Le 1er REP et l'opération "Oranie"
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Le 1er REP et l'opération "Oranie"
Le 22 décembre 1958, trois jours après sa prise de commandement des troupes d'Algérie, le général Challe signa sa première directive. De telles instructions passaient largement au-dessus des cadres subalternes des unités engagées sur le terrain. Ils avaient autre chose à faire qu'étudier la littérature stratégique. Pourtant, au bout de quelques semaines, le 1er R. E. P. se rendit compte que quelque chose avait changé. Une impression dominait : « le patron » voulait gagner cette guerre. L'atmosphère rappela aux anciens d'Indochine l'arrivée de de Lattre en 1951. Pas dans la forme, bien sûr, ni dans le style. Challe n'avait aucun côté théâtral. Il était simple, discret. Mais une même volonté : gagner.
4 février 1959. Une fois de plus, il pleuvait. A torrents. Le 1er R. E. P. roulait sans arrêt, indéfiniment, dans un paysage noyé. Il avait quitté Zéralda dans la matinée en direction de l'ouest. Avec le calme des vieilles troupes, officiers, sous-officiers et légionnaires se laissaient transporter par les camions du lieutenant Gorry sans même chercher à savoir où on allait, cette fois-ci, atterrir. Il y eut plusieurs contrordres dans la journée. Des feintes probablement. A minuit, les véhicules se rangèrent en formation sur un terrain vague, à l'ouest de Ténès. Plutôt que d'installer les guitounes dans la boue, mieux valait attendre le jour dans les camions. On s'installa au mieux. Le régiment s'endormit. La première offensive Challe était commencée. C'était le jour j de l'opération « Oranie ».
Le secteur de Ténès était un secteur « pourri ». Le fellaga régnait et imposait sa loi. Il tenait la plage désertée de Ténès sous son feu. Le ravitaillement du sémaphore où l'armée de l'Air avait installé un radio-phare se faisait par convoi protégé, voué aux embuscades. II ne se trouvait pourtant qu'à six kilomètres de la ville ! La route côtière était abandonnée, les ponts coupés. On ne l'empruntait qu'une fois par quinzaine pour ravitailler les villages de la côte : Pointe-Rouge, El-Marsa, Le Guelta. On avait ensuite décidé de les ravitailler par mer.
Les gendarmes, enfermés dans leurs casernes, ne cultivaient même plus leurs jardins. La route Ténès-Orléansville, cordon ombilical du secteur, restait péniblement ouverte. Les villages de l'intérieur étaient des villages assiégés. Les liaisons étaient longues, lentes et pénibles. Les jours passaient lentement. Les malheureuses unités implantées occupaient le plus clair de leur temps à assurer leur subsistance. Seul, le commando vietnamien, retrouvé avec joie par le régiment, maintenait un peu de présence militaire dans ce renoncement général. C'était un secteur d'Algérie parmi tant d'autres... Ici régnait la katiba du terrible Menouar.
Le R. E. P. avait déjà eu affaire à lui quelques jours auparavant, le 27 janvier, alors qu'il participait sans conviction, dans l'Ouarsenis, à une opération qui semblait mal montée. A midi, le colonel Brothier avait appris par radio qu'un accrochage avait lieu loin de là, dans le secteur de Ténès. Il avait demandé aussitôt l'autorisation d'intervenir et l'avait obtenue. Alors, avait commencé un véritable rallye.
Les compagnies se regroupèrent. Elles refirent à toute allure, en sens inverse, les kilomètres de montagne qui les séparaient de leurs camions. Les rames du Gorry étaient déjà prêtes à partir, tête tournée vers le nord. La compagnie Chiron arriva la première. Elle embarqua et démarra. Il fallait faire vite. Toutes les consignes de sécurité furent levées. Plus de vitesse limite. Mille mètres de dénivelé en virages, soixante kilomètres à une rapidité folle. Orléansvillë fut traversée en trombe. Jamais sans doute unité du Train ne prit autant de risques sur la route que, ce jour-là, la compagnie Gorry du G. T. 507. Les conducteurs faisaient merveille. Ils savaient que le succès dépendait en grande partie de leur adresse au volant. D'ailleurs, que n'auraient-ils pas fait pour leurs copains, les Bérets verts? Pendant que ceux-ci se bagarraient, ils veillaient sur leurs paquetages avec un soin jaloux. Et quand un légionnaire ne revenait pas du combat pour reprendre sa place dans leur camion, c'était bien souvent eux, les petits gars de Gorry, qui versaient les premières larmes.
Les chefs de voiture étaient tendus. Les légionnaires, un peu inquiets, regardaient défiler les arbres sans dire un mot. Les camions stoppèrent enfin. Un cri se répercuta : « A terre! »
Sur la route, près de Rabelais, les hélicoptères étaient là. Les hommes embarquèrent dans la foulée. La formation s'enleva et alla les déposer sur les hauteurs qui dominent le village de
Paul-Robert et son vignoble réputé. A 17 heures, les deux premières compagnies héliportées qui, depuis le matin, avaient parcouru près de cent kilomètres en camions, une quinzaine à pieds et vingt-cinq en hélicoptères, qui avaient grimpé jusqu'à la cote 1000 pour redescendre dans la plaine et se faire hisser sur la cote 900, entamaient leur mouvement. Presque aussitôt, elles accrochèrent.
La fatigue s'envola immédiatement. On retrouva la cadence. Quarante minutes de lutte sèche et violente, une demi-heure de fouille du terrain. La nuit tomba sur le premier succès du R. E. P. dans le secteur de Ténès. La katiba Menouar, le maître invincible et redouté de la région, laissait trente hommes et leur armement sur le terrain. La nouvelle se colporta à travers les djebels. Dans les villages, tout le monde se réjouit. Les vignerons de Paul-Robert, en signe de reconnaissance, offrirent aux légionnaires-parachutistes un tonneau de leur cru.
Le 1er R. E.P. retrouva donc Menouar le 14 février. Le sous-groupement « Lilas », commandé par Verguet, eut la chance de le lever. Chiron, qui traversait une période particulièrement faste, en faisait partie. Là encore, la rapidité, le coup d'oeil et la fougue des cadres du 1er R. E. P. firent merveille. Le compartiment de terrain était pourtant bien grand pour trois compagnies. La compagnie Ysquierdo montait la vallée en venant de la mer. Devant elle, les fells s'enfuirent. Ils risquaient de passer entre les compagnies de Chiron et de Glasser qui tenaient les hauts, mais dont les effectifs ne permettaient pas de tenir toute la crête. Les rebelles marchaient justement en direction d'une série de petits cols non gardés. S'ils parvenaient à les franchir, ils pourraient basculer dans l'autre compartiment de terrain et disparaître.
« Allez-y! » dit seulement Chiron à son chef de section de tête, l'adjudant Renaud.
Renaud avait longtemps sollicité comme une faveur son affectation dans une compagnie de combat. Il avait longtemps rêvé d'ordres aussi simples, de situations aussi critiques. Depuis longtemps, il voulait foncer. Il fonça. D'avion, on aurait pu voir les deux groupes ennemis se ruer l'un vers l'autre : la section Renaud dévalant la crête vers le premier col, la section fell grimpant à perdre haleine par le thalweg. Les adversaires s'entrechoquèrent comme deux vagues, dans le crépitement des balles et l'explosion des grenades. Renaud, en tête, n'avait pas besoin d'exhorter ses légionnaires. Lui-même tomba de tout son long, bras en croix, transpercé, au milieu du col. Pour lui, c'était fini. Mais c'était aussi fini pour les fells. Aucun ne passa. Quand on fit les comptes, on dénombra trente-sept cadavres de rebelles, autant d'armes dont une mitrailleuse et deux fusils mitrailleurs. Mais on découvrit surtout le corps du chef redouté.
Menouar était mort. A quelques pas de lui, gisait un être étrange. Quand on ouvrit, pour l'identifier, ses habits de guerrier, on constata que des liens comprimaient sa poitrine. C'était la femme de Menouar qui s'était déguisée en homme pour mieux se battre.
Le R. E. P. — le fait est notable — avait aussi ses « femmes de Menouar ». Elles étaient au nombre de trois, et toutes trois jeunes et jolies. Elles appartenaient au clan de ces épouses que les officiers du régiment avaient emmenées en Algérie, mais qui, à Zéralda ou à Alger, attendaient sagement en tricotant des layettes le retour des guerriers dont elles devaient assurer le repos. Trois d'entre ces Pénélopes avaient jugé que ce n'était pas suffisant. Sans aller jusqu'à imiter la femme de Menouar et à grimper sur les djebels, mitraillette à la main, à la suite de leur seigneur et maître — ce qui eût tout de même présenté quelques difficultés —, elles avaient fondé une organisation nettement contestataire : le « Comité », dont les principes avaient une forme mi-syllogistique (« Nos maris sont des héros », « Nous sommes dignes d'eux »,
« Nous sommes des héroïnes »), mi-antithétiques (« Ils nous veulent sérieuses, nous nous amuserons »).
Ce fut précisément lors du séjour du R. E. P. à Ténès et de la poursuite des époux Menouar que le Comité effectua sa première grande opération, le 10 mars 1959, Le récit de cette escapade, fidèlement rapporté dans le Journal de marche du Comité, commence par une envolée lyrique : « Dans tes bras, mon Hercule, Je pressens de bien doux ébats. Doux ébats... doux ébats... » Le but de la manœuvre, on s'en doute, était que les Omphales du Comité retrouvent leurs Hercules en pleine opération. La chose était bien entendu strictement interdite, mais les maris visés ne se plaindraient nullement de respecter une règle qui n'avait pas encore été à moitié dénaturée :
« Faites la guerre et aussi l'amour. »
Tout avait été prévu : le départ discret de la voiture à l'insu du commandant de la base arrière, pourtant grand ami de ces dames, l'infiltration dans le convoi de liaison du R. E. P. à Orléansville pour la traversée de la zone dangereuse, convoi dont le chef était un autre grand ami du « Comité », etc. Tout marcha à souhait jusqu'au retour, deux jours plus tard. Le colonel, furieux, aperçut la voiture du « Comité » au moment où elle s'infiltrait subrepticement dans le convoi. Pendant que leurs femmes rentraient à Zéralda, euphoriques et triomphantes, les trois maris, debout devant le colonel, supportaient impassiblement sa colère.
Il en aurait fallu bien plus pour arrêter les ardentes initiatives des éléments féminins du 1er R. E. P. L'exemple donné par le « Comité » fut suivi, avec plus ou moins de bonheur et d'intelligence. Du côté des succès, il faut noter les apparitions répétées, dans le sillage du régiment, d'une grande et élégante fatma, dont le haïk soigneusement fermé ne laissait passer qu'un regard vert. Jamais le colonel ne sut que la femme d'un de ses capitaines rendait ainsi visite à son mari, à la grande surprise des populations, peu habituées à voir une fatma voilée passer en trombe dans sa voiture, sur des routes parfois peu sûres.
Ces apparitions ne manquaient pas de charme. Le viol répété des interdits du colonel pimentait fortement les nuits d'ivresse des officiers du régiment. Mais Brothier, pourtant moins insensible que Jeanpierre, allait bientôt faire la paix avec les membres du Comité et leur environnement. Il quittait le 1er R, E. P. et cédait la place à un colonel d'un caractère très différent : Henri Dufour.
…..
L'élève officier Dufour avait un sacré caractère. Il serait sorti major de Saint-Cyr s'il n'avait eu 75 points retirés à cause de ses humeurs. Il ne sera que 24e. Avec les années, les choses ne s'arrangeront pas. Au contraire. Il sera muté d'office comme sous-lieutenant, comme chef de bataillon, comme colonel... Un général lui dira un jour : « J'ai rarement rencontré un officier aussi dur, et même brutal, que vous envers vos supérieurs ! »
Ce Camerone que le nouveau colonel n'aimait pas, le R. E. P. l'avait justement fêté la veille. A cette occasion, Massu avait été fait caporal honoraire du régiment, affecté à la 1re compagnie. Le lieutenant Degueldre lui avait tendu le quart de pinard traditionnel. Il avait entonné Le Boudin. Le caporal Massu avait ensuite participé à la corvée de soupe, que commandait le sergent Dodevar, le plus jeune sous-officier de la compagnie.
Le soir, eut lieu un grand dégagement, d'autant plus fastueux que le 1er R. E. P. inaugurait le mess construit par les légionnaires, sous la direction de cadres du régiment. II était splendide. Ce grand bâtiment au milieu des pins comprenait deux ailes qui se coupaient à angle droit : le bar d'un côté, de l'autre une salle très vaste, parsemée de nombreuses petites tables carrées, et prolongée par l'office et la cuisine. Une immense baie vitrée tendue de voilages donnait sur la terrasse où jaillissait un jet d'eau. De la verdure, du marbre, un bassin : cette popote était un îlot de fraîcheur qui incitait à la bonne vie. Dans une vitrine, des objets rappelaient cependant aux légionnaires qu'ils ne devaient pas oublier les réalités du siècle. Des drapeaux pris aux Viets et la cloche de la pagode de Dien bien phû, évoquaient les deux premiers sacrifices du 1er B.E.P. Un morceau de tôle prélevé sur l’Alouette dans laquelle Jeanpierre avait trouvé la mort évoquait cette guerre d’Algérie qui était loin d'être terminée
4 février 1959. Une fois de plus, il pleuvait. A torrents. Le 1er R. E. P. roulait sans arrêt, indéfiniment, dans un paysage noyé. Il avait quitté Zéralda dans la matinée en direction de l'ouest. Avec le calme des vieilles troupes, officiers, sous-officiers et légionnaires se laissaient transporter par les camions du lieutenant Gorry sans même chercher à savoir où on allait, cette fois-ci, atterrir. Il y eut plusieurs contrordres dans la journée. Des feintes probablement. A minuit, les véhicules se rangèrent en formation sur un terrain vague, à l'ouest de Ténès. Plutôt que d'installer les guitounes dans la boue, mieux valait attendre le jour dans les camions. On s'installa au mieux. Le régiment s'endormit. La première offensive Challe était commencée. C'était le jour j de l'opération « Oranie ».
Le secteur de Ténès était un secteur « pourri ». Le fellaga régnait et imposait sa loi. Il tenait la plage désertée de Ténès sous son feu. Le ravitaillement du sémaphore où l'armée de l'Air avait installé un radio-phare se faisait par convoi protégé, voué aux embuscades. II ne se trouvait pourtant qu'à six kilomètres de la ville ! La route côtière était abandonnée, les ponts coupés. On ne l'empruntait qu'une fois par quinzaine pour ravitailler les villages de la côte : Pointe-Rouge, El-Marsa, Le Guelta. On avait ensuite décidé de les ravitailler par mer.
Les gendarmes, enfermés dans leurs casernes, ne cultivaient même plus leurs jardins. La route Ténès-Orléansville, cordon ombilical du secteur, restait péniblement ouverte. Les villages de l'intérieur étaient des villages assiégés. Les liaisons étaient longues, lentes et pénibles. Les jours passaient lentement. Les malheureuses unités implantées occupaient le plus clair de leur temps à assurer leur subsistance. Seul, le commando vietnamien, retrouvé avec joie par le régiment, maintenait un peu de présence militaire dans ce renoncement général. C'était un secteur d'Algérie parmi tant d'autres... Ici régnait la katiba du terrible Menouar.
Le R. E. P. avait déjà eu affaire à lui quelques jours auparavant, le 27 janvier, alors qu'il participait sans conviction, dans l'Ouarsenis, à une opération qui semblait mal montée. A midi, le colonel Brothier avait appris par radio qu'un accrochage avait lieu loin de là, dans le secteur de Ténès. Il avait demandé aussitôt l'autorisation d'intervenir et l'avait obtenue. Alors, avait commencé un véritable rallye.
Les compagnies se regroupèrent. Elles refirent à toute allure, en sens inverse, les kilomètres de montagne qui les séparaient de leurs camions. Les rames du Gorry étaient déjà prêtes à partir, tête tournée vers le nord. La compagnie Chiron arriva la première. Elle embarqua et démarra. Il fallait faire vite. Toutes les consignes de sécurité furent levées. Plus de vitesse limite. Mille mètres de dénivelé en virages, soixante kilomètres à une rapidité folle. Orléansvillë fut traversée en trombe. Jamais sans doute unité du Train ne prit autant de risques sur la route que, ce jour-là, la compagnie Gorry du G. T. 507. Les conducteurs faisaient merveille. Ils savaient que le succès dépendait en grande partie de leur adresse au volant. D'ailleurs, que n'auraient-ils pas fait pour leurs copains, les Bérets verts? Pendant que ceux-ci se bagarraient, ils veillaient sur leurs paquetages avec un soin jaloux. Et quand un légionnaire ne revenait pas du combat pour reprendre sa place dans leur camion, c'était bien souvent eux, les petits gars de Gorry, qui versaient les premières larmes.
Les chefs de voiture étaient tendus. Les légionnaires, un peu inquiets, regardaient défiler les arbres sans dire un mot. Les camions stoppèrent enfin. Un cri se répercuta : « A terre! »
Sur la route, près de Rabelais, les hélicoptères étaient là. Les hommes embarquèrent dans la foulée. La formation s'enleva et alla les déposer sur les hauteurs qui dominent le village de
Paul-Robert et son vignoble réputé. A 17 heures, les deux premières compagnies héliportées qui, depuis le matin, avaient parcouru près de cent kilomètres en camions, une quinzaine à pieds et vingt-cinq en hélicoptères, qui avaient grimpé jusqu'à la cote 1000 pour redescendre dans la plaine et se faire hisser sur la cote 900, entamaient leur mouvement. Presque aussitôt, elles accrochèrent.
La fatigue s'envola immédiatement. On retrouva la cadence. Quarante minutes de lutte sèche et violente, une demi-heure de fouille du terrain. La nuit tomba sur le premier succès du R. E. P. dans le secteur de Ténès. La katiba Menouar, le maître invincible et redouté de la région, laissait trente hommes et leur armement sur le terrain. La nouvelle se colporta à travers les djebels. Dans les villages, tout le monde se réjouit. Les vignerons de Paul-Robert, en signe de reconnaissance, offrirent aux légionnaires-parachutistes un tonneau de leur cru.
Le 1er R. E.P. retrouva donc Menouar le 14 février. Le sous-groupement « Lilas », commandé par Verguet, eut la chance de le lever. Chiron, qui traversait une période particulièrement faste, en faisait partie. Là encore, la rapidité, le coup d'oeil et la fougue des cadres du 1er R. E. P. firent merveille. Le compartiment de terrain était pourtant bien grand pour trois compagnies. La compagnie Ysquierdo montait la vallée en venant de la mer. Devant elle, les fells s'enfuirent. Ils risquaient de passer entre les compagnies de Chiron et de Glasser qui tenaient les hauts, mais dont les effectifs ne permettaient pas de tenir toute la crête. Les rebelles marchaient justement en direction d'une série de petits cols non gardés. S'ils parvenaient à les franchir, ils pourraient basculer dans l'autre compartiment de terrain et disparaître.
« Allez-y! » dit seulement Chiron à son chef de section de tête, l'adjudant Renaud.
Renaud avait longtemps sollicité comme une faveur son affectation dans une compagnie de combat. Il avait longtemps rêvé d'ordres aussi simples, de situations aussi critiques. Depuis longtemps, il voulait foncer. Il fonça. D'avion, on aurait pu voir les deux groupes ennemis se ruer l'un vers l'autre : la section Renaud dévalant la crête vers le premier col, la section fell grimpant à perdre haleine par le thalweg. Les adversaires s'entrechoquèrent comme deux vagues, dans le crépitement des balles et l'explosion des grenades. Renaud, en tête, n'avait pas besoin d'exhorter ses légionnaires. Lui-même tomba de tout son long, bras en croix, transpercé, au milieu du col. Pour lui, c'était fini. Mais c'était aussi fini pour les fells. Aucun ne passa. Quand on fit les comptes, on dénombra trente-sept cadavres de rebelles, autant d'armes dont une mitrailleuse et deux fusils mitrailleurs. Mais on découvrit surtout le corps du chef redouté.
Menouar était mort. A quelques pas de lui, gisait un être étrange. Quand on ouvrit, pour l'identifier, ses habits de guerrier, on constata que des liens comprimaient sa poitrine. C'était la femme de Menouar qui s'était déguisée en homme pour mieux se battre.
Le R. E. P. — le fait est notable — avait aussi ses « femmes de Menouar ». Elles étaient au nombre de trois, et toutes trois jeunes et jolies. Elles appartenaient au clan de ces épouses que les officiers du régiment avaient emmenées en Algérie, mais qui, à Zéralda ou à Alger, attendaient sagement en tricotant des layettes le retour des guerriers dont elles devaient assurer le repos. Trois d'entre ces Pénélopes avaient jugé que ce n'était pas suffisant. Sans aller jusqu'à imiter la femme de Menouar et à grimper sur les djebels, mitraillette à la main, à la suite de leur seigneur et maître — ce qui eût tout de même présenté quelques difficultés —, elles avaient fondé une organisation nettement contestataire : le « Comité », dont les principes avaient une forme mi-syllogistique (« Nos maris sont des héros », « Nous sommes dignes d'eux »,
« Nous sommes des héroïnes »), mi-antithétiques (« Ils nous veulent sérieuses, nous nous amuserons »).
Ce fut précisément lors du séjour du R. E. P. à Ténès et de la poursuite des époux Menouar que le Comité effectua sa première grande opération, le 10 mars 1959, Le récit de cette escapade, fidèlement rapporté dans le Journal de marche du Comité, commence par une envolée lyrique : « Dans tes bras, mon Hercule, Je pressens de bien doux ébats. Doux ébats... doux ébats... » Le but de la manœuvre, on s'en doute, était que les Omphales du Comité retrouvent leurs Hercules en pleine opération. La chose était bien entendu strictement interdite, mais les maris visés ne se plaindraient nullement de respecter une règle qui n'avait pas encore été à moitié dénaturée :
« Faites la guerre et aussi l'amour. »
Tout avait été prévu : le départ discret de la voiture à l'insu du commandant de la base arrière, pourtant grand ami de ces dames, l'infiltration dans le convoi de liaison du R. E. P. à Orléansville pour la traversée de la zone dangereuse, convoi dont le chef était un autre grand ami du « Comité », etc. Tout marcha à souhait jusqu'au retour, deux jours plus tard. Le colonel, furieux, aperçut la voiture du « Comité » au moment où elle s'infiltrait subrepticement dans le convoi. Pendant que leurs femmes rentraient à Zéralda, euphoriques et triomphantes, les trois maris, debout devant le colonel, supportaient impassiblement sa colère.
Il en aurait fallu bien plus pour arrêter les ardentes initiatives des éléments féminins du 1er R. E. P. L'exemple donné par le « Comité » fut suivi, avec plus ou moins de bonheur et d'intelligence. Du côté des succès, il faut noter les apparitions répétées, dans le sillage du régiment, d'une grande et élégante fatma, dont le haïk soigneusement fermé ne laissait passer qu'un regard vert. Jamais le colonel ne sut que la femme d'un de ses capitaines rendait ainsi visite à son mari, à la grande surprise des populations, peu habituées à voir une fatma voilée passer en trombe dans sa voiture, sur des routes parfois peu sûres.
Ces apparitions ne manquaient pas de charme. Le viol répété des interdits du colonel pimentait fortement les nuits d'ivresse des officiers du régiment. Mais Brothier, pourtant moins insensible que Jeanpierre, allait bientôt faire la paix avec les membres du Comité et leur environnement. Il quittait le 1er R, E. P. et cédait la place à un colonel d'un caractère très différent : Henri Dufour.
…..
L'élève officier Dufour avait un sacré caractère. Il serait sorti major de Saint-Cyr s'il n'avait eu 75 points retirés à cause de ses humeurs. Il ne sera que 24e. Avec les années, les choses ne s'arrangeront pas. Au contraire. Il sera muté d'office comme sous-lieutenant, comme chef de bataillon, comme colonel... Un général lui dira un jour : « J'ai rarement rencontré un officier aussi dur, et même brutal, que vous envers vos supérieurs ! »
Ce Camerone que le nouveau colonel n'aimait pas, le R. E. P. l'avait justement fêté la veille. A cette occasion, Massu avait été fait caporal honoraire du régiment, affecté à la 1re compagnie. Le lieutenant Degueldre lui avait tendu le quart de pinard traditionnel. Il avait entonné Le Boudin. Le caporal Massu avait ensuite participé à la corvée de soupe, que commandait le sergent Dodevar, le plus jeune sous-officier de la compagnie.
Le soir, eut lieu un grand dégagement, d'autant plus fastueux que le 1er R. E. P. inaugurait le mess construit par les légionnaires, sous la direction de cadres du régiment. II était splendide. Ce grand bâtiment au milieu des pins comprenait deux ailes qui se coupaient à angle droit : le bar d'un côté, de l'autre une salle très vaste, parsemée de nombreuses petites tables carrées, et prolongée par l'office et la cuisine. Une immense baie vitrée tendue de voilages donnait sur la terrasse où jaillissait un jet d'eau. De la verdure, du marbre, un bassin : cette popote était un îlot de fraîcheur qui incitait à la bonne vie. Dans une vitrine, des objets rappelaient cependant aux légionnaires qu'ils ne devaient pas oublier les réalités du siècle. Des drapeaux pris aux Viets et la cloche de la pagode de Dien bien phû, évoquaient les deux premiers sacrifices du 1er B.E.P. Un morceau de tôle prélevé sur l’Alouette dans laquelle Jeanpierre avait trouvé la mort évoquait cette guerre d’Algérie qui était loin d'être terminée
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Degueldre et Dodevar !!!!!
Les "ASSASINNES"
Quelle récompense !!!!!!
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