre du Viêt Nam. Ces guerres ont été conduites dans la hiérarchie de contrainte ou de dépendance, de la politique à la stratégie jusqu’aux combats tactiques à l’intérieur d’une bataille choisie et organisée par une stratégie militaire.
Re: LA 8éme COMPAGNIE DU 2ème BATAILLON DU 5ème R.E.I.
Dans tout les cas,
merci Daniel de nous conté ce récit dont j' ai eu plaisir à lire.
Avec un beau débat sur difference d' opinion avec Lafleur.
merci Daniel de nous conté ce récit dont j' ai eu plaisir à lire.
Avec un beau débat sur difference d' opinion avec Lafleur.
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olivier- Admin
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